(L 'I.N.P.I.)

L'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE ET LE DROIT D'AUTEUR DES ARTISTES

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Entretien de Jeanine Rivais avec M. Philippe Demarquez, responsable du Bureau des Dessins et Modèles, à Compiègne.

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Jeanine Rivais. : Monsieur Demarquez, qu'est-ce que l'INPI?

Monsieur Demarquez. : L'INPI est une administration sous tutelle du Ministère de l'Industrie. C'est donc un établissement public national, qui emploie environ 700 personnes. Il est chargé de la gestion administrative de tous les titres de propriété industrielle, dans les différents domaines de création, principalement l'invention : brevets d'invention, certificats d'utilité, pour tous procédés techniques, scientifiques, etc. Il gère également les marques de fabrique et de services : tout ce qui représente une image commerciale : noms, logos, symboles, sigles, etc. Il gère enfin les dessins et modèles, représentant toutes les créations de formes et d'aspects, aussi bien pour des objets industriels, quelle que soit leur nature, que pour des oeuvres artistiques, dans la mesure où elles peuvent être reproduites en série.

 

J. Rivais. : L'INPI a plusieurs implantations. Où se trouvent-elles et quelle est la spécificité de chacune ?

M. Demarquez. : Le siège social central de l'INPI se trouve à Paris, 26 bis, rue de Saint-Pétersbourg, Parie 8e. A ce siège sont situés la direction, les services généraux, l'agence comptable, les services financiers et autres, les principaux services concernant les brevets d'invention, les divisions administrative et technique des brevets et les services généraux de documentation, ainsi que le bureau d'accueil et des formalités.

L'autre implantation en région parisienne est à Nanterre, 32 rue des trois Fontanot. On y trouve la division des marques de fabrique, la division des sociétés et de l'identité commerciale qui gère le registre national, et le répertoire des sociétés commerciales, artisanales et autres, et le service informatique de l'INPI.

A Compiègne où nous sommes, se situe le bureau des dessins et modèles, 13 bis rue de l'Epargne, 60200. Y fonctionnent également l'imprimerie centrale, le service des archives anciennes, quelques services annexes de la division des sociétés.

Ces trois sites regroupent les services centraux de l'INPI. Mais des services régionaux regroupent les principales activités de façon plus sommaire, et permettent la diffusion de l'information en province. Les principaux centres régionaux actuellement en activité sont à Marseille, Lyon, Nice, Strasbourg, Nancy, Bordeaux, Rennes et Lille qui vient d'ouvrir récemment.

 

J. Rivais. : Qu'est-ce que la protection industrielle ? A quelles branches s'étend-elle ? Est-elle en activité en France seulement, ou également à l'étranger ? Si oui, comment s'opère sa vigilance ? Sinon, existe-t-il un organisme international, et comment fonctionnent-il ? Comment cette protection s'applique-t-elle aux artistes ?

M. Demarquez. : On parle plutôt de propriété industrielle. La protection découle de la création et de sa propriété.

Donc, la propriété industrielle couvre toutes les créations applicables à l'industrie, par définition ; créations d'ordre technique par les brevets d'invention ; créations d'ordre commercial ou images de produits ou de services par les marques de services ; créations de formes, pour les objets et dessins, y compris les oeuvres artistiques. La protection des formes est envisagée sur le plan purement esthétique, indépendamment de l'utilité technique des objets considérés.

La notion de propriété industrielle existe dans la plupart des pays. L'INPI gère seulement cette propriété pour la France, y compris les Territoires d'Outre-Mer.

Dans les autres pays, existent des services analogues, aux fonctions parallèles à celles de l'INPI, généralement implantés dans les capitales.

En ce qui concerne les principaux titres de propriété, il existe effectivement un organisme international : il se trouve en Suisse, à Genève, et s'applique essentiellement aux dessins et modèles ou aux marques. Il existe à Munich un autre organisme concernant spécifiquement les brevets européens.

