JEAN-NICOLAS REINERT, UN SCULPTEUR EN COLERE

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Longtemps, Jean-Nicolas Reinert a été en colère. En colère à cause de ses petites années qui n'ont pas répondu à son attente d'enfant rêveur. A cause d'une adolescence au cours de laquelle, très émotif, timide et introverti, il n'était pas capable d'exprimer ses désirs et ses rêves. Enfin, à l'âge adulte, parce que la société n'a eu pour lui aucune mansuétude. Heureusement, un jour, l'envie lui est venue de travailler la terre. Si elle n'a pu résoudre tous ses problèmes, du moins a-t-il eu la chance, comme tant d'autres sculpteurs, de pouvoir les amoindrir en les extériorisant. Et, rares sont les créations où les formes modelées traduisent d'aussi près les aléas de la vie réelle !

 

Très dures, les premières sculptures de Jean-Nicolas Reinert étaient de simples masques. Grimaçants comme ceux que portaient les acteurs des théâtres antiques ; pommettes saillantes, joues rubicondes, autour de bouches hurlantes et édentées ; minuscules nez épatés entre les yeux vides. Œuvres d'un impressionnant primitivisme, jetées spontanément dans l'argile. Qui disaient tour à tour la souffrance, l'ironie, l'impuissance… ressenties par leur auteur.

 

Poursuivant sa quête, il a, peu à peu, ajouté un crâne à ces masques, comme s'ils finissaient de prendre corps. D'ailleurs, le corps, lui aussi, est apparu progressivement, informe, au début, simple tronc ou jupe. A ce stade, il semblait non important, réduit au rôle de support. Par contre, chaque fois plus élaborée, la tête semblait toujours plus prête à traduire les pensées et les fantasmes de l'artiste. Malgré le caractère inabouti des êtres, la conception de ces sculptures représentait une avancée certaine, vers une plus grande humanité. Et si elles grimaçaient encore ; si elles correspondaient toujours pour lui à une période de mal-être, leur cri diminuait néanmoins de violence.

 

Plus récemment, Jean-Nicolas Reinert est enfin parvenu à concevoir les corps dans leur entièreté, avec des membres fonctionnels. Et, de matités où prédominaient les brûlures du raku formant des peaux malsaines, les œuvres se sont couvertes de brillances émaillées.

Mais il semble entré dans un paradoxe, une ambivalence surprenante : si ces corps sont sans ambiguïté des corps d'enfants, un peu patauds, un peu château branlant, si leurs petits pieds ou leurs doigts s'en vont farfouiller dans leur bouche, comme à la découverte de plaisirs insoupçonnés, les visages sont tantôt d'adultes, tantôt d'enfants. Pourtant, c'est finalement le sentiment d'enfance qui prévaut. Et, dans le temps où l'artiste lui-même semble s'être humanisé, détendu, ses personnages sont de plus en plus accessibles ; il est de plus en plus facile de s'identifier à eux, s'attendrir sur les uns à cheval sur un tronc d'arbre, les autres à croupetons sur le sol, en position foetale dans une poussette, ou arc-boutés sur une trottinette… Mais sans doute encore incapable de s'en tenir au côté ludique de ces nouveaux venus, l'artiste a conçu ses personnages dans une démarche fortement symbolique : il FAUT que " cette " poussette ou " cette " trottinette soient plus vieilles que lui, que " ce " jeune enfant soit chenu ou bossu comme un vieillard, que " ce " tronc soit centenaire, etc. Il lui faut en fait, sans cesse, faire un va-et-vient entre l'Homme originel et celui qui souffre dans la contemporanéité ; inversement rappeler que si son propre mal de vivre est contemporain, il est aussi vieux que le monde…

 

Ainsi, Jean-Nicolas Reinert poursuit-il, par le truchement de ses sculptures, sa lente remontée vers un monde plus bienveillant, où il pourrait enfin s'épanouir. Devenu trop " grand " pour jouer, il fait jouer ses petits bonshommes ; ce faisant, il joue avec son histoire. Lors des périodes précédentes, il présentait souvent ses œuvres en duos (mère corrigeant son enfant, jeune garçon arrêté par un policier, etc.) ; ou les mettait en situation, dans les rochers, l'air de s'échapper des vagues de la mer… Désormais, elles " vont " seules, chacune assumant pleinement le sens voulu par l'artiste ; ou en groupes disposés en un bruyant désordre de cour de récréation : solitude acceptée, enfin ? Ou début de socialisation ?… Encore quelques années, quelques recherches, quelques souffrances peut-être, et gageons que, toutes colères oubliées, il saura enfin faire rire ses personnages !

Jeanine Rivais.

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