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Choisir
de réaliser des totems, c'est revenir à des valeurs
ancestrales, avoir en tête des tabous, des légendes, des
peurs intimes et refoulées, subséquemment des
exorcismes à réussir, des dieux à convaincre,
des esprits protecteurs à vénérer. Il semble
bien que ce cheminement en quête d'incertaines origines soit la
préoccupation de Marc Pérez qui réalise sous
forme de sculptures (mais aussi de peintures) des créatures
émergeant d'une sorte de magma indéfini, des
êtres inachevés, offrant au visiteur un monde de formes
à la simplicité originelle. uvres d'autant plus
attachantes que, créées à partir d'objets
récupérés en des lieux de rebut, elles attestent
donc du travail de mémoire qu'il accomplit : assemblages de
fils de fer, vieux clous, oripeaux, sacs de jute ligaturés,
auxquels il ajoute de la pâte à bois qu'il encolle et
peint de pigments d'ocres bruns embus, aux variations apparemment
aléatoires
Petits êtres d'une beauté primale, à la fois déroutants et fascinants. Toujours verticaux, dépourvus de bras, à la fois momies et fétiches conjuratoires. Appuyés sur des jambes prolongées à l'infini par des fils ténus encastrés à leur base dans de lourds plots ; (lesquels, bien que respectant l'unité de l'uvre car tous similaires et d'une matité brute qui prolonge celle des sculptures, sont peut-être le point faible de la démarche de Marc Pérez : placés là pour leur fonction d'équilibre et non pas issus des mains de l'artiste, lisses et géométriques et non pas bruts comme les personnages qu'ils supportent, ils ne sont pas " signifiants ". Mais peut-être des supports élaborés changeraient-ils la connotation des oeuvres, en les déterminant dans un lieu et/ou dans un temps ?)
Car les créatures de l'artiste
sont de nul lieu et de nul temps ; simplement, elles sont " là
" : incontestablement humanoïdes, souvent solitaires, leurs
épaules
tombantes fondues dans les bandelettes dont l'assemblage conique
suggère un corps. Par contre, elles tendent vers le ciel leurs
visages -seule partie élaborée- en un geste
d'espérance sans doute, de dynamique peut-être,
d'élévation mystique sûrement. Celles à
qui l'on peut prêter un début de socialisation sont
apparemment des " mères ". Seules à tenir les yeux
baissés, elles considèrent leur progéniture d'un
air doux et rêveur. Une étrange osmose les lie,
d'ailleurs, emmaillotés chacun dans son cocon, puis
réunis par des torons supplémentaires, sortes de
cordons ombilicaux, de métaphores de vies qui ne peuvent
exister que par les fibres qui les soutiennent.
Ainsi, les uvres de Marc Pérez rejoignent-elles par leur gravité pleine de révérence, par leur spiritualité, l'esprit de celles dont l'ombre tutélaire a courbé bien des fronts. Pourtant, s'il s'agit incontestablement de totems, leur taille réduite, au lieu d'imposer une distance respectueuse, les remet à l'échelle humaine, les assimile plutôt à ces ex-voto offerts dans des circonstances toutes personnelles au pied des arbres des palabres ; ou tapis dans les niches de quelque laraire auréolé de mysticisme : par elles, l'émotion du spectateur rejoint, en somme, celle du sculpteur.
Finalement, quelle que soit leur " destination ", elles sont, par le mélange d'éphémère et de durable qu'elles véhiculent, par leur totale adéquation entre création et imaginaire, porteuses d'un message intemporel d'une poésie puissante. Par elles, leur auteur illustre cette phrase de Nietzsche : " Avoir du chaos en soi, pour accoucher d'une étoile qui danse ".
Jeanine Rivais.
Ce texte a été écrit lors de l'exposition de Marc Pérez La galerie Emmanuelle Morin-Pitel, 8 rue Saint-Paul, 75004. Il a été publié en Noir et bBanc dans le N°70 de Janvier 2002 par le Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda.