HELENE MOUTTE-CAYLUS, sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Hélène Moutte-Caylus, nous sommes, avec vos œuvres, dans le monde de la danse. Un monde tout à fait arachnéen, qui me semble un peu paradoxal, parce que le matériau, le fil de fer que vous utilisez, est raide. Et il me semble que, pour donner le mouvement, vous avez à chaque fois, ajouté des circonvolutions. Par exemple, au lieu d'avoir un bas de jupe comme il serait logique, l'une de vos danseuses en a deux. Ce qui donne un côté un peu plus aérien ?

Hélène Moutte-Caylus : Oui, voilà. Je pense que, dans ma recherche, je mêle à la fois la forme et la structure, et je veux donner un style aérien aux sculptures. A un moment donné, j'ai essayé d'obtenir le même résultat avec de la terre : c'était impossible. Je me suis donc tournée vers ce matériau, le seul à mon sens qui me permette d'avoir ce résultat.

 

JR. : C'est le seul qui vous permette d'être dans l'espace, en trois dimensions ; et en même temps, de jouer sur le vide. Plutôt que sur les pleins. Ce que la terre, effectivement, ne permet pas.

HM-C. : Oui. Le vide peut mettre mal à l'aise certaines personnes, mais moi cela me convient tout à fait. On m'a souvent dit que les sculptures en terre rassuraient par leur présence totale. D'autres visiteurs y craignent une certaine fragilité, alors qu'elles ne sont pas fragiles du tout, ce qui est troublant.

 

JR. : En même temps, elles doivent pouvoir être déformées très facilement ?

HM-C. : Oui. Je compare mes sculptures au chêne et au roseau de la fable de La Fontaine. Elles plient et ne rompent pas !

 

JR. : Parfois, vous avez ajouté la couleur. Mais pour ce faire, vous avez changé de matériau. Vous avez pris de la gaze ? De l'étamine ?

HM-C. : En fait, c'est du tulle. J'ai une amie qui est costumière et qui m'en a donné. Quelquefois, aussi, des gens se sentent concernés par cette création, et ont envie de m'apporter des petites chutes de tissus. Il y a même un artiste qui m'a apporté des morceaux de rideaux. En ce moment, je travaille sur une danseuse indienne, et cela me permet de donner de la couleur, de la sensualité, quelque chose qui manque au métal brut.

 

JR. : La sculpture dont nous parlons est d'ailleurs très spéciale : deux hauts, pour un seul bas, comme des siamois!

HM-C. : Non, je prends toujours pour modèle des amis à moi qui dansent, des amateurs ou des professionnels. C'est la représentation d'un couple en train de danser.

 

JR. : Ils sont tellement comme les danseurs de tango !

HM-C. : ce n'est pas un hasard si vous les pensiez siamois !

 

JR. : Mais pour ceux-là, cependant, vous semblez avoir complètement changé de matériau. Je vois bien le tulle, mais le reste est de la résine ?

HM-C. : C'est un tissu qui est dur, mais qui redevient très souple au contact de l'eau, et qui en séchant, reprend sa dureté.

 

JR. : Il donne l'impression d'une multitude de minuscules miroirs qui seraient collés sur les jambes de votre personnage. Qu'est-ce qui détermine qu'à un moment donné, vous allez choisir ce genre de matériau, ou un fil de fer ? Fin, moins fin, ou extrêmement fin ?

HM-C. : J'ai besoin de trouver une âme à la sculpture. Je n'anticipe pas tout cela. Je pense que cela dépend beaucoup, en fait, de mon humeur du moment. J'aime aussi beaucoup travailler le fer recuit. J'aime bien travailler sur plusieurs diamètres différents, toujours un gros diamètre pour installer la trame, le squelette en somme, et puis un diamètre plus fin les détails. J'aime particulièrement le mélange du recuit et de l'argenté.

