Parce que la vie lui a toujours été inclémente ; parce que pour elle l'usine a eu la même résonance que pour le Charlot des " Temps modernes " ; parce qu'elle n'en pouvait plus de lutter contre son mal-être, Agnès Baron, qui a toujours voulu être artiste, a tenté une série de démarches susceptibles de l'aider à dépasser toutes ces contingences !

Mais si, pour la plupart des créateurs autodidactes, peindre ou sculpter signifie " liberté ", il n'en va pas de même pour cette jeune femme terriblement introvertie qui, finalement, ne conçoit son art autrement qu'à reproduire les aléas de sa " vraie vie ".

Son terrible besoin de structures l'a amenée dans un premier temps, à choisir la photographie. Et pendant une période, elle a été heureuse à traquer des paysages, accepter le côté " magique " de ce que lui rendait le révélateur, encadrer le résultat et se rendre compte que des inconnus appréciaient ce qu'elle leur montrait.

Mais Agnès Baron, pouvait-elle accepter d'être " reconnue " dans une création valorisante ? Non, bien sûr. Alors, elle s'est lancée dans la gravure. A la fois différente et continuité de la photographie. Mais là encore, sa démarche a été paradoxale : Explorer une technique destinée à créer des multiples, avec la volonté de n'en rien faire ; au contraire, " travailler le multiple pour créer l'unique ".*

Chacun aurait pu penser que, lorsqu'elle s'est lancée dans la peinture, cette artiste aurait enfin suivi la démarche des créateurs d'Art hors-les-normes, qui ne cherchent qu'à exprimer leur moi profond sans se préoccuper de leurs maladresses. Vision trop optimiste à l'égard de quelqu'un souffrant de ce qu'elle nomme " la frustration de l'autodidacte ", la désespérance de " ne pas savoir dessiner "*.Elle en est donc venue à élaborer une œuvre qui suivait pas à pas son dur cheminement : Travaillant à longueur de journée à l'usine, à détacher des pièces de plastique noires que l'on appelle des " carottes ", elle s'est mise, pour exorciser ce travail pénible et répétitif, à peindre des rangées de carottes (végétales), noires pour la plupart, et toutes identiques… Tout de même, bien souvent, l'une d'elles sortait du lot, non alignée, peinte en rouge et transformée en personnage, symbolisant une indépendance et un appel à la liberté qui manquaient cruellement à l'artiste. Parallèlement, cultivant son jardin dans ses moments de détente, elle s'est mise à uniformiser sur la toile des rangées de légumes, afin de " peindre ce qu'elle avait créé d'agréable "*. Néanmoins, cette angoissée, cette écorchée vive ajoutait des croix sur chaque tableau, comme pour illustrer les expressions " suivre son chemin de croix ", " porter sa croix "…

Et puis un jour, essayant de résorber son problème relationnel et son besoin de solitude, elle a entrepris de se créer un monde bien à elle, en donnant vie à des " présences " qui lui tiendraient compagnie : les " Nénettes " étaient nées ! Non pas des personnages dans leur intégrité physique, mais des têtes, où les yeux -miroir de leur âme pour Agnès Baron- tiennent une place prépondérante. Têtes féminines. Têtes multiples, aux cheveux plats, raides, à frange, à chignon, frisés, roulés en bigoudis… aux faciès durs, aimables, rieurs, pincés, gourmés, accueillants, revêches, etc. Sortes de photos d'identité dûment encadrées. Avec lesquelles -et ce n'est pas le moindre paradoxe de cette artiste et de son œuvre- elle se sent en parfaite harmonie, parce qu'elle y reconnaît, malgré leur diversité, un petit aspect de sa propre personnalité.

Et depuis lors, de Nénette autobiographique en Nénette " témoin " des évènements marquants de son existence, oubliant le monde extérieur et ses aléas, oubliant son mal de vivre, son sentiment de ne pas savoir peindre, d'être mal aimée, bref d'aller cahin-caha, Agnès Baron " SE " cherche … Et, quittant l'une, va vers la Nénette suivante qui à son tour, lui apportera enfin un petit moment de pur bonheur !

Jeanine Rivais.

* Agnès Baron. (Entretien avec Jeanine Rivais).

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