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II
est facile d'imaginer la perplexité, voire l'inquiétude
de leurs proches, lorsque les Lesage, Madge Gill, etc. leur
déclarèrent pour la première fois: "Je vais
commencer à peindre... Je vais dessiner... Ce n'est pas moi
qui décide, ce sont mes voix qui me le disent..." De
même, la perplexité de ses hôtes a dû
être extrême lorsque, à peine
débarquée de France et entrant pour la première
fois dans leur maison au Gabon, Véronique Stembaum est
allée directement se planter devant un tableau
représentant une Femme malade. Incapable de s'en arracher,
elle déclara plus tard qu'elle s'était sentie
littéralement "aspirée dans le tableau", signé
très symboliquement Ilélat. Ce personnage qu'elle n'a
pu connaître puisqu'il était déjà mort
à l'époque de cet incident a pourtant exercé sur
elle une telle fascination que cette jeune femme qui n'avait jamais
tenu un pinceau, s'est mise à peindre! Vivant alors au bord
d'une lagune de rêve, elle a commencé à ramasser
des coquillages, des baies d'arbres de la forêt proche, des
coques de fruits, etc. Et des résines avec lesquelles
agglomérer ses trouvailles : Sur les traces d'Ilélat,
en somme ; mais en ajoutant des matériaux qu'apparemment il
n'avait jamais utilisés.
La politique ayant des arguments
incontournables, Véronique Stembaum a dû un jour rentrer
en France. Désormais, elle parcourt, hotte au dos et machette
à la main, les forêts savoyardes, rapporte champignons
parasites, faînes, écorces d'arbres, etc. Encore
imprégnée des forces, des coutumes (danses, exorcismes,
etc.) de "là-bas", elle réalise d'étranges
"peintures" en relief, représentant souvent des scènes
ou paysages africains. En même temps, coupée sans doute
pour toujours de ces racines qu'elle s'était forgées,
elle commence à "raconter" ses impressions recueillies en
visitant son nouvel environnement. Ainsi, la femme allongée au
bord du ruisseau, dans la forêt, sous la clarté de la
lune (d'ailleurs
il est curieux de constater combien, sans le connaître, cette
oeuvre est proche de La Bohémienne endormie du Douanier
Rousseau !), va de pair avec la danseuse frappant des pieds dans la
poussière ; les villageois longeant la piste dans un camion
antédiluvien côtoient le joueur de pétanque en
train de cligner d'un oeil pour mieux viser, etc. Tigres, singes...
et Coco, le perroquet si "proche", arrivé on ne sait
d'où, gambadent indifféremment dans de hautes futaies
exotiques ou des houppiers aux feuillages familiers!
Naïves, les peintures de
Véronique Stembaum le sont, incontestablement. Et la position
de cette autodidacte devenue artiste parce qu'elle ne pouvait faire
autrement, est tout à fait dans le sillage des
créateurs médiumniques. Sans conscience d'appartenir
à aucune tendance picturale, elle sait pourtant que,
même à des milliers de kilomètres, elle travaille
sous influence. Elle parle d'Ilélat avec beaucoup
d'émotion. Elle sent près d'elle la puissance
tutélaire de ce vieil Africain : dans une corde de sa lyre qui
sans raison se met à vibrer, dans un souffle qu'elle sent sur
son cou, dans sa main qui refuse de placer tel objet à tel
endroit, etc. C'est pourquoi elle est très attentive à
respecter ces "signes". A être narrative et vraie, modeler avec
son. coeur, les scènes qu'elle a dans la tête! Toute
vibrante d'une sorte de mysticisme, convaincue
de la magie qui emporte sa vie, elle "sait" que dans les
résines, elle grave ses humeurs, que le tableau "se charge" de
ses états d'âme. C'est pourquoi elle ne travaille jamais
si elle se sent triste! Le reste du temps, elle "modèle" ses
petites histoires, jusqu'au moment où "quelqu'un" lui murmure
: " C'est fini. Maintenant, ton tableau peut vivre " !
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ILELAT: Véronique Sternbaum s'est frénétiquement mise à la recherche de renseignements sur cet homme. Il vivait au fond de la Forêt des Abeilles, au Gabon. Sa hutte était ornée de peintures et de sculptures. (Mais doit-on dire" peintures", puisqu'il s'agissait en fait de tableaux réalisés uniquement avec des résines d'arbres, en particulier le n'goma, arbre sacré du Gabon, qu'il allait chercher dans la forêt. Il ajoutait ensuite des couleurs obtenues à partir de pigments de pierres trouvées dans son environnement.)
Parcourant la forêt gabonaise, l'ami de Véronique
Sternbaum avait un jour découvert par hasard cette cabane.
Charmé, et intrigué, il avait abordé le vieil
homme et lui avait acheté un tableau, intitulé La Femme
malade, oeuvre tellement puissante qu'il avait décidé
de retenir les autres tableaux de ce curieux personnage. Par la
suite, il en choisit quatre ou cinq.
Véronique Sternbaum en acheta deux à cet ami. Désireuse de tout savoir sur Ilélat qui la poussait déjà littéralement aux frontières .le la création, elle apprit que le Ministère de la Culture française lui avait, quelques années auparavant, organisé une exposition. Mais, par aucune filière, il ne lui fut possible Je retrouver la moindre trace de cette exposition, ni du petit catalogue qui l'avait accompagnée. Tous les tableaux exposés, toute trace... semblaient avoir complètement disparu!
Jeanine Rivais.
Ce texte a été publié dans le N° 66 (Janvier 2000) du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.