ENTRETIEN DE JEAN-PAUL BAUDOUIN

Avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Jean-Paul Baudouin, vous semblez avoir deux gammes de créations : comment reliez-vous la première, très sobre, conçue terre sur terre, en gardant les teintes naturelles, à la seconde où vous couvrez cette terre de couleurs très vives ?

Jean-Paul Baudouin : Cela varie au long des années !

 

J.R. : Donc, tantôt, vous optez pour l'une, tantôt pour l'autre ? Certaines années, vous êtes dans la plus grande sobriété, d'autres années dans le plus que baroque, je dirai même dans le clinquant ? Qu'est-ce que ces couleurs tellement flamboyantes vous apportent ?

J-P.B. : L'une me change de l'autre. Je trouve très agréable de travailler avec de l'or. C'est un matériau précieux. L'or est magique.

 

J.R. : Il vous permet de retrouver le monde des alchimistes ?

J-P.B. : Oui.

 

J.R. : Ceci est surprenant. Je suis vraiment en admiration devant votre travail de terre, tellement ouvragé, tellement sophistiqué ! Et si sobre de couleur ! Des sculptures en terre noire, très travaillées, très tourmentées, de la création pure ! Quand vous réalisez ce genre de travail, vous y mettez à l'évidence, tout votre cœur, vos tripes. Tandis que l'autre série, tellement " flash " comme il est à la mode de dire maintenant, me semble rejoindre la pure décoration !

Quand vous ajoutez à un de vos personnages féminins, une chevelure entièrement dorée, vous vous sentez véritablement alchimiste ?

J-P.B. : On dit que l'or est le métal des dieux. Il m'est arrivé un jour d'exposer ces œuvres dans un magasin. J'avais réalisé cette série, en pensant que seuls, les " initiés " pourraient la comprendre. Un soir, alors que tout était fermé, une dame est passée devant le magasin avec son mari. Elle lui a dit que quelque chose l'appelait au premier étage. Le lendemain, ils sont revenus, ils sont montés. Et elle a acheté toutes mes déesses émaillées à l'or ! L'histoire est belle, parce que cette dame avait senti l'appel de mes sculptures, sans savoir de quoi il s'agissait.

 

J.R. : Vous pensez donc que le fait de mettre de l'or sur de simples objets, amène votre sculpture à émettre une sorte de radiance ?

J-P.B. : Oui, peut-être. C'est en effet quelque chose d'inexplicable !

 

J.R. : Nous entrons donc là dans le domaine de l'ésotérisme. Est-ce parce que vous pensez transmettre à vos oeuvres votre propre rayonnement ?

J-P.B. : Non. J'ai voulu créer un archétype, une œuvre universelle, une Déesse Mère. Un symbole qui traverse les temps. Je savais que cela intéresserait quelqu'un !

 

J.R. : J'aimerais que vous me résumiez la façon dont vous en êtes venu à ce genre de pensée, à ce genre de comportement ? Comment vous êtes devenu un personnage profondément ancré dans l'ésotérisme ? Vous avez d'ailleurs plusieurs périodes, dans cette production ! La Vierge à l'Enfant. Le Christ…

J-P.B. : Oui, mais l'esprit de tout cela est gentil. Il n'y a pas de morts dans mon travail…

 

J.R. : Tout de même, un Christ en Croix…

J-P.B. : Oui, mais il rit ! D'ailleurs il n'est pas en croix.

 

J.R. : Alors, là, vous me surprenez ! Le Christ en Majesté, au tympan des églises, a un beau sourire, mais on ne le voit pas en souffrance. Mais quand on voit une croix, il y a bien la connotation de la souffrance, que l'on ait ou non une éducation religieuse. Etes-vous alors dans un paradoxe, puisqu'en plus vous avez placé un coq, au-dessus de la tête du Christ. Or, chacun sait que le chant du coq a marqué la trahison de Judas. Vous avez donc placé toute la symbolique, toutes les étapes : le coq, le Christ en croix, et la Piéta.