L'organisme de Genève concerne directement les artistes : c'est l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, 34, Chemin des Colombettes, 1211 GENEVE 20. Il gère notamment pour les créations artistiques et les modèles, ce qu'on appelle "le dépôt international". Il a été conçu en vertu d'un arrangement international et s'étend à une quinzaine de pays. Les gens peuvent s'adresser à lui pour étendre la protection de leurs oeuvres. Pour être protégé dans des pays ne relevant pas de cet organisme, un artiste doit s'adresser à l'Office de Propriété Industrielle de chacun de ces pays.

Il n'y a pas d'organisme spécifique pour les artistes : ils bénéficient des mêmes droits de propriété que tout le monde. Pour certaines catégories d'artistes, existent cependant des services spéciaux : par exemple, la "Société des Gens de Lettres" est chargée, pour les écrivains, des enregistrements d'oeuvres littéraires ; la SACEM, "Société des Auteurs, Compositeurs, Editeurs de Musique ", fonctionne pour les musiciens et compositeurs.

 

J. Rivais. : Comment l'INPI appliquent-il sa vigilance sur les oeuvres qui lui sont confiées ?

M. Demarquez. : En tant qu'administration, l'INPI n'exerce aucune surveillance sur les dépôts qui sont faits. Il n'a qu'un rôle de réception des demandes, délivrance des titres et examen des demandes. Mais une fois le titre délivré, c'est au créateur de déceler lui-même les éventuelles contrefaçons.

 

J. Rivais. : Qu'est-ce qu'on peut "déposer" ?

M. Demarquez. : Pour les créations artistiques, le dépôt recouvre essentiellement les dessins et modèles. On peut déposer tout objet industriel nouveau et original, se distinguant par un aspect et une forme déterminés, envisagés sur le plan esthétique : il doit y avoir recherche d'un aspect nouveau, non imposé par des nécessités techniques.

On peut déposer toute oeuvre artistique, de former déterminée (sculpture, peinture, dessin) pouvant être présentée visuellement, et susceptible d'être reproduite à un certain nombre d'exemplaires.

 

J. Rivais. : Comment se fait l'inscription ? Quels sont les délais nécessaires au début de protection des oeuvres d'un artiste, et que lui en coûte-t-il ?

M. Demarquez. : Il y a deux possibilités de protection des oeuvres (oeuvres visuelles, matérialisées) :

D'une part, la loi du 11 mars 1957, sur la propriété littéraire et artistique : Elle protège toutes les oeuvres de l'esprit, y compris les créations photographiques, cinématographiques, musicales, etc. Mais aussi les arts appliqués sur des objets ou des dessins. Pour bénéficier de cette loi, il n'y a pas de formalités de dépôt : il suffit de pouvoir prouver sa priorité de création, par n'importe quel moyen à la convenance du créateur, et d'avoir une preuve irréfutable démontrant son antériorité sur des concurrents éventuels. Cette protection est acquise d'office à tout créateur.

On peut la compléter, obtenir un cumul, en demandant la protection spécifique des dessins et modèles, au titre de la loi du 14 juillet 1909. Cette protection ne peut être acquise que s'il y a dépôt des dessins et modèles, selon la procédure prévue par la loi.

Selon cette loi, le dépôt peut être fait au nom d'une personne physique, même mineure ; de plusieurs artistes associés ; d'un organisme, société ou association, à condition qu'ils soient légalement constitués. Dans tous les cas, le dépôt doit être effectué auprès d'un organisme agréé, INPI ou tribunaux de commerce. Les personnes ont le choix de déposer auprès de l'INPI Paris, de l'un des centres régionaux, ou du tribunal de commerce de leur domicile. Elles peuvent envoyer par voie postale à l'INPI Paris les documents déposés, par pli recommandé, avec accusé de réception.

Elles doivent présenter une reproduction de leur oeuvre, obligatoirement sur papier. Ce peut être le dessin lui-même, ou une reproduction photographique : Toute technique est acceptée, pourvu qu'elle soit sur papier.

