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Est-ce
parce que l'école ne l'intéressait pas, qu'il s'est mis
à dessiner dès son plus jeune âge ? Ou bien
est-ce parce qu'il dessinait sans arrêt qu'il était un
mauvais élève ? Quel que soit le sens dans lequel
prendre ce postulat, Jean-Jacques Royo a toujours
préféré la BD à l'orthographe ! Et c'est
ainsi qu'il s'est retrouvé peintre autodidacte, et qu'il
émaille ses peintures de déclarations réduites
à la plus simple phonétique (à se demander s'il
n'y prend pas un tel plaisir qu'il en rajoute parfois !) : "
éle è pa bele la vi ", " pa keu dé moules a sete
"
A moins que ces fantaisies syllabaires
ne fassent écho aux notions acquises au fil de ses
pérégrinations. Car, rejetant le carcan qui
l'enserrait, Jean-Jacques Royo est un jour parti voir si,
derrière d'autres collines, l'herbe était plus verte ?
Ainsi a-t-il glané un peu d'anglais en dessinant sur les
trottoirs de Bombay, un peu de grec au pied du Parthénon, un
peu d'espagnol
Mais dans le temps où il multipliait
ainsi ses ressources linguistiques, il s'imprégnait de l'air
ambiant, cueillait ici les excès relatifs aux problèmes
raciaux (" he negro, sors la tune ou casse toi "), là, les
contrecoups des pollutions diverses (" Con / ta / mi / na / ted dead
"), ailleurs, les méfaits de la drogue (" snife de la coke
biento ")
Mais aussi, il connaissait le vide de l'errance. Et
un jour, ce vide l'a ramené au bercail (" mé je veu
juste rentré che moi ")
. Là, il a
délaissé les tags en constatant que les murs ne lui
rendaient pas les couleurs qu'il en attendait, et puisque
décidément, la seule chose qu'il savait
faire était peindre, il s'est attaqué au papier et
à la toile.
Mais, même après cette mutation, il lui a été impossible de renier le côté nanar et angoissé qui définit son caractère. Et tout est bien là, sur ces formats colorés, désormais sages et délimités. L'écriture, qu'il jette en premier, comme une colère récurrente, comme un besoin de convaincre Lancée sans ordre, et menant le jeu finalement, en français, en anglais, en franglais brève ou élaborée noire ou en couleurs vives sorties directement du tube Gérant l'espace. Obligeant ensuite la peinture à jouer avec elle.
Car commencent bientôt l'illustration des propos ainsi couchés sur le support, et la difficulté de ne créer aucun hiatus : comment, en effet, adapter tel personnage au " dit " qui le précède ? Quel va être le déclencheur ? Deux yeux, peut-être, une courbe indéfiniment étirée, une main ? Peu à peu s'installent un homme, une femme, un fragment d'individu, un agrégat de petits êtres, un chat/roi avec sa couronne, une " vouache ", etc. Tout ce monde orné de curs, piqueté de minuscules pointillés, surligné de tirets polychromes, dentelé, ciselé, couturé, rapiécé Autant d'étapes qui donnent à l'ensemble un petit air résolu, mais bon enfant !
Bientôt,
tout l'espace est occupé. Ne laissant aucune place autour de
ces " présences " immobiles, pour se définir
socialement, historiquement, géographiquement
Et ainsi,
les créatures de Jean-Jacques Royo sont-elles de nulle part et
de partout, de nul temps et de toujours ; de nulle chapelle et de
toutes les oppositions ; de nulle complaisance et contre tous les
stéréotypes ! Tout cela montré gentiment, sans
haine, témoignant de la souffrance du monde, qu'il met sur la
toile pour soulager son propre mal de vivre ! Au point qu'il est
permis de se demander si l'artiste n'a pas la nostalgie du temps de
la West Coast, ce temps où les Hippies clamaient " Faites
l'amour, pas la guerre ", et avançaient dans la vie, une fleur
dans les cheveux ?
Il s'agit, en tout cas, d'une uvre forte, sincère, réalisée avec la fausse naïveté d'un artiste soucieux de styliser ses personnages pour mieux dire l'essentiel ; affirmant les qualités plastiques et esthétiques du primitivisme recueilli parmi les cultures naguère côtoyées ; d'une grande contemporanéité malgré l'atemporalité évoquée plus haut Jean-Jacques Royo : un héritier de Basquiat, en somme !
Jeanine Rivais.