VIE PAISIBLE AU VILLAGE, de FRANCOISE GÜGGENBÜHL, peintre

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Depuis fort longtemps, les historiens se sont penchés sur les tenants et les aboutissants de l'Art naïf. Ils ont, entre autres conclusions, affirmé que la plupart des artistes qui s'en réclament sont des autodidactes ; qu'ils sont sensibles à des sources locales et à des traditions ; qu'ils se préoccupent d'une nature perdue présentée comme idyllique ; et que, concernés par le quotidien, ils l'idéalisent.

Il semble bien que Françoise Güggenbühl soit sortie tout droit d'un de leurs ouvrages, elle qui, pour l'essentiel, peint des villages, tout au plus des petites villes où il est possible de flâner sans risque ; des écoles où la maîtresse porte un chignon et une robe longue ; des parcs publics où les manèges ont des airs bon enfant… Mais dire "des villages ", revient à omettre l'essentiel : il faudrait dire plutôt des villages " avec " scènes, des parcs " avec " promeneurs, des classes " avec " élèves, etc. Car les gens sont présents dans tous les lieux qu'elle " investit ", et la façon dont elle peint, fait que le cadre et les protagonistes conçus dans un même esprit populaire, sont absolument indissociables.

Subséquemment, son travail possède une qualité rare dans cette mouvance : la vie. C'est là le premier paradoxe de cette œuvre miniaturisée, qui montre des personnages raides et donne néanmoins le sentiment qu'ils sont animés ; qu'ils vaquent à leur quotidien ; qu'ils sont concernés par les autres et qu'ils se parlent : Comme ces femmes engagées dans une conversation, debout autour de leur panier posé par terre. Comme ces couples dansant sur le mail, au son d'un orchestre, et dont les jambes lancées en arrière impliquent qu'ils tourbillonnent. Comme cette famille dans son salon, où l'on fête Noël dans une grande convivialité autour du sapin scintillant. Ou encore comme ces petits vieux cheminant de concert, le dos plié en deux, leurs mains noueuses crispées sur leurs cannes… Il faudrait poursuivre à l'infini cette énumération, la subjectivité de chaque visiteur lui faisant noter la psychologie et le pittoresque de tel détail plutôt que de tel autre…

Et, ce qui est surprenant c'est que, autodidacte comme il est dit plus haut, l'artiste a un sens inné d'une profondeur de champ qui place au premier plan -toujours-ses personnages ; presque sur le même niveau, les éléments à échelle humaine (manège, kiosque à musique, guitoune du marchand de châtaignes ou de la marchande de fleurs…) ; un peu plus loin, avec des amorces de rues qui confortent cette profondeur, les habitations, la mairie, un clocher… et tout au fond, juste avant la ligne d'horizon sur laquelle se détachent des toitures minuscules, des arbres, avec leurs feuilles si parfaitement rangées, au-dessus desquels, figés, s'étendent les ciels mamelonnés !

Le second paradoxe consiste, pour Françoise Güggenbühl à peindre des foules, tout en créant une ambiance intimiste : un petit monde d'où est exclue la bousculade ; où chacun connaît sa place, et y évolue en affinité avec autrui : un garçon qui aborde une jeune fille, une maman tendant à son enfant de la barbe à papa ; la maîtresse expliquant aux élèves les arcanes du squelette humain… Peut-être cette impression de vie paisible et harmonieuse tient-elle aux lignes sobres et sécurisantes des bâtiments, en concordance avec celles toutes simples des silhouettes des personnages ? La simplicité est, en effet, l'apanage de cette création où l'artiste ne s'attarde pas à détailler les visages ni à travailler les vêtements : les uns sont de petits ovales sous les opulentes chevelures, les autres d'une seule teinte, veste blanche et jupe verte, pull rouge et pantalon noir… faisant une petite tache de couleur qui attire l'œil, mais en même temps se fond dans l'ensemble pour former un joli damier polychrome.

A partir de là, Françoise Güggenbühl " rentre dans le livre de l'Art naïf ", avec son dessin d'une précision minutieuse, mais surtout avec ses sujets narratifs, autant de souvenirs d'une enfance qu'elle revoit apparemment avec regret, mais aussi avec un brin d'humour : la pêche à la grenouille ; la bataille de polochon dans le dortoir, avec les pantoufles qui ont volé partout ; et la lune et la chouette qui observent par les fenêtres, les évolutions d'un fantôme dont seul dépasse du drap, le bas du pyjama ; les enfants dressés sur la pointe des pieds près du comptoir de l'épicerie, pour attraper des bonbons dans un bocal dont la simple vue fait remonter toutes sortes d'odeurs dans le cœur du spectateur …

Comment se fait-il que les œuvres descriptives à connotation naïve aient toujours un petit air passéiste ? Est-ce parce que la vie était naguère plus légère que le monde d'aujourd'hui ? Est-ce parce que le soin apporté par l'artiste à donner à chaque élément de son tableau sa juste place le ramène au temps d'autrefois où chaque détail d'une histoire prenait naturellement son importance ? Est-ce parce que, n'ayant pas " appris " à dessiner dans les écoles (dé-)formatrices contemporaines, les incertitudes plastiques du peintre deviennent autant de petites formes pictographiques personnalisées, étrangères à l'histoire des styles, des écoles, du temps et des modes… Est-ce enfin parce que, contrairement à la chanson, la tendresse et la nostalgie sont bien toujours ce qu'elles étaient ? Quelle que soit la réponse, les œuvres de Françoise Güggenbühl sont, par leur méticulosité et l'évident plaisir de peindre qu'elle manifeste, de véritables poèmes et d'authentiques pages d'ethnographie.

Jeanine Rivais.

Ce texte a été ublié dans le N° 72 de Février 2003 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

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