J-P.B. : Non. J'ai voulu faire le Yin et Yang. Elle est dans une vasque…

 

J.R. : Qui, " elle " ? Parce qu'il me semblait qu'il s'agissait de la Vierge ?

J-P.B. : Oui, peut-être. En tout cas, il y a un côté féminin. Donc, c'est en creux. Et la ligne droite représente le Yang, c'est-à-dire l'opposé.

 

J.R. : Et que dites-vous de ce côté religieux qui est si évident ?

J-P.B. : Je ne sais pas. Cela ne me semble pas aller vers la religion. Plutôt vers la spiritualité.

 

J.R. : Au risque de me répéter, je trouve une beauté, une richesse dans vos terres, que je ne trouve pas dans vos sculptures peintes. A les voir, j'ai le sentiment qu'à ce moment-là vous étiez très proche de la terre, de votre matériau. Même lorsqu'elles sont très statiques, il y a toute une vie sur leur peau, de la souffrance, du vieillissement. Vos personnages ne sont pas " beaux ", mais ils sont tellement humains que j'éprouve à leur égard de la tendresse ; et que j'ai le plus grand plaisir à les regarder.

Par contre, pour vos œuvres peintes de couleurs vives, mais sans or, que recherchez-vous?

J-P.B. : Si je prends celle qui est devant moi, c'est une vache. Un archétype féminin.

 

J.R. : La vache ?!

J-P.B. : Oui. Parce qu'elle allaite.

 

J.R. : Je suis désolée d'avoir l'air de rire de ce que vous me dites !! Mais j'avoue avoir du mal à vous suivre !

Passons à un deuxième aspect de votre création : des œuvres faites avec des matériaux de récupération. Votre façon d'intervenir dessus est originale : Vous découpez éventuellement l'objet récupéré, mais ensuite vous n'intervenez pas sur son aspect. Vous le laissez tel que vous l'avez trouvé…

J-P.B. : Dans les poubelles, oui. Je trouve celui-ci très érotique. C'est la Femme.

 

J.R. : Venons-en à vos dessins. Vos personnages sont beaucoup plus primitifs. On les dirait en train de naître et pourtant, ils ont des visages vieux. Et ils sont dans un couloir, dans un labyrinthe. … En tout cas, dans un huis clos ?

J-P.B. : Oui. Mais quand on peint, on ne sait pas forcément ce que l'on veut " dire " ?

 

J.R. : Certes. Mais je sais que vous écrivez beaucoup, et des choses fort sérieuses, pas simples du tout : j'ai du mal à croire que vous ne savez pas analyser ce que vous avez voulu exprimer ? Partez-vous d'une idée préconçue ? Ou réfléchissez-vous seulement après, sur ce que vous avez voulu dire ?

J-P.B. : C'est très varié. Par exemple, pour telle sculpture, ce peut être tout simplement la jouissance de faire des coulures.

 

J.R. : Je vois une autre œuvre où vous avez pris plusieurs femmes que vous avez placées chacune dans une petite alvéole et qui, à elles toutes, vont constituer une unique femme. Elles sont une huitaine à constituer la chevelure, plusieurs forment le visage. Vous surlignez chaque petit espace.

Si vous choisissez le thème de la femme, sans doute est-ce pour sa beauté, pour son esthétique, ou simplement comme vous l'avez dit tout à l'heure à propos de la vache, c'est parce qu'elle va allaiter, etc… Pourquoi les enfermez-vous ?

J-P.B. : Toutes ces femmes-là sont mortes. Je les utilise ici pour les faire revivre.

 

J.R. : Mais vous les enfermez, et les laissez dans leur " cercueil " !

J-P.B. : Il faut bien une mise en scène, une structure.

 

J.R. : Si c'est une question de mise en scène, pourquoi aviez-vous besoin que ce soit des femmes ? Auriez-vous pu faire la même chose avec des hommes ?

J-P.B. : Non. Parce que j'éprouve le culte de la femme. C'est la beauté absolue.

