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Sa
passion pour la vie des gens simples remonte-t-elle à son
enfance où elle aurait coulé des vacances heureuses
dans quelque petit village ? Ou bien Martine Clouet a-t-elle,
à l'âge adulte, fait des comparaisons entre le
bouillonnement citadin et la calme sérénité
villageoise ? Toujours est-il qu'elle a, sans équivoque,
opté pour cette dernière. Qu 'elle en a adopté
le rythme ; la " racontant " au fil des saisons avec une verve
picturale très personnelle ; s'attardant avec la plus grande
attention sur ses petits problèmes quotidiens ; choisissant de
les exprimer dans une facture naïve qui sied à merveille
à cette éthique passéiste, voire nostalgique de
valeurs trop souvent disparues
Naïve et autodidacte. De ce fait, elle ne se préoccupe pas de perspective. Et le spectateur a devant lui, de façon récurrente, une unique rue traversant horizontalement le tableau ; une unique rivière, toutes les maisons se serrant les unes contre les autres sur une unique berge ; un port avec un unique bras de mer, etc. Car la scène se situe chaque fois " dans " le village et non pas, comme chez beaucoup d'artistes de cette mouvance, dans la campagne dont il ne serait qu'un élément. Martine Clouet parfait ensuite avec une infinie patience et une précision d'ethnographe, l'intimité de ses lieux (petites maisons trapues aux fenêtres fleuries, églises à dimension humaine, vitrines à l'ancienne ) ; de façon à ce qu'ils suggèrent d'emblée un mode de vie sans sophistication, où les gens se connaissent et se parlent ; où les volets ne sont jamais clos ; tandis qu'au long de la rue commerçante, se succèdent les magasins aux noms goûteux comme des fruits mûrs, " Jardin secret ", " Entre Chiens et Chats ", " L'atelier du phare " Tous les éléments de ces décors villageois sont en harmonie, comme interdépendants : une échappée sur la baie et sa minuscule plage de sable chaud servent de toile de fond à la fête patronale ; l'Hôtel de Ville prête sa majesté et sa rigueur architecturale à un mariage ; la rivière est gelée pour le plus grand plaisir des enfants ; les plates-bandes du jardin public entrelacent leurs allées sablées sur lesquelles il fait bon flâner
Et, à l'avant-plan de cet entourage familier, tout près, presque à la toucher, la vie ! La vie qui éclate dans toutes les uvres de Martine Clouet ; bien calée dans un décor à sa mesure ; bon-enfant, cordiale, chaleureuse, conviviale ; depuis le mariage en grande pompe immortalisé-devant-l'Hôtel-de-ville-solennel, par les caméras des invités ; jusqu'au Pardon breton, où, derrière la bannière, les fidèles en costumes régionaux avancent en direction du calvaire, sur-fond-de-baie-et-de-plage; depuis les enfants qui s'ébattent-sur-la-rivière-gelée ; jusqu'au jeune garçon avançant à skate-board-devant-les-vitrines-des-magasins, etc.
Tout ce petit monde s'active
posément, se hâte lentement, vend ses fleurs, se
bécote sur un banc, bavarde ou se promène
car
l'artiste sait à merveille, grâce à la
fluidité des silhouettes de ses personnages, les faire se
parler à l'oreille ; incliner le chapeau rond d'un Breton vers
la coiffe tuyautée d'une jeune fille ; jeter les quatre fers
en l'air
le maladroit qui n'a pas su garder l'équilibre sur la glace,
faire ramper à quatre pattes dans l'herbe drue de la pelouse
le bébé qui ne voit pas pourquoi il se fatiguerait
à marcher
Au point que le visiteur réagit
subjectivement à chacune de ces postures, complétant
mentalement le geste, l'accompagnant d'une onomatopée,
compatissant, s'amusant en somme avec la créatrice, se faisant
son complice dans son monde si particulier
Pour rendre cette impression de vie, Martine Clouet a, bien sûr, réduit les personnages à leurs lignes essentielles, simplifiant les visages, donnant par contraste une surprenante opulence aux chevelures dont les couleurs prolongent, dévient, cassent le mouvement des corps. Car il faut bien aussi parler des couleurs. Celles du ciel, bleu profond des longues journées d'été ; gris pommelé par les jours froids d'hiver. Celles, chaleureuses, des vitrines. Celles enfin des vêtements monochromes ou tout au plus bicolores, vives sans être jamais criardes, jouant les unes des autres de façon à former de petites taches qui d'emblée conquièrent l'il.
Et finalement, si attentif et tendre est le pinceau de l'artiste que chaque scène semble se dérouler dans une sorte d'écrin douillet bordé ici par les arbres défeuillés dont les branches lourdes de givre encadrent l'alignement des maisons ; là par des feuillages épais ceignant la mairie de leur vert brillant ; ailleurs par les géraniums familiers qui se penchent au-dessus des têtes des passants, etc. Et de tout ce bien-être implicite, de cette évidente philosophie confirmant qu'il fait bon prendre son temps, se dégage une sorte de poésie du bonheur
Laquelle, parfois, glisse vers une fantasmagorie comparable à celle du Magicien d'Oz, doucement onirique ; clin d'il léger comme celui que fait la lune lorsqu'elle voit grimper vers elle Le petit ramoneur Rejoindre la lune ! N'est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir secret de tout humain, a fortiori de tout créateur ? Alors, avec Martine Clouet, foin des styles, des modes, des géographies et des temps, il fait bon entrer dans son monde, et rêver !
Jeanine Rivais.
Ce texte a été publié dans le N° 72 de Février 2003 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.