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Le rouge et le noir ; le sang et la mort ; la splendeur et le
néant : dans chacune des uvres de Sylvie Salavera,
transparaît l'atavisme espagnol, l'ambiguïté de la
sauvagerie, la dramaturgie de la violence, symboliquement peints sur
des matériaux durs qui font ressortir avec vigueur les
éléments des " mises en scène ". La plupart du
temps ronds pour mieux rappeler l'arène dans laquelle se
déchaînerait la liesse populaire, ils suggèrent
en même temps le manège, le théâtre, tous
lieux de bruit et de fureur, dans lesquels s'affrontent
psychologiquement conquérants et victimes, amuseurs et
voyeurs, tandis que la multitude d'yeux de la foule massée sur
les gradins, prête à tous les débordements,
complète l'encerclement.
Dans ces huis-clos très colorés, Sylvie Salavera dont le travail se veut avant tout narratif, déroule ses contes picturaux, ses fantasmes, les angoisses de quiconque a dû faire ses bagages ; de qui l'errance a gommé les racines ; chez qui l'anonymat a ouvert les yeux afin d'orchestrer, pour exister, une éternelle parade !
C'est pourquoi, sur chaque tableau, le
rideau levé -l'expression est à considérer
littéralement-- paraissent les protagonistes d'un spectacle
à la fois imaginaire et palpable : bateleurs et troubadours,
clowns et dompteurs en costume d'apparat, baladins et seigneurs
en des décors
exubérants conçus pour que le scénario se
déroule à la fois sur scène et dans les
coulisses ; que le Capitaine Némo soit dans et hors de son
bathyscaphe ; la tête bicéphale animal et gondole ;
l'artiste acteur et spectateur
Des mises en scène
baroques assurent des équilibres paradoxaux entre le mouvement
désiré mais conçu comme une danse de mort ; la
vie modulée comme un hymne mais calquée sur des
spirales qui ramènent de façon rédhibitoire
l'errant à son point de départ ! Ponctuellement, des
petits groupes palabrent ; créent des points de convergences,
de nouvelles fantasmagories
De sorte que, finalement, chaque
détail semble principe indépendant et partie prenante
du grand élan giratoire créé par Sylvie
Salavera.
Tout cela, infiniment petit. Travail intime, de grande implication, où l'il de l'artiste est proche du support sur lequel elle déploie les aléas de son récit : les yeux dans les yeux, en somme, avec la multitude de ses créatures ! Des uvres finement dessinées à la plume sur fonds d'encres de couleurs aux contrastes appuyés. Mais jamais réalistes, comme un dormeur décrirait incomplètement les personnages de son rêve : des êtres humains ou animaux, jamais vraiment terminés : imparfaits et néanmoins très vivants ; en tout cas suffisamment mutins et provocateurs pour conforter la complicité de l'artiste avec elle-même. Car, en relançant à l'infini son manège pictural, Sylvie Salavera ne se donne-t-elle pas, uvre après uvre, une chance d'épurer ses malaises existentiels, ses incertitudes de déracinée, sa valse-hésitation entre croyance et scepticisme : ne résout-elle pas, dans la folie du rouge et du noir, des dilemmes qui, autrement, entreraient dans la ronde avec une belle régularité ?
Jeanine Rivais.