VERONIQUE SORIANO ET LES MYTHOLOGIES FEMININES.
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Sans doute n'y a-t-il aucun hasard,
dans le fait que Véronique Soriano ait choisi d'exercer la
profession d'anthropologue ; et plus particulièrement
d'étudier la relation de l'Homme avec les animaux. Depuis
toujours, en effet, elle fouit les profondeurs de l'être
humain, pour découvrir la part d'animalité tapie en
chacun. Mais, pour éviter de tomber
dans des raisonnements rigoureux, elle détourne ses
connaissances scientifiques vers des sources plus imagées,
littéraires, historiques ; ou imaginaires dont la
fantasmagorie a traversé les millénaires : la Bible, la
Mythologie, et plus particulièrement les mythologies
féminines.
Parce qu'elle se cherche à travers les femmes qu'elle met en scène, Véronique Soriano a dû découvrir les moyens picturaux aptes à éclairer ses interrogations. Chaque tableau est donc une re-création du monde, depuis les plus lointaines origines, jusqu'à un quotidien réinventé. Pour cela, sans volonté réflexive, elle jette sur la toile, tel un magma originel, de grandes taches de couleurs. Celles-ci vont s'égoutter, se côtoyer, se chevaucher Des excès vont générer des reliefs, des vides apparaître. Rien d'organisé, donc, un fond informel, dépourvu de toute précision sociale, temporelle, géographique. Des configurations aléatoires à partir desquelles l'artiste va tenter de discerner un " individu ", dont l'apparition lui permettra d'amorcer une " rencontre ".
Un individu lui-même intemporel qui n'affleure de ces formes abstraites qu'au bout d'un interminable jeu de patience. Rien de définitif encore, pourtant. Il faut à cette figure être assez surprenante, assez convaincante pour que la peintre l'accepte et amorce avec elle un corps, une silhouette Il s'agit, en somme, pour l'artiste, de quitter l'aléatoire, parvenir à quelques certitudes, reconnaître dans ce fond non signifiant, des formes qui le soient ; " écouter " ce qui vient, apprendre à le décanter, progresser dans son rapport avec ces silhouettes encore à la limite d'exister ou de demeurer dans le néant. Et choisir. Mais alors, s'imposent à elle d'autres questions, d'autres dilemmes : Qu'accepter ? A quel moment effacer un élément qui ne naît pas dans la sincérité de la démarche ? Comment préserver la fraîcheur du premier élan ?
Moment d'émotion et de grande tension, où chaque coup de pinceau fait progresser l' " histoire ". C'est pourquoi, abandonnant son attitude très gestuelle, Véronique Soriano se rapproche de la toile, précise les contours de ces êtres, " humains " ou " animaux " nouveau-nés. Non qu'elle ait envie de les rendre réalistes. Ils resteront plus ébauchés que fignolés, linéarisés plutôt que consistants.
Les figures définies, l'artiste
doit établir entre elles une relation. Ainsi, prend corps, un
monde essentiellement féminin, où bête et homme
ne seront là que pour faire ressortir, comme il est dit plus
haut, l'animalité en la femme. Se succèdent sur la
toile celles dont le caractère ou les destinées ont,
depuis la nuit des temps, tourmenté ou inquiété
l'Humanité : Eve, sensible à l'invite du serpent ;
Lilith, créature monstrueuse qui pouvait détruire, de
ses yeux bleu de nuit, les hommes épris de ses charmes (Les
atteintes du désir, Lilith et le loup) ; la femme de
Noé dont sait qu'elle aida son mari à sauver les
animaux ; Bilkis Reine de Saba représentée dans
certaines religions, comme une figure vouée aux forces
démoniaques ; Sainte Marguerite et les dragons
;
Eurydice, repartant dans l'ombre du fait de la faiblesse
d'Orphée
Un monde humano/zooïde, dans
l'élaboration duquel Véronique Soriano ne
s'arrête " que " lorsque chaque couple est bien installé
dans sa complicité duelle ; c'est-à-dire lorsque,
inconsciemment, elle l'a coulé dans un ove d'où ne
dépasse aucun angle, aucune ligne, aucune courbure : lorsqu'il
est parvenu " chez lui "
Pour en arriver là, se
conjuguent d'étranges enlacements ; s'affirment des attitudes
inattendues, comme cette femme assise sur les genoux du chat, ce
chien plus grand que la femme qu'il caresse, ce dragon qui se glisse
entre les cuisses de Marguerite
Néanmoins,
véritable paradoxe, rien de malsain ne transparaît dans
ces rapports qui pourraient être hors nature, parce que tout,
dans le travail de cette artiste, est affaire de tendresse
!
De tendresse et d'innocence. Une
innocence si authentique, que la créatrice est parfois
effrayée par les monstres qu'elle peint, comme l'enfant adore
être terrorisé par les contes qu'il lit ! Mais une
innocence mêlée de culture, de réflexion, de
subjectivité, d'intransigeance, face à la
nécessité de " faire vivre " ce qui est
désormais sur la toile ; suggérer des villes, des
arbres ; conjuguer pour ce faire, les espaces ouverts et
fermés, construits et naturels, domestiques ou sauvages ;
ponctuer au gré de sa fantaisie les plages monotones,
en
ajoutant pictogrammes, fleurs, etc.
N'est-ce pas là un
mélange détonant, susceptible de conduire
Véronique Soriano, vers les plus noires réflexions,
vers les bonheurs les plus absolus ?
Jeanine Rivais.