GUICHOU, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : " Guichou ", est-ce votre vrai nom sans prénom ? Ou est-ce un pseudonyme ? Est-ce, comme pour " Michou ", par exemple, une appellation un peu tendre ?

Guichou : Je ne pense pas, parce qu'en fait, depuis ma petite enfance, on m'a appelée Guichou, sans savoir que c'était mon nom de famille !

 

JR. : Vous avez apporté deux sortes de créations qui me semblent à la fois dans une continuité et dans une rupture. Les sculptures ont fait l'unanimité par le questionnement qu'elles suscitent : êtes-vous la mâcheuse, puisqu'elles sont conçues en chewing-gum ?

Gu. : Oui, tout à fait ! J'ai commencé comme tout le monde, à mâcher du chewing-gum. Puis, j'ai été surprise par la matière, et la facilité avec laquelle on pouvait la façonner.

 

JR. : N'y a-t-il pas, par moments, une sorte d'exaspération à vouloir créer ?

Gu. : Non, parce que je pourrais dire que j'y laisse mes tripes, en tout cas, j'y laisse quelque chose de moi, qui est concret. Chaque fois qu'un artiste crée une œuvre, il laisse quelque chose de lui-même, mais là, c'est vraiment le cas ! J'y laisse, par exemple, ma salive ! Je dirai même que j'y laisse mon ADN !

 

JR. : Est-ce qu'il était indispensable de créer quelque chose de formel à partir de ce matériau ?

Gu. : A vrai dire, je ne me pose pas la question. A un moment donné, j'avais besoin d'un matériau pour créer ce que j'avais en tête, c'est donc par hasard que j'en suis venue à utiliser cette matière.

 

JR. : Comment est né ce hasard ?

Gu. : D'une colère ! J'étais au téléphone avec un galeriste. D'énervement, j'ai tiré mon chewing-gum jusqu'au moment où j'ai raccroché le combiné, et où je me suis retrouvée avec cette matière entre les doigts. J'ai " senti " la matière. J'ai senti que c'était doux, cela m'a surprise. Je l'ai mise dans une boîte d'allumettes, et à partir de là, j'ai commencé à faire une petite tête. Et ça marchait ! Cela représentait ce que je voulais, et presque sans effort. Et depuis, j'ai continué !

 

JR. : En fait, c'est la même démarche qu'un céramiste qui va créer dans la terre molle, une forme qui deviendra dure ?

Gu. : Je pense que cela va un peu plus loin. Parce que le fait de l'avoir mâché… Chacun sait qu'on ne partage son chewing-gum qu'avec son amoureux ! Cela peut fonctionner en ce sens. Mais ce peut aussi être l'inverse : même si ce n'est pas un joli mot, la salive peut également être crachat ! Donc, dans un sens comme dans l'autre, cela peut aller très profondément.

 

JR. : Selon votre humeur, vous pouvez dire : " je crache ma bile ", ou bien " je caresse… "

Gu. : …Je donne un baiser ! Exactement !

 

JR. : Il me semble que les sculptures sont plus directement de l'ordre familial que les peintures : les éléments de la vie, la communion solennelle, le mariage, la naissance, la vieillesse pas toujours très belle, car les têtes sont parfois tourmentées…

Gu. : En général, je laisse libre cours à l'imagination du visiteur. Je n'aime pas trop raconter. Je trouve qu'une fois l'œuvre terminée, elle doit parler d'elle-même, et chacun doit y prendre ce qu'il veut. Sur tel tableau, vous voyez trois personnages vieux, quelqu'un d'autre y verra autre chose ! Chacun peut " partir " là où il a envie d'aller.

 

JR. : En effet, le tableau que nous évoquons s'intitule " Equipe de nuit " : ce ne sont donc pas des gens usés par l'âge, mais des gens usés par le travail. Ces gens aux visages noirs, semblent illustrer l'expression populaire : " Comme un lundi matin " : deux d'entre eux font grise mine, tandis que le troisième semble ravi.

Gu. : Tout cela est psychologique, et permet de fantasmer à l'infini !

 

JR. : Venons-en aux peintures. Là encore, vous allez d'œuvres où les personnages sont trois, à celles qui en portent une multitude. Il faut alors être très près des toiles pour en voir les détails.

Gu. : Seul le fond est coloré, et le graphisme est par-dessus les taches. Ce qui me plaisait, en fait, c'est que de loin, on pourrait penser à un tableau abstrait, et plus on s'approche, plus on peut voir les figures. On peut donc jouer sur les deux.

 

JR. : Dans quel état d'esprit faut-il être, pour passer de ces toiles où les personnages sont en grand, parfaitement figuratifs, presque réalistes, à ces toiles aux multiples têtes qui ne font qu'un graphisme continu ?

