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Quelles
bonnes fées se sont donc un jour penchées sur le
berceau de Jean-Louis Salvadori, pour lui donner le pouvoir de
créer de petits êtres, témoins pétillants
et ensoleillés de sa joie de vivre ; l'amener vers des
uvres sereines, possédant une tranquille
évidence, où tout se passe comme s'il
sélectionnait des moments précieux de ses vagabondages
fantasmatiques ?
Quelle que soit la réponse, ce peintre va, peignant SA réalité. La quittant bientôt pour se lancer dans une fiction gentille, glisser vers une fantasmagorie comparable à celle du Magicien d'Oz, doucement onirique, clin d'oeil léger comme cet Allumeur des étoiles qui, du haut de son échelle, s'apprête à saisir la lune. Attraper la lune, avoir les yeux dans les étoiles, n'est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir secret de tout être humain, a fortiori de tout créateur ? C'est, en tout cas, celui qui anime Jean-Louis Salvadori, lorsqu'il emmène vers l'infini son uvre originale, poétique et jubilatoire, qui émoustille l'imaginaire, donne au spectateur l'envie d'" écouter " l'histoire qu'elle lui raconte !
Car cette uvre est narrative,
contant de petites tranches de vies au quotidien. Un quotidien
heureux, que l'artiste remodèle à l'aune de son
imaginaire (Home, Tricycle pour famille heureuse, Sur la route
étoilée
). Une réalité de
départ qu'il reconstruit afin de privilégier un
sentiment récurrent d'intimité. Et, une fois encore, il
faut se demander pourquoi les uvres à connotation
naïve, ont toujours un petit air passéiste ? Est-ce parce
que l'abondance de menus détails (curs, étoiles,
fleurs, papillons, oiseaux
) en suspension autour des
personnages implique la nostalgie d'un temps où ils ornaient
le moindre billet galant, où la tendresse n'avait rien de
honteux ?
Est-ce encore (Le chariot du bonheur) parce qu'en ce
temps-là, bêtes et gens parlaient semblable langage,
avaient des rôles de même importance ? Jean-Louis
Salvadori n'échappe pas à la règle, qui
recompose/peint/colle
ces petits êtres sur la toile, les
organise en des scènes qui appartenaient naguère
à l'imagerie populaire. Naïve, l'uvre de ce peintre
l'est aussi par la " simplicité " des contours de ses
personnages ou animaux, réduits à leurs lignes
essentielles, qui le ramènent par leur semblant de maladresse
mais leur véritable science du trait, par une façon
bien à lui de styliser son petit monde, à des
séquences (La poussette enchantée
) pleines
d'humour et bon enfant ! Surprenantes, aussi, parce que, quels que
soient les thèmes exprimés, chaque tableau est un
véritable pied de nez à la géométrie, qui
empêche les personnages d'être tout à fait
verticaux ou tout à fait horizontaux, les place en des
déséquilibres d'autant plus spectaculaires qu'il semble
ignorer totalement les angles droits, les articulations pointues. Un
univers tout en courbes (L'âne troubadour, Cric et Croc
à Roland Garros
), sans aucun souci de perspective.
Ne prenant pas une ride, non plus, au
fil des années. Car l'uvre de Jean-Louis Salvadori est
atemporelle, (même si, intuitivement, le visiteur la situe dans
le passé) ; exempte de toute indication géographique
(d'ailleurs, chaque épisode se déroule sur un fond non
signifiant), n'appartenant à nulle classe sociale (les
vêtements sont souvent des corps/habits ou de simples tuniques
informes). Avec parfois un rappel de la " vraie " vie, comme ce
tableau inattendu où le visage épuisé des
protagonistes, leurs corps tassés dans leurs chariots,
laissent penser que leur leitmotiv " Le bonheur est au bout du
chemin ", n'a peut-être pas de réalité ; ou
que ce chemin sera encore bien long avant de parvenir à son
terme ! Mais, généralement,
les personnages de Jean-Louis Salvadori brodent leur destinée
(Les magiciens imaginaires), la vivent en chantant, en jouant
de la musique plutôt (Trio concerto, L'âne
troubadour
) ; la dansent tels des enfants faisant la ronde
ou des funambules défiant la pesanteur (Voltigeurs et
jongleurs) ; jouissent d'une existence riche et multiple, comme
si, pour eux, le temps n'existait pas !
Tout cela rendu en de magnifiques tonalités, car il faut aussi parler du talent de coloriste de l'artiste qui affectionne les teintes chaudes ; et, grâce à la conjonction de couleurs pures, vives sans jamais être criardes, accentue le sentiment de grande harmonie et de charme inimitable : les bleus profonds des journées estivales, les rouges des pommes d'api, côtoyant les verts tendres des prairies printanières jouant de leurs proximités, leurs grandes plages séparées seulement par les rayures ou les mouchetures des vêtements, les coffres des véhicules de guingois, qui emmènent au bout de leurs rêves ces petits êtres aventureux.
Bref, où situer ce créateur, une fois précisé qu'il est résolument hors-les-normes ? Est-il " naïf " comme il a été affirmé plus haut ? Est-il " brut ", par la profonde implication psychologique qui se dégage de chacune de ses uvres, la créativité instinctive perceptible dans chacune d'elles ? Est-il tout cela à la fois ? Finalement, ne suffit-il pas de dire qu'il est amoureux d'une histoire multiforme et néanmoins toujours la même, née sous son pinceau attentif et tendre : qu'il est fou de la -de sa- peinture, en somme ! Ouvre ton cur, dit l'un de ses personnages !
Jeanine Rivais.