Des formats limites sont imposés pour ces reproductions : 8cm/8cm minimum ; 15cm/I8cm maximum. Ces reproductions doivent être fournies en 2 exemplaires identiques. Chaque reproduction doit présenter un objet précis, sculpture, peinture ou autre. Eventuellement, peut être présentée une partie seulement de l'œuvre, quand il s'agit de photographies : vue de face, de profil, de dessus ; chaque reproduction déposée doit présenter un aspect déterminé de l'objet. Pour chaque objet, l'artiste doit fournir des documents séparés. Chacune de ces reproductions en 2 exemplaires doit être présentée sur un support délivré par l'INPI, sur lequel l'artiste colle un exemplaire de la reproduction dans le cadre prévu à cet effet. S'il s'agit d'un dessin, il peut être tracé sur le support lui-même. Sur le même support est mentionné le numéro d'ordre de la reproduction à l'intérieur du dépôt, le type de création présentée, le type d'aspect présenté (face, profil...)

On peut joindre à cette reproduction un texte appelé " brève description ", de 10 lignes maximum, figurant sur le même support. Ce texte est facultatif ; mais il peut être utile pour préciser les éléments qui n'apparaissent pas immédiatement sur la reproduction graphique, définir un style, attirer l'attention sur des points particuliers, etc.

S'il y a plusieurs vues d'un même modèle, il faut autant de supports que de vues différentes. On peut présenter jusqu'à 100 reproductions distinctes dans un même dépôt, numérotées de 1 à la dernière. Une fois les supports préparés avec les reproductions, le tout doit être empaqueté dans une enveloppe en papier, ou, s'il y a un certain nombre de feuilles, dans une pochette cartonnée dont l'épaisseur ne dépasse pas 4 cm. Sur cet emballage doivent être indiqués les noms et adresses du ou des déposants, ainsi que le nombre et la nature des objets déposés.

Le dépôt de modèles est fait d'emblée pour une durée de 25 ans, à compter du jour du dépôt au siège central ou aux centres régionaux, ou éventuellement à compter du jour de réception de l'envoi postal à l'INPI Paris. On doit compléter le dépôt par un "formulaire de déclaration de dépôt", délivré par l'INPI. Ce formulaire doit être dactylographié, et fourni en un seul exemplaire.

Une case de ce formulaire permet de demander l'ajournement de la publicité des modèles. Sinon, tout ce qui est déposé est obligatoirement publié dans les meilleurs délais possibles (maximum 3 mois), par l'INPI. La demande d'ajournement de cette publication se fait pour une durée unique de 3 ans. A l'expiration de ce délai, les objets sont automatiquement publiés.

Les redevances à verser au profit de l'INPI ne sont pas calculées selon le nombre d'objets déposés, mais selon le nombre de reproductions. La redevance de base pour le dépôt est actuellement de 250 francs. Pour une seule reproduction, le déposant ne paie que ces 250 francs. A partir de la seconde, il paie 150 francs pour toute reproduction supplémentaire. Il n'existe pas d'autre taxe pour le dépôt lui-même. On remet au déposant, comme récipissé de dépôt, le dernier feuillet de la liasse de déclaration, avec attribution d'un numéro national délivré par l'INPI, mentionnant les lieu, date, et visa d'authentification du document.

 

J. Rivais. : A partir de ce moment, la création est protégée ?

M. Demarquez. : Il n'y a aucune autre formalité à accomplir. Mais il faut savoir que c'est un régime de dépôt déclaratif : le déposant fait la déclaration de son dépôt, mais l'INPI ne fait ni recherche d'antériorité pour savoir si la création existe déjà ou non, ni examen de fond pour savoir si l'objet est suffisamment original ou caractéristique pour être protégé. La protection est de ce fait conditionnelle : Seuls, les tribunaux éventuellement saisis de l'instance, en cas de litige, peuvent se prononcer et décider s'il peut réellement être protégé.

