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La terre ! Au dire de ceux qui l'ont un jour découverte, elle exerce à jamais sur eux un pouvoir irrépressible ! Elle leur permet d'aller au fond de leurs problèmes les plus intimes, et le plus souvent de s'en libérer. Tel est le cas de Charlotte Rondard qui, une fois quittés les Beaux-Arts ; et, sentie la nécessité d'émerger de son enfance passée entre une mère surprotectrice et un père évanescent, cherche depuis lors à dépasser la dimension contextuelle, pour en venir enfin à la dimension existentielle. Il semble bien qu'elle soit sur la bonne voie. Car elle est parvenue à une création où seul, l'intéresse l'Homme. Une création bien à elle. Un microcosme psychanalytique intemporel, installé dans un espace indéfini, où s'expriment angoisse, introversion et extrême violence implicite ; où règne la solitude.
Pourtant,
paradoxalement, toutes les sculptures de Charlotte Rondard se jouent
à deux. Mais aucune complicité, aucune osmose ne
s'établit entre les protagonistes. Il s'agit toujours d'une
relation de force, de l'emprise de l'un sur l'autre, du
désespoir de l'un parce que l' " autre " ne le regarde pas, ne
le voit pas, ou au contraire l'observe d'un regard lourd de menace...
D'où un sentiment d'enfermement ; l'impression que chaque
uvre est un huis clos ; la certitude que, finalement, il reste
dans le monde de la femme, bien des zones obscures à explorer
par le sculpteur.
Se retrouvent de façon récurrente dans les oeuvres, un grand/gros personnage surplombant un petit ; un être ailé au terrible visage dominant de très haut un autre prosterné ; un guetteur posté au-dessus d'un mur ou à l'angle d'une minuscule ouverture, épiant sa victime enfermée, incapable d'échapper à cette surveillance ; un ogre dévorant sa progéniture ; un enfant tendant la main vers une sorte d'incube drapé de noir si dépersonnalisé qu'il n'a plus de tête ; un enfant, encore, regardant les excréments d'un immense adulte assis sur une cuvette de cabinets, etc. Tout cela d'autant plus perturbant que les dominants sont à l'évidence TOUJOURS masculins, alors que pour Charlotte Rondard, les dominés sont sans ambiguïté des petites filles !
Pour renforcer l'intensité, la gravité
obsessionnelle de cette création, l'artiste use d'une facture
d'une extrême sobriété, s'accroche au corps
humain, lourd, emprunté, réduit à une gestuelle
primale. Lorsqu'elle va vers des volumes totémiques, la
disproportion est telle qu'elle accentue l'idée
d'écrasement et non pas de protection, et ses personnages aux
ailes souillées, agrippés au bord du précipice,
n'ont jamais la douceur des anges
Dans le même temps,
elle n'emploie que des couleurs " sales " (sans que ce mot ait rien
de péjoratif), des gris blafards, des blancs livides, quelques
bleus décolorés
Et même
lorsqu'elle emploie des couleurs vives, orange ou verts, elles sont
mêlées à des bruns qui les rapprochent de la
terre
Ces amalgames couvrent les murs des non-lieux
déjà évoqués, dégoulinent des
piliers, s'étalent sans distinction sur les visages durs,
hostiles des " grands " et sur ceux tristes ou tendres des " petits "
: comme si décor et individus n'étaient qu'un seul et
même élément de l'uvre.
Charlotte Rondard aborde la trentaine. Et son travail tellement hors-les-normes est, bien sûr, encore en gestation. Mais, pour le visiteur qui la voit, à travers sa création, explorer les arcanes de sa désespérance, il est évident qu'il s'agit-là d'une uvre de survie. Elle qui, pudiquement, a toujours peur de " dire " trop, ne peut s'empêcher inconsciemment d'exprimer dans la terre toutes les implications sociales et psychologiques qui la taraudent ; générant une poésie de l'étrange et du mal-être qui l'entraîne bien au-delà du quotidien. Cette tragédie qu'elle développe à chaque nouvelle sculpture est finalement le gage d'une création authentique et originale. N'est-ce pas là, par excellence, la position inconfortable de tout artiste en quête de lui-même ?
Jeanine Rivais.