LES " DECOUVREUSES DE MYSTERES ", ou MARILENA PELOSI peintre,

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Marilena Pelosi serait-elle médium qu'elle affirme avoir, à seize ans, lors de sa première grave maladie, " entendu " quelqu'un lui suggérer de dessiner pour en " raconter " les causes et tromper son ennui ; et confie sentir depuis lors une présence qui l'accompagne chaque fois qu'elle commence une nouvelle œuvre ?

Qu'importe, au fond : solitaire ou inspirée, cette autodidacte est l'auteur d'une œuvre puissamment psychanalytique, toute pleine de violence et de tendresse ! Une œuvre narrative, composée d'images émotionnelles si fortes, de fantasmes si intimes qu'elle les proclame auto-référentiels ; qu'elle revendique sa création comme exclusivement " féminine " ; qu'elle " reconnaît " chaque femme de ses tableaux comme un autoportrait !

Car la femme est l'unique préoccupation de Marilena Pelosi, définie à la fois dans son physique exagérément longiligne, souvent nue, sinon vêtue d'une robe-corps ; et dans ses fonctions par essence sociales et féminines : Sociale, elle se veut responsable de la mise en scène de sa vie ; elle est dominatrice, meneuse, véritable goule vitupérative, immense par rapport à l'homme minuscule (ou bien, s'il est de taille " normale ", il est outrageusement maquillé comme une marionnette, ou vêtu comme un polichinelle et toujours elle en joue comme d'un pantin !). Féminine, elle est déclinée dans toutes les situations inhérentes à la femme : souffrant d'une souffrance implicite ou brutalement explicitée (La femme la plus forte combat contre tous les destins*) ; partagée entre procréation et jeux amoureux (Le défilé de la Sainte Amour*), absorbée par un mysticisme au sein duquel elle cherche -en vain- à découvrir les mystères de la vie et qui fait d'elle un personnage bi- ou tri-ailé, proche peut-être de se croire d'essence divine ; mais brutalement rejeté dans les préoccupations du quotidien le plus banal…

Pour passer de l'un à l'autre de ces états, elle évolue dans des ambiances jalonnées de symboles