 

J.R. : Quand vous passez aux collages, comment procédez-vous ? Commencez-vous par le personnage principal et ensuite son entourage ? Ou l'inverse ?

J-P.B. : Cela dépend. Sur l'un j'essaie de dénoncer la société de consommation. Sur un autre, ce sera un autre thème, donc une autre façon d'agir…

 

J.R. : Que préférez-vous : la peinture, ou la sculpture ?

J-P.B. : Sculpture, peinture, écriture, collages, pour moi c'est toujours la même chose…

 

J.R. : Oui, mais qu'est-ce qui vous donne le plus de plaisir ?

J-P.B. : C'est pareil. Tout est une question d'humeur.

 

J.R. : Et quand vous écrivez, qu'écrivez-vous ?

J-P.B. : Ce qui me passe par la tête ! J'attends qu'une idée arrive, et ensuite je la déroule. Il faut qu'elle soit drôle, parce que j'aime faire rire les gens.

 

J.R. : Il me semble pourtant que vos histoires dévient souvent vers l'ésotérisme. Ou plutôt vers des réflexions qui vous emmènent vers des choses extra/ordinaires. Comment pouvez-vous dire qu'elles sont drôles ?

J-P.B. : Quoi qu'il en soit, j'aime beaucoup travailler là-dessus ! Je ne sais pas du tout ce que j'écris.

 

J.R. : Prenons au hasard un de ces textes/dessins : Il relève du pictogramme. Je vois un petit personnage dont la jupe devient un autre personnage, terminé par un unique pied. Il a un trapèze/tête entouré de la lune, de serpents, et de ce qui me semble être des signes comparables aux peintures rupestres…

J-P.B. : Ce sont des caractères runiques. Ils indiquent là encore la recherche du Graal, c'est-à-dire de la Femme…

 

J.R. : Et que vous apporte l'écriture runique par rapport à la nôtre ?

J-P.B. : Beaucoup de gens se sont servis de ces signes dans leur lutte pour la non-violence.

 

J.R. : Comment associez-vous ces caractères qui relèvent du symbole, aux dessins qui naissent de votre imaginaire ? Que vous apporte la conjonction de tous ces signes ?

Vous me dites que ce cercle barré de trois traits dissidents symbolise la non-violence. Par ailleurs, je vois un cœur dans son auréole qui, immédiatement, m'emmène dans une autre association d'idée : Tout le monde a vu le Cœur de Jésus un peu partout. Et tout cela nous transporte vers des idées différentes de ce que vous dites dans le contexte. Or, pour vous tout cela doit bien être synonyme ? Faut-il, malgré tout, considérer que ce tableau est uniquement un message de paix ?

J-P.B. : Oui, éventuellement.

 

J.R. : Que tout cela puisse parfois être ludique, peut-être. Mais vous ajoutez tellement de symboles qu'il ne peut pas être que cela ! D'autant que parfois, vous vous situez à l'évidence sur un plan social, sociologique, intellectuel.

J-P.B. : Oui. Il y a une écriture, il y a un texte. Mais je ne suis pas sûr que je souhaite faire une dénonciation. Ce qui m'intéresse, c'est le côté esthétique de mes images. J'ai l'impression de réaliser une enluminure du XXe siècle. Je travaille par séries. Quand j'ai épuisé la veine, je change.

 

J.R. : J'aimerais être sûre que mes questions sont bien allées au profond de votre œuvre, qu'elles vous conviennent ?

J-P.B. : Oui, mais j'ai du mal à vous répondre, parce que mon travail n'a rien à voir avec le mental.

 

J.R. : Qu'entendez-vous par là ?

J-P.B. : Que c'est jouissif. Bien sûr, il y a du mental, parce que mon inconscient travaille, mais je prends un plaisir fou à aller dans les poubelles ramasser des objets qui m'intéressent.

 

J.R. : Mais pourquoi exclure le plaisir de la peinture ? Rien ne dit que le peintre " doit " souffrir !