 

J. Rivais. : Qu'appelle-t-on "droit moral" et "droit matériel" d'un artiste ?

M. Demarquez. : Il n'a pas de distinction vraiment précise entre les deux. Ils se confondent pour une grande part.

Le droit matériel découle de la propriété industrielle en général, pour toute création pouvant être considérée comme la propriété de son auteur. Elle ne peut être reproduite sans l'accord de l'auteur lui-même. Cet accord doit être négocié, et un contrat signé entre le créateur et les personnes ou entreprises intéressées : éditeur, industrie, ou toute personne désireuse d'exploiter commercialement cette création. Dans ce cas, le créateur perçoit des droits définis d'avance pour les oeuvres littéraires, ou négociables selon la forme des contrats passés.

Le droit moral est évidemment beaucoup plus vague. C'est le fait pour un créateur de ne pas subir d'atteinte à sa création, qu'elle ne soit pas détournée à des fins éventuellement immorales, illicites, etc. qu'elle ne soit pas déformée, défigurée, dénaturée au point de porter atteinte au renom de l'artiste. Dans de tels cas, ce dernier peut naturellement engager une action devant les tribunaux pour obtenir réparations. Ces réparations sont de principe, et non directement chiffrées.

 

J. Rivais. : A la mort d'un artiste, le nom, le modèle déposés restent-ils la possession des ayant droit, comme pour les droits d'auteurs ; ou la possession s'éteint-elle avec l'artiste ?

M. Demarquez. : Lorsque l'artiste disparaît, le droit acquis soit par le dépôt de modèle, soit au titre de la loi de 1957, reste acquis aux ayant droit (héritiers, cessionnaires de droit désignés par l'artiste lui-même, légataires, etc.) Des règles sont en vigueur pour un dépôt de modèle valable 25 ans, ou prorogé à 50 ans. Quelle que soit la date de la mort de l'artiste, le droit continue à courir pour toute la période prévue, y compris la prorogation.

 

J. Rivais. : A partir du moment où l'artiste a déposé un nom ou un modèle à l'INPI, comment fonctionne votre protection ? Est-ce vous qui constatez les vols ou plagiats, ou l'artiste doit-il lui-même exercer sa vigilance ?

M. Demarquez. : Il y a intervention de l'INPI pour la conservation des modèles déposés, pendant toute la durée de la protection ; pour la publication des dépôts, puisque désormais tous les modèles sont publiés, selon une procédure précise : la mise à la disposition du public d'une reproduction photographique de ces objets dans une collection accessible, ou dans une salle de consultation de l'INPI Paris. Dans un avenir proche, ces reproductions seront publiées dans un bulletin officiel à parution mensuelle.

Cette procédure de publication et la délivrance possible de copies officielles appelées " certificats d'identité de modèles " est appliquée en cas d'action en contrefaçon, pour justifier du dépôt devant les tribunaux.

L'INPI ne pratique aucune surveillance en ce qui concerne les contrefaçons ou plagiats. Seul, l'artiste, s'il est mis en cause, doit les constater, et engager éventuellement une action.

 

J. Rivais. : Mais s'il vous demande votre témoignage, vous le donnez sous les formes dont vous venez de parler ?

M. Demarquez. : Copies de modèles déposés, certificats de dépôt, ou même dans des cas plus particuliers, témoignages écrits ou verbaux. Selon la demande qui a été faite : l'INPI est là pour justifier pleinement de la formalité de dépôt qui a été faite, et répondre à toutes les demandes.

 

J Rivais. : Un artiste veut déposer son nom, son oeuvre, comment peut-il vérifier que personne n'a déposé le même nom, ou une oeuvre similaire? Et combien lui en coûte-t-il pour avoir accès à vos dossiers ?

M. Demarquez. : S'il s'agit d'un pseudonyme, ou du patronyme, le nom peut être protégé en tant que marque de fabrique. La seule possibilité de protection des noms inventés passe par le dépôt auprès de l'INPI, au titre de la loi du 4 janvier 1991. Tous les noms protégeables sont enregistrés en tant que marque déposée.