Gu. : Là, je travaille totalement avec l'inconscient. Je ne pars pas avec une idée fondée. Je peux rester des heures dans l'atelier à réfléchir à une idée, mais à partir du moment où je passe à l'acte, qui est celui où je ne travaille plus dans ma tête, la plupart du temps je ne fais pas ce à quoi j'avais réfléchi. Je me laisse guider. Ce qui fait qu'à la fin de mon travail, j'en suis moi-même spectateur. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'apparaissent des moments qui peuvent rappeler mon vécu.

 

JR. : En somme, cette progression non contrôlée vous amènerait inéluctablement à une scène vécue ?

Gu. : Souvent, oui. Parce qu'il me semble impossible d'inventer : on marche dans la rue, on regarde, on voit des scènes… Je pense qu'on les enregistre dans son cerveau. Et ce qui me plaît, c'est lorsque je " me déconnecte " et que tout ce que j'ai emmagasiné dans ma tête ressort sur la toile ! Mais inconsciemment. Du coup, quand je le regarde, je vois des visages qui vont me rappeler des hommes, des sujets auxquels j'ai réfléchi peut-être un an auparavant, mais qui ne ressortent que bien longtemps après.

 

JR. : L'un de vos tableaux, intitulé " Gargantua " relève, lui, plutôt de l'ordre du référent ?

Gu. : Là, c'est pareil. Je ne suis pas partie de l'idée de " faire " Gargantua, ou ce que j'ai pris plutôt pour une scène du Jugement dernier. Mon titre raconte l'histoire que j'y ai vue, quand j'ai eu fini. Et qui, pour moi, était assez claire. Qui s'est imposée à moi. Mais ce n'est pas toujours aussi évident.

 

JR. : Au tympan des églises, les bons vont d'un côté, les méchants de l'autre. Mais ici ?

Gu. : Si on regarde un par un les détails, on voit que l'un montre du doigt le personnage qui est devant lui, comme s'il désignait un coupable… Un autre pousse une femme devant lui, comme si, elle aussi, devait être jugée la première…

 

JR. : Nous sommes donc là en plein dans le domaine de l'humour noir ?

Gu. : Noir, mais en même temps, c'est la réalité, telle qu'on la voit, qu'on la vit, surtout en ce moment, avec ce qui se passe dans le monde !

 

JR. : Venons-en à cette toile qui, de loin, donne l'impression d'être sur un fond non signifiant. Mais là encore, en s'approchant, on voit qu'il y a un grand nombre de têtes devant lesquelles se trouvent trois personnages en train de regarder un étrange mariage, puisqu'il s'agit d'un coq et de ce qui n'est pas une poule (le volatile) mais qui peut être une poule au sens péjoratif. Et derrière, la cigogne apporte la mort. Sommes-nous dans une danse macabre ? Dans une scène de vie ? Comment analysez-vous ce tableau ?

Gu. : Je pense que nous soyons dans une scène de vie, puisqu'il s'y pose un problème essentiel, celui de l'amour. Il y a en même temps le mariage, la naissance, la mort. On pourrait épiloguer sur celui qui est en train de se rouler une cigarette, qui est peut-être faite de substances hallucinogènes. Est-ce que tout cela n'est pas la réalité ?

 

JR. : Tout de même, il y a un paradoxe : Dans la tradition populaire, la cigogne apporte la naissance. Ici, elle apporte la mort.

Gu. : Pas toujours la naissance, parce que parfois, la mort arrive avec la vie. Je ne dirai pas qu'elle arrive plus vite, même s'il peut arriver que la mort arrive avant la naissance.

 

JR. : Ce coq et cette personne sont donc les fantasmes de cet homme ?

Gu. : Oui, mais ils n'ont pas de complémentarité, et pourtant on a l'impression qu'ils voient la même chose !

 

JR. : Ce serait donc une sorte peut-être pas de trinité, mais de trio qui aurait le même fantasme ?

Gu. : Peut-être ? En tout cas, tout le monde pense à ce problème. C'est la vie, c'est la mort, c'est le mariage, d'autant qu'il est impossible de définir si la personne qui tient le voile est une femme ou un homme ? Et qui produit des œufs, aussi.

 

JR. : Nous sommes donc dans une totale inversion fantasmagorique ?

Gu. : Oui, peut-être un monde à l'envers ?

 

JR. : Souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce que nous venons de dire ?

Gu. : Oui, j'aimerais parler du " Déjeuner sur le bitume ". C'est ma façon de dire qu'il y a eu une époque où on allait déjeuner sur l'herbe ; et que maintenant des gens sont forcés de manger dans la rue !

 

JR. : Il faudrait donc voir une portée sociale, sociologique, dans ce travail ?

Gu. : Oui. Tout ce qui touche au social me concerne, et quand j'arrive à le traiter je suis contente, parce que justement la plupart du temps, il y a des sujets que je n'arrive pas à traduire. Ils n'arrivent qu'inconsciemment. Là, je suis partie d'un personnage, et l'histoire en a découlé. Et c'était un sujet qui me convenait parfaitement.

Cet entretien a été réalisé à BANNE, au Festival d'Art singulier, Art d'aujourd'hui ", le 16 juillet 2009.

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