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Des
études aux Beaux-Arts, la restauration de monuments
historiques, la dépose de peintures murales... autant
d'éléments qui, pendant longtemps, ont
entraîné Thomas-Roudeix vers une expression picturale
très structurée. Chaissac, Dubuffet, venus
contrebalancer ces tiraillements passéistes. Cobra, mai 68,
l'ombre de Bacon et les expressionnistes qui lui ont "appris"
à se libérer ; résoudre ses questionnements en
s'exprimant de manière directe et spontanée ;
évoluer dans son travail en changeant de mentalité ;
faire se rejoindre -enfin- des idées opposées dans
lesquelles il se sente à l'aise. Telle a été la
longue liste de problèmes qu'a dû résoudre
l'artiste avant d'en venir à son oeuvre actuelle, plutôt
figurative sans être réaliste ni anecdotique ; mais sans
rejeter l'abstrait ; très personnelle en tout cas, et bien
installée dans l'esprit de son époque !
Une oeuvre où, à force de
fouir, Thomas-Roudeix a fini par gagner le "centre"
géographique de la toile, et y "installer" ses "portraits" !
Figures étranges et terribles presque toujours chauves et
amputées de l'oeil gauche, de la moitié gauche du
visage réduite au point d'interrogation inversé d'une
larme, ou peinte en creux de couleurs sombres d'où
émergent de possibles chemins allant vers de fantomatiques
maisons minuscules, situées sur l'un des horizons qui
linéarisent chaque toile. Cette négation d'un
demi-visage s'oppose à la lente élaboration de l'autre,
fait de lourds empâtements pellucides ; évoquant des
épidermes atrophiés ou des viscères
empilés ; griffés de longues stries transversales ;
peints de pommettes barrées de toute une
géométrie insensée d'où s'échappe
un "escalier" montant vers le cerveau... De là, part
forcément une spirale gribouillée
d'un geste rageur impliquant la transgression, la tentation
d'échapper à ses limites : car chaque visage est
strictement inscrit dans un cadre ! Carte d'identité ?
Téléviseur ? Ou simplement chevelure rigide ? Quel
qu'en soit le sens, ce cerne épais et monochrome renforce par
sa cohérence et sa banalité, l'intention de l'artiste
de restaurer un équilibre ; mais amplifie par contraste
l'anomalie du visage, le manichéisme de la dualité
ombre / lumière, la connotation malsaine de ce faciès
tordu, la restriction absolue de l'espace qui lui est dévolu
par rapport à l'immensité de la toile. Seul
dépasse du cadre le cou, oblique par rapport à la
tête, et émergeant du vêtement sombre, comme un
moignon qui se retournerait pour clore la bouche de travers ou pincer
le nez crochu ! Le reste du corps de cette sorte de Golem
inachevé se résorbe dans les couleurs du fond
!
Car, chez Thomas-Roudeix, le fond est structuré à l'extrême : le partageant naguère en deux plages horizontales, le peintre s'en accorde désormais trois bien distinctes : La partie "haute" souvent enduite de sable teint ; faite de larges traces appliquées à gros traits de pinceaux ; ne participant jamais du visage ; y créant, au contraire, le paradoxe, car cet aspect volontairement flou contribue à le mettre en relief. La partie "basse" générée par l'effacement progressif des corps, peinte de couleurs "sales" sur lesquelles Thomas-Roudeix plaque parfois une frise de petits portraits - des variantes du portrait central ?- accentuant de ce fait le malaise que provoque toujours chez le spectateur ce qui est "anormal" ! Et puis, la zone intermédiaire. Intercalée comme une idée fixe, elle est la plus révélatrice de l'angoisse qu'éprouve l'artiste, de se laisser entraîner vers des vertiges incontrôlés ! Il s'y "rapproche" de la toile ; dessine brin à brin une herbe obsessionnelle ; accumule tel un coin de marigot tari, une "terre" craquelée de crevasses sinueuses ; ajoute éventuellement des éléments extérieurs (grillages...) ; supprime la profondeur pour ne créer qu'un a-plat absolu.
De sorte que la démarche de Bernard Thomas-Roudeix pourrait se résumer en un voyage aller, partant d'un personnage "existant", peu à peu désintégré pour l'emmener vers la viscéralité ; usant d'éléments de désordre (zébrures, griffures...), amorçant un long et talentueux travail de déstructuration, d'éclatement, de pétrissement de la matière... Au moment où sa névrose semble irréversible, il effectue un retour au cours duquel il assène sa rigueur et ses géométries, sa volonté de retrouver la maîtrise de ses imaginations inconscientes...
Un curieux jeu d'à qui perd gagne, face auquel le spectateur se demande sans arrêt laquelle, de la tête du peintre ou de la toile engendrant ses fantasmes, a chaque fois le dernier mot !
Jeanine Rivais.