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Dès
son premier contact avec la terre, Michel Smolec donnait naissance
à de fort originales sculptures monochromes, à la fois
bouleversantes et provocatrices.
Bouleversantes, parce que ce créateur totalement autodidacte, semblait incapable de canaliser le flux des traumatismes qui avaient naguère perturbé son existence, et jaillissaient dès lors par le truchement de ses petites oeuvres : Ainsi, aborda-t-il à plusieurs reprises le thème de l'I.V.G., dans lequel une femme couchée laissait voir un foetus étranglé par une main d'appartenance anonyme. De problèmes religieux peut-être mal résolus ou inconsciemment éludés, naissait L'Ange dont la figure anguleuse dominait l'oeuvre, et la lourde cape éployée protégeait une sorte de sphinx au visage énigmatique, entouré de ses adorateurs... Le quotidien s'imposait également : Un Rendez-vous manqué dans une salle des pas perdus, et surgissaient dos à dos, deux personnages, chacun tenant une montre arrêtée à une heure différente, l'un affectant un air furieux, l'autre un air tragique sans pouvoir empêcher ses yeux de pétiller de malice ! Comme un journal rapporte les événements marquants d'une vie, le créateur ponctuait la sienne de petits couples aux rapports tendus, tels Le jaloux, Madame Freud... ou complices, avec Conversation, etc.
Provocatrices, les oeuvres de Michel Smolec le furent d'emblée ! Frondeuses, raisonneuses aussi, un peu militantes, sous leurs airs innocents et leur bon sens populaire. Car, lui si timide, eut parfois la dent dure : Par exemple, d'une discussion dans un Salon annuel où les congratulations paroxysmiques avaient fusé toute la soirée, vit-on naître un Miel, rendez-vous d'artistes, où deux d'entre eux, la bouche ouverte de part et d'autre d'un pot de miel, se gavaient mutuellement de cette douceur.
Les
années ont passé ; et s'est élargie une "oeuvre
de chair" au sens quasi-littéral, vu la liberté mentale
croissante qu'elle a générée chez le sculpteur.
Lequel s'est lancé un jour dans des oeuvres polychromes, non
pas peintes ou émaillées, mais de terres
mêlées, avec un sens inné des rapports de
couleurs. Il a ainsi apporté à certaines de ses
sculptures un aspect précieux, comme à ce Dandy
à collerette ouvragée et pantalon brodé ; au
Sylvain dont la tête terrible avec ses yeux
perçants, émerge d'un tronc / corolle à
l'écorce rugueuse ; à cette femme surprenante au corps
sinueux, affectée d'un strabisme prononcé, et à
son partenaire qui la regarde en souriant de ses immenses dents
blanches et déclare
:
Les bras m'en tombent !...
Car l'oeuvre de Michel Smolec n'était pas non plus, dès l'origine, dépourvue d'érotisme, comme le prouvent ses Fantasmes, où de passionnantes étreintes se déroulent dans le crâne des protagonistes ; ou cette petite bonne femme aux yeux lubriques, qui, par-dessus un mur, susurre Je t'attends à un homme visiblement consentant ; et Caresses où deux mains sont arrondies, presque à la toucher, autour d'une croupe féminine cambrée comme un rêve !...
Sans doute encore surpris par la
révélation de ce monde pictural auquel il apportait sa
marque, Michel Smolec fonça tête baissée.
Demeuraient l'urgence, le besoin d'être narratif, la
nécessité de rattacher SES oeuvres à SA
réalité ; pourtant, intuitivement, il en vint un jour
à les déconnoter, s'en aller plus loin dans une
fantasmagorie où les personnages avaient grandi. Ainsi sont
nés Démosthène, Vénus,
Sappho, En attendant, Ne vois-tu rien venir, Laissez-moi
vivre
Soit masculins aux bouches tordues, lèvres
craquelées, cheveux hirsutes ou embroussaillés, bras
difformes et inégaux, yeux trop petits ou exorbités ;
soit féminins, plus sophistiqués, aux fesses charnues
amoureusement polies, aux seins gonflés délicatement
mamelonnés, à la chevelure
flamboyante très soignée en lourdes masses savamment
entrecroisées
Chacun était désormais
destiné à vivre " seul " sa vie tantôt ironique,
tantôt rêveuse, tout en restant marqué du sceau
tendre ou exacerbé de l'artiste.
Pourtant, le plus surprenant
était encore à venir. Après plusieurs mois
où, délaissant la terre, Michel Smolec a
réalisé une série de dessins non moins
déroutants
que les sculptures, voilà qu'une nouvelle
génération a pris corps : Ses anciens personnages
ont-ils quitté leur jardin d'Eden où ils
évoluaient nus et sans complexes ? La civilisation les
a-t-elle rattrapés ? Toujours est-il qu'ils apparaissent
désormais richement vêtus de costumes deux pièces
et bottines à boutons pour les hommes ; bottes montantes,
jupes sophistiquées et justaucorps pour les femmes dont les
seins, pourtant, continuent coquinement de provoquer l'il
(Bonheur du petit matin, Promesses, Au bois de
Boulogne
)
L'effet de la cohabitation entre ces deux
lignées est saisissant. Il met en évidence, une fois
encore, s'il en était besoin que, comme tous les
créateurs authentiques, cet artiste est incapable de se
contenter d'une répétition à l'infini d'une
même formulation.
Une chose se confirme ainsi au fil du temps : la volonté de Michel Smolec de créer sans cesse de façon originale, l'obligation psychologique où il se trouve de renouveler son univers fantasmagorique le placent incontestablement dans la cour des grands.
Jeanine Rivais.