Il est possible de faire une recherche informatisée auprès de l'INPI Paris, ou de préférence à l'INPI Nanterre, surtout pour les noms enregistrés et les dépôts de marques.

Pour les créations de formes (sculptures, dessins, etc.) c'est beaucoup plus difficile, parce que l'INPI ne procède à aucune recherche d'antériorité sur ces créations. Il est d'ailleurs très difficile de juger si les créations sont exactement identiques à d'autres ; la seule possibilité de recherche sur les modèles déposés est la consultation des modèles publics, dans la collection de l'INPI Paris. Cette consultation ne peut être faite que par l'intéressé ou ses ayant cause, et par les professionnels. Elle est toujours aléatoire, mais elle peut donner une idée de ce qui a été déposé ou publié. Pour mémoire, depuis 1910, 315000 modèles ont été publiés.

Aucun frais n'accompagne cette consultation. Par contre, il y a des redevances pour toute recherche de nom auprès du service des marques. Pour une demande de photocopie d'un modèle, ne sont demandés que les quelques francs de photocopie. Pour toute copie officielle, il est demandé 68 francs par modèle concerné.

 

J. Rivais. : Comment s'établit un droit de préemption sur un nom ou sur une œuvre ? N'y a-t-il pas eu des injustices par rapport à des artistes qui avaient travaillé sous certains noms, à certaines oeuvres, et qui ont dû y renoncer sous prétexte qu'ils ne les avaient pas "déposés" ?

M. Demarquez. : Tout dépend s'il s'agit du patronyme ou d'un pseudonyme. Pour le patronyme, il ne peut y avoir de règles spéciales, car peuvent apparaître des coïncidences d'état-civil. S'il s'agit d'un nom inventé, le cas relève du droit des marques. J'ignore s'il existe d'autres règles particulières. Pour l'oeuvre elle-même, le droit de préemption est évidemment le droit de propriété. Le premier à avoir fait l'oeuvre bénéficie des droits du créateur. Il est supposé avoir, par conséquent, les meilleures preuves de son antériorité. Le premier à faire valoir ses droits est présumé être ce créateur, jusqu'à preuve du contraire. Si une tierce personne peut apporter la preuve que l'oeuvre existait préalablement, le déposant ne peut alors plus rien revendiquer.

 

J. Rivais. : Même s'il l'a déposée ?

M. Demarquez. ; Même s'il l'a déposée. Le dépôt n'a plus d'effet si quelqu'un peut administrer la preuve que l'oeuvre avait déjà été créée à la date du dépôt, même si cette antériorité n'était que de quelques jours.

 

J. Rivais. : Pouvons-nous examiner quelques possibilités de litiges ?

1/ Un artiste a un nom. Un autre artiste prend le même. Comment les choses se passent-elles, et comment l'artiste lésé peut-il se défendre ? Avez-vous des exemples pour illustrer cette question ?

M. Demarquez. : Vous parlez du cas où il s'agit de son nom patronyme. Si un autre artiste prend le même en tant que pseudonyme, il peut y avoir recours ; mais si c'est une correspondance patronymique, il n'y a pas de recours possible : on ne peut pas empêcher les gens d'utiliser leur propre nom.

S'il s'agit de deux pseudonymes, le cas relève du droit des marques, comme nous l'avons vu précédemment.

Pour se défendre, l'artiste doit avoir recours aux procédures prévues par la législation, en s'adressant aux tribunaux compétents.

Je n'ai pas d'exemples, puisque l'INPI n'assure pas le suivi judiciaire de ces protections.

 

J. Rivais : 2/ Un artiste a un style, une oeuvre personnalisée. Un autre artiste présente une oeuvre manifestement plagiée, en tout cas fortement inspirée de la première : comment les choses se passent-elles ?

