MARION PRUNEAU, sculpteur.

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Marion Pruneau, êtes-vous venue à Banne au titre de l'Art Singulier ? Ou de l'Art contemporain ?

Marion Pruneau : J'ai beaucoup de mal avec les étiquettes. Mais artiste Singulière, sans doute, oui.

 

JR. : Qu'est-ce qui motive votre réponse ?

MP. : J'arrive avec mon monde particulier, et en cela je me sens Singulière.

 

JR. : Il me semble que votre création se sépare en deux parties : l'une que l'on pourrait appeler " à plat ", comme dessinée directement sur le papier. Et l'autre qui ne comprend " que des cubes ", comme vient de le dire un enfant tout à l'heure. Ce sont de petits personnages en bois. Essentiellement des visages. Parfois seulement, le personnage.

MP. : Oui. Le thème central de mon travail est l'homme et la femme. Je suis pour la parité, et quand je fais un homme, je fais une femme. Surtout pas le pouvoir aux uns ou aux autres. Donc, l'homme et la femme, avec surtout la différence qui fait la richesse de notre monde. Nous sommes dans un monde qui généralise et résume tellement de choses ; où nous ne sommes plus des électeurs, nous sommes des consommateurs ; nous ne sommes plus des êtres, mais des consommateurs… Il faut penser comme ci, se lever, s'habiller comme ça, regarder telle émission… On nous met dans des petites boîtes. D'où mes personnages/sculptures dans les petites boîtes. Notre civilisation m'effraie énormément. Tout est donc empilable, ils ont tous la même forme ; mais il n'y a pas deux personnages pareils.

 

JR. : Vous êtes très jeune, y a-t-il longtemps que vous avez abordé ce genre de création ? Et comment définissez-vous votre travail ? Peinture ? Sculpture ?

MP. : Je ne le définis pas. Je pars d'un thème. Ensuite, j'essaie de choisir le matériau qui est le plus en adéquation avec l'histoire que j'ai envie de raconter. Ce peut donc être le fil de fer, le bois, la peinture… Parfois en volume, parfois à plat.

 

JR. : Vous êtes de la génération trentenaire : les filles sont allées ou vont au lycée comme les garçons, elles ont depuis longtemps cessé d'être cantonnées à la maison : qu'est-ce qui justifie votre révolte ? Qu'est-ce qui fait que vous avec un discours féministe, engagé ?... Non, " féministe " ne vous convient pas !

MP. : Non. Terrienne, plutôt.

 

JR. : Qu'entendez-vous par " terrienne " ?

MP. : C'est que nous sommes tous sur la planète, et que nous voulons afficher nos différences en tant qu'êtres humains. Le fait de créer des images me permet d'exprimer mes colères…

 

JR. : Vous me dites que vos personnages expriment votre colère, et pourtant ils ont l'air bien sages : comment l'expriment-ils ?

MP. : C'est dans la thématique que j'ai choisie. On dit que tout le monde est pareil. Mais ce n'est pas vrai !

 

JR. : Venons-en à votre grillage. A aucun moment, je ne me suis aperçue qu'il s'agissait d'un travail, qui plus est titanesque. Je regrette de ne pas l'avoir regardé assez attentivement. En fait, je m'aperçois qu'il est composé d'une infinité de petits bonshommes. Des étages de petits bonshommes. Mais au fait, j'aurais dû dire de petits " personnages " pour ne pas vous choquer !

MP. : Mais c'est qu'après il y a les femmes !

 

JR. : Je constate que les femmes ont plus de place que les hommes ! Vous voilà donc l'auteur d'une première injustice !

MP. : Oui !

 

JR. : Qu'avez-vous voulu exprimer avec ce mur de petits êtres ?

MP. : C'est ma peur de la foule.

 

JR. : Vous êtes agoraphobe ?

MP. : Oui. Mais je me soigne !!

 

JR. : Je le constate. Il faudrait être plus explicite ! Cette plaque ressemble à un matelas. Mais il y aurait alors une connotation de repos, de lieu où l'on fait souvent l'amour. Cependant hommes et femmes sont séparés ! Pourquoi n'avez-vous pas réuni les couples.

MP. : Ces deux plaques s'appellent " les on " et les " onne ". Par rapport aux rumeurs, aux généralités. La notion de foule. Vous avez remarqué que je ne leur fais pas souvent d'oreilles ?

 

JR. : Non seulement ils n'ont pas d'oreilles, mais ils n'ont pas de bras !

MP. : Ils les ont sur le côté !

 

JR. : Ah oui, en effet : pour prendre le monde à pleines mains ?

MP. : Oui.

 

JR. : Vous avez également réalisé des petits tableaux avec uniquement des visages qui se répètent à l'infini. Ce sont les équivalents de vos plaques métalliques ?

MP. : Oui. J'ai travaillé longtemps sur l'idée de la foule.

 

JR. : Si je vous demandais de résumer votre démarche, que diriez-vous ?

MP. : Ma démarche ?

 

JR. : Oui. Le fait que vous passiez d'une technique à l'autre, mais que vous tourniez toujours autour de l'humain ?

MP. : Mais vous venez de la résumer !

 

JR. : Mais peut-être n'est-ce pas suffisant à votre goût ?

MP. : Je reprendrais pratiquement ce que je vous ai dit au début ! La notion de différence est primordiale pour moi.

 

JR. : Ce qui est curieux, c'est que, quelle que soit l'expression de vos petits personnages empilables, ils n'ont jamais l'air inquiets. Sauf peut-être les plus grands qui ont des yeux plus inquisiteurs ? Ce serait une façon d'exprimer calmement toute cette angoisse rentrée en vous ?

MP. : Oui. Je pense que, d'ici une heure, je me dirai que j'aurais dû vous répondre autre chose !

 

JR. : C'est normal, vous vous exprimez par vos sculptures, et non par des phrases !

MP. : Mais, au contraire, le résultat est toujours la suite de pages et de pages d'écriture ! Et ensuite, je passe aux réalisations plastiques.

 

JR. : Question insidieuse : Quand vous vous placez devant votre miroir où vous avez fait deux personnages, vous vous retrouvez à trois ! Qu'en concluez-vous ?

MP. : Je m'y retrouve souvent à plus ! Parce qu'ils sont quatre, eux et leur reflet ! En fait, dans tous les objets sauf les luminaires, il y a la forme et l'ombre. Un peu déformée.

 

JR. : Ce qui me surprend également, c'est le fait que vos personnages -dont vous dites qu'ils sont toujours par deux-, ne se ressemblent jamais ! En fait, vous affirmez vouloir les faire communiquer, mais il n'en est rien…

MP. : Il est vrai que je trouve qu'on ne communique pas du tout !

 

JR. : Mais vous devriez essayer.

MP. : Ce sera peut-être une autre phase, mais pour l'instant, non. C'est vraiment chacun dans sa sphère. On parle beaucoup, mais on ne s'écoute pas. Nous sommes dans un monde de communication, mais nous communiquons plus avec des machines qu'entre nous !

Entretien réalisé à Banne, dans la Maison de la Cheminée, le 4 mai 2008.

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