dans l'oeuvre de ROBERT REY, sculpteur et peintre.
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A
quelque chose, malheur est bon". Sans doute ce proverbe est-il exact,
concernant Robert Rey ; puisque l'impossibilité de lire a
généré sa vocation d'artiste ; et que l'aphasie
dont il est atteint a, presque sûrement,
déterminé la forme de son oeuvre. Mais il semble avoir
acquis, au fil de sa souffrance, une grande
sérénité et beaucoup d'humour : une tête
peinte en relief, aux grands yeux ronds ouverts sur le visiteur, au
gros nez jovial, et tirant la langue au monde, pourrait être
d'ailleurs, l'image emblématique de son attitude à
l'égard de la vie.
Il est surprenant de constater que très peu de personnages, humains et animaux, de Robert Rey, soient complets : Ici (Le silence mystérieux), se profile au bout d'un long cou sans corps, une tête-toupie à bouche-noeud papillon ; là (Rare et précieux), les jambes d'une sorte de bouffon partent de sa collerette, un bras absent, l'autre sortant de son oreille ; tandis qu'un équilibriste, tête-bêche avec lui en est totalement dépourvu. Mais les jambes de ce dernier, toutes de guingois, en grand écart au bout d'un bâton-tronc, semblent danser une gigue endiablée! Ailleurs, sont entassés des crânes, dans une fosse commune (Les morts), tandis que de l'autre côté de la tombe se tendent leurs ? d'autres ? mains ! ...
Malgré des "sujets" parfois macabres, le peintre ne laisse aucune connotation morbide s'installer dans ses oeuvres où les crânes sont hilares ; où des flaques de couleurs éclatantes font jouer les déséquilibres et des reliefs promènent sa fantaisie ; où le bâtisseur (La tour) d'une monstruosité anonyme est, tel un Djinn malfaisant, enfermé dans une bouteille, etc.
Parfois
(Elucubrations), les fragments d'individus sont totalement
indépendants, séparés par des lignes
épaisses et raides, isolés dans des formes
géométriques : dans l'un, une tête-coeur ; dans
l'autre une silhouette encapuchonnée aux doigts crochus tenant
une fleur... tels des flashes qui, sans relation apparente,
traverseraient le rêve d'un dormeur! D'autres fois (L'homme
à la casquette), des sortes d'entités
avortées stagnent, ou émergent de tracés
incontrôlés, de cartes de géographie anarchiques
dans lesquelles l'artiste a néanmoins fixé des
repères, comme dans les grilles de mots
croisés!
Ainsi, Robert Rey lutte-t-il pied à pied grâce à son oeuvre picturale ; et si (trop) souvent reviennent sur ses toiles les affreuses mains crochues, dans d'autres (ou les mêmes), volètent des pommes-oiseaux (L'homme-tronc) ; s'épanouissent des fleurs qui sortent, telles des grappes de lilas, du bec d'un Coq en train de s'égosiller ; s'échappent comme un foulard-coeur de la bouche d'un ange en lévitation entre des montagnes ; etc.
Symboles encore, les pointillés
qui relient le guitariste à son instrument ; arrivent aux
oreilles du fossoyeur (bien "entier", lui, capable peut-être,
par son écoute des morts, de susciter le plaisir
dessiné sur leurs visages?) ; partent du cerveau du
bâtisseur et, par le truchement d'une "bulle", retombent sur
les "visiteurs" perplexes, leur affirmant
que dans son imagination, sa tour avait l'harmonie d'une musique...
Ces points de suspension qui vont et viennent, semblent essentiels dans l'oeuvre attachante de l'artiste : Ils dansent des pieds de celui-ci à la tête de celui-là ; enjambent les lignes rigides ; transgressent les cloisonnements... corroborent malgré les personnages tronqués et leur isolement apparent, la volonté de Robert Rey, de communiquer, d'assurer par sa création, un lien, même incertain et fragile, avec le monde qui l'entoure !
Jeanine Rivais.
Ce texte a été publié dans le N°60 (Juin 1997) du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.