M. Demarquez. : La notion de style est toujours difficile à définir. La protection en matière de modèles ne peut concerner que des objets ou des oeuvres bien déterminés, et non un style général, une idée, un genre artistique.

Il arrive, dans un certain nombre de cas, sans que les productions soient absolument conformes, qu'une oeuvre soit très directement inspirée du style d'un autre artiste : Si ce style est tout à fait personnalisé, l'artiste peut avoir un recours. S'il n'a pas de titre de propriété, l'action suit les règles générales du droit d'auteur. Elle ne dépend pas de l'administration : il faut consulter les Conseils en propriété intellectuelle, des cabinets spécialisés dans ces problèmes.

 

J. Rivais : 3/ Un salon artistique a déposé un label à la Préfecture de Police. Ses statuts ont été publiés depuis longtemps au Journal Officiel. Un autre groupe s'empare de ce label. Que peut faire le premier ? Une nuance orthographique peut-elle excuser ou justifier cette prétention?

M. Demarquez. : Ce genre de question n'est pas directement du ressort de la propriété industrielle. On peut envisager dans certains cas des actions en concurrence déloyale, lorsque les activités sont nettement caractérisées. Mais ces actions ne relèvent pas des services de l'INPI. Pour les détails, les procédures possibles, il serait préférable de consulter les Conseils en propriété industrielle, ou des avocats spécialisés dans ces domaines.

 

J. Rivais : 4/ Le nom d'un salon, le titre d'une exposition peuvent-ils être considérés comme une "notion intellectuelle", déniant à ce salon, ce groupe ou cet artiste le droit de poursuivre en justice une personne ou un autre groupe coupable de s'emparer de ce titre ?

M. Demarquez. : C'est pratiquement lié à la question précédente. Il faut consulter des spécialistes en propriété industrielle.

 

J. Rivais : Un organisateur responsable de s'être emparé d'un titre existant, à des fins personnelles, ou au bénéfice d'un groupe, est-il personnellement responsable ? Ou bien la responsabilité incombe-t-elle au musée organisateur ? Ou à la galerie ? Ou à la ville dont dépend le musée ?

M. Demarquez. : Il semble assez logique que la responsabilité revienne à l'organisateur et non à la galerie ou à la ville qui ne font que prêter leurs locaux. Mais il est préférable de consulter des spécialistes.

 

J. Rivais. : Comment pourrait-on résumer les avantages qu'ont les artistes à s'adresser à l'INPI, pour la protection de leurs œuvres ?

M. Demarquez. : Il n'y a jamais d'obligation. Chacun est libre de demander ou non une protection par les moyens légaux.

Dans certains cas, cette protection ne peut être acquise que par des formalités de dépôt (appellations, marques, pseudonymes).

Dans d'autres cas, l'artiste peut choisir différentes formes de protections (création de formes, dessins). Il bénéficie d'office de la protection de la loi de 1957 sur la propriété artistique. Mais cette protection n'est pas toujours commode à mettre en oeuvre. L'artiste a donc intérêt à se donner au moins les moyens de preuve de la date de création : le fait de recourir à l'INPI pour compléter la protection par des dépôts peut lui assurer des avantages importants, notamment par la dissuasion vis-à-vis des concurrents : le fait qu'un modèle soit déposé permet de mettre une mention facultative, "Modèle déposé", qui dissuade les plagiaires éventuels. Le dépôt fixe la date incontestable de la création et permet d'utiliser en cas de contrefaçons des procédures prévues par les textes. Ces garanties sont plus faciles à utiliser, plus avantageuses que s'il n'y a aucune formalité de dépôt.