J-P.B. : Mais ma peinture n'est pas du genre de ce que l'on voit dans les galeries. Ce n'est pas une peinture commerciale.

 

J.R. : Moi je trouve que c'est bien !

J-P.B. : Oui, je vois bien que cela vous intéresse. Mais cela n'intéresse pas les autres ! Et puis, ce n'est pas de l'Art brut ! Moi je l'appelle volontiers " ma Nouvelle Figuration ".

 

J.R. : Comment voulez-vous que ce soit de l'Art brut, alors que vous semblez avoir une culture très vaste, et que vous réfléchissez -même si vous vous en défendez- longuement sur votre travail ! Par contre, je pense que votre démarche et votre œuvre vous classent dans la mouvance singulière.

Il est vrai que vous êtes proche de la Nouvelle Figuration lorsque vous introduisez l'anecdote dans votre peinture. Mais ces séries ne sont pas du tout semblables à celles où vous avez introduit abondance de symboles. Je vous crois volontiers, quand vous travaillez ces anecdotes, et que vous dites être uniquement dans le pur plaisir, dans la jubilation. On les ressent bien. Rien de comparable, avec celles où vous n'avez conçu que des huis clos, et où l'on vous sent plus angoissé !

J-P.B. : Oui. Tout cela varie selon les années. Pour cette série, je dois m'appliquer pour faire une œuvre qui soit lisible, tandis que les autres relèvent du gribouillis, du graffiti.

 

J.R. : Pour conclure, je vous demanderai pourquoi, hormis votre " paysan niais " qui porte une fleur à sa vache, où l'amoureux qui en offre une à une dame, il n'y a jamais de végétaux dans votre œuvre ? Est-ce parce que, finalement, seul l'humain vous intéresse ?

J-P.B. : Oui. L'ésotérisme.

 

J.R. : Je note ici un de vos textes : " Ma cosmogonie est complexe et ésotérique. Elle appartient à une civilisation disparue, une religion morte et oubliée, à des dieux qui ne sont plus priés. Etant chaman, il m'est possible par voyage astral, dédoublement de l'âme d'aller lire des textes qui sortent d'un cristal par images holographiques dans un temple enterré, une bibliothèque infinie, inviolée depuis l'éternité, dans une vallée secrète appelée la Vallée des Druides, quelque part au centre de la France… "

Lorsque vous écrivez cette sorte de texte, est-ce ce que vous ressentez en permanence cet appel de l'étrange, ou cet esprit correspond-il à un moment de votre vie ? Et n'avez-vous pas l'impression que ce faisant, vous vous coupez du présent pour " vivre " dans un passé très aléatoire ?

J-P.B. : Cela correspond à un moment de ma vie où je m'intéressais particulièrement à l'ésotérisme. J'étais allé là-bas, à cette Vallée des Druides, dans un car plein de chamans, de gens qui s'intéressaient à ces problèmes… Il y a un mythe qui fait de cette pierre quelque chose de très spécial.

Tout cela représente pour moi des valeurs universelles. Je pense qu'il existe une sagesse éternelle, que les gens sont plus ou moins capables de trouver. A l'époque où j'y suis allé, j'étais en recherche de formes, de dieux. La Terre est vivante, il existe donc des endroits privilégiés où il est possible de découvrir cette vie. Les chapelles, les monastères, etc. ne sont pas construits n'importe où. Ils sont construits dans des lieux chargés de spiritualité. Qui sont plus vivants que d'autres. Où soufflent les esprits. Où vont instinctivement le poète, le créateur… Le Romantisme s'est beaucoup intéressé à ces lieux.

J'ai toujours été attiré par des choses, des lieux… qui sortaient de l'ordinaire. J'ai fait partie de la Fraternité blanche Universelle. Les prénoms de mes enfants sont liés à cette spiritualité…

Entretien réalisé à Saffré, dans la maison et l'atelier de l'artiste, le 1er septembre 2005.

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