 

JR. : Parfois, vous changez tout de même la connotation de l'œuvre : j'en vois une qui, certes, fait le grand écart ; mais dans la mesure où vous lui avez mis des cheveux qui obstruent l'espace qui devrai exister entre le bras et la tête, la lecture de la masse de l'œuvre ne se fait pas comme pour les autres.

HM-C. : D'accord. Parfois, j'ai besoin de libérer mes sculptures elles sont toujours très tendues, les cheveux étroitement gainés… En ce moment, j'ai envie de changer, faire quelque chose de plus éclaté, éviter de les mettre sur des socles, donner plus de liberté à mes sculptures, à ma création.

 

JR. : Sur la plupart, vous avez respecté les proportions entre le corps et les membres, mais il me semble que parfois, vous leur faites des membres démesurés. Pourquoi ce parti pris dans certains cas ? Pour une question d'esthétique ? Ou pour une autre raison ?

HM-C. : Oui. En fait, je choisis la longueur qui me semble la plus appropriée à un mouvement de danse donné. Il est vrai que j'étire mes sculptures au maximum, que je travaille dans l'élongation des membres. J'aime bien les déformer un peu.

 

JR. : Certaines sont-elles des apprenties ? Des débutantes ? Leurs pas sont moins savants que les autres.

HM-C. : L'une d'elles est ma première.

 

JR. : Donc, vous n'aviez pas encore trouvé la souplesse, l'assurance, l'assise idéale ?

HM-C. : Il est vrai que j'ai cherché un moment. Ce n'est qu'à force de travailler le mouvement qu'on le ressent mieux.

 

JR. : Vous êtes danseuse vous-même ?

HM-C. : Non.

 

JR. : Qu'est-ce qui vous a amenée à cette idée de créer des danseuses.

HM-C. : Je pense que c'est parce que j'aurais aimé faire de la danse ?

 

JR. : Dans le groupe que vous présentez, vous avez juste " une moitié d'homme " ! Vous ne faites jamais de danseurs ?

HM-C. :Si, j'en ai fait. Je n'ai pas présenté toutes mes sculptures à Banne, il y a des danseurs que je ne montre pas ici car ils présentaient, de par leurs matériaux, leur posture, leur ton, moins de cohérence avec tout le reste, avec les autres sculptures. Si elles avaient été trop nombreuses, les sculptures auraient perdu en "lisibilité". Et puis, c'est vrai que je réalise moins de danseurs que de danseuses. C'est aussi au gré de mes rencontres … Ne sommes nous pas déjà exposés à moins de danseurs que de danseuses dans la vie courante ?

 

JR. : Pourquoi la plastique masculine vous attire-t-elle moins que la plastique féminine ? Pourtant, les gestes sont sensiblement les mêmes ?

HM-C. : Oui, c'est vrai. Je n'ai pas trouvé le modèle qui me donnerait envie de le reproduire. Et puis, dans mon entourage, j'ai plus d'amies femmes que d'hommes qui pratiquent la danse. Mais j'ai été amenée à rencontrer un danseur et je lui ai aussitôt demandé de le représenter. Il est très important pour moi de représenter des personnages que je connais.

 

JR. : Vous faites des dessins, des esquisses, avant de commencer vos sculptures ?

HM-C. : Non. Je commence directement. Je fais une sculpture miniature, avant d'aborder la grande.

 

JR. : Vous voulez dire une petite sculpture métallique ?

HM-C. : Oui. Je prends un fil plus fin qui me permet d'aller plus vite.

 

JR. : Et vous n'avez jamais eu l'idée de présenter la petite à côté de la grande ?

HM-C. : Je vais le faire, oui ! J'habillerai peut-être les petites de tissu, et je ferai les grandes, tout métal. Pour moi, il est important de jouer avec les ombres qui sont plus importantes avec les sculptures tout métal.

Cet entretien a été réalisé à BANNE, au Festival d'Art singulier, Art d'aujourd'hui ", le 18 juillet 2009.

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