Lorsque le créateur ne recourt pas au dépôt proprement dit de dessins ou de modèles, il peut quand même s'adresser à l'INPI pour se constituer une preuve de la date de création : il existe pour cela un système particulier : les enveloppes Soleau. Ce système permet à tout créateur de faire constater officiellement la date de création, sur papier, photographie, dessin, descriptif de l'oeuvre, texte littéraire ou tout autre document, en adressant 2 exemplaires de ce document dans une enveloppe spéciale. Cette enveloppe comprend deux pochettes et est vendue par l'INPI au prix de 55 francs. A l'arrivée à l'INPI, elle reçoit une perforation avec un numéro d'enregistrement et la date de réception. L'un des volets est conservé par l'INPI, l'autre retourné à l'expéditeur.

Indépendamment de cela, l'INPI peut avoir un rôle de conseil sur les conditions générales de protection, de recherches partielles sur les créations déjà réalisées. Mais en aucun cas, il ne peut intervenir dans une action judiciaire proprement dite, sinon en fournissant les documents nécessaires. L'administration n'exerce aucune action de soutien ou de défense des intéressés.

 

J. Rivais. : Pour terminer, et pour résumer, quels sont les textes législatifs sur lesquels peuvent s'appuyer les artistes pour la protection de leurs œuvres ?

M. Demarquez. : Comme nous l'avons déjà dit, tout dépend des oeuvres considérées : Pour la protection des formes, la loi principale est celle du 11 mars 1957, sur la propriété littéraire et artistique. Elle protège d'une manière globale toutes les oeuvres de l'esprit : livres, brochures, écrits littéraires, cinématographiques, photographiques, chorégraphiques, etc. Cette loi de 82 articles assure une protection générale, sans formalités de dépôt, à tous les auteurs de ces créations. La durée de protection s'étend jusqu'à 50 ans après le décès du créateur.

Plus spécifiquement, la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles concerne la protection des modèles industriels ou dessins. Cette loi a été modifiée récemment par la loi du 26 novembre 1990, pour un certain nombre de formalités.

L'arrêté du 9 mai 1986 concerne l'emploi des enveloppes Soleau. Il régit actuellement ce système sur un plan purement administratif.

 

J. Rivais. : Pouvez-vous nous donner quelques statistiques concernant les dépôts ?

M. Demarquez. : Le nombre de dépôts a évolué depuis l'origine d'application des lois. Il a surtout augmenté entre 1982 et 1988, où le nombre de dépôts de modèles a pratiquement doublé.

Il y a actuellement près de 8400 dépôts annuels. Chaque dépôt contenant plusieurs modèles, le nombre total des modèles déposés dans l'année dépasse 25000.

 

J. Rivais. : Et avez-vous, depuis la création de l'institut, une idée du nombre de dépôts?

M. Demarquez. : Il n'y a pas eu de statistiques sur le cumul des dépôts et des modèles. Par contre, pour les modèles publiés, il y a depuis l'origine, une numérotation continue : entre 1910 et mai 1992, nous sommes parvenus à 315000 modèles. Sur ce total, près de 200000 ont été publiés dans les vingt dernières années.

Les enveloppes Soleau sont également en forte évolution ces dernières années : près de 18000 sont déposées annuellement. Il est probable que ce nombre augmentera encore dans les prochaines années.

On pourrait, en conclusion, mentionner qu'en France et dans un certain nombre de pays, s'impose ce qu'on appelle "la thèse de l'unité de l'art". Selon cette thèse, il n'y a pas de distinction entre la création artistique et la création industrielle. Un objet industriel, même assez banal, comme un article ménager casserole, etc. peut être considéré comme une création artistique ; et une création artistique en tant que telle, relève de la protection industrielle, du moment qu'elle peut être reproduite en série. Les juristes ne se sont jamais accordés pour faire une séparation entre l'art et l'industrie. D'où le recoupement dans les protections des oeuvres artistiques et des oeuvres industrielles. Cette thèse de "tout est de l'art" est toujours en vigueur depuis de nombreuses années en France et ne semble pas devoir disparaître.

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Les prix indiqués dans cet entretien sont entrés en vigueur le 15 septembre 1992, et sont susceptibles de variations postérieures.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 281/282 DE DECEMBRE 1992 DES CAHIERS DE LA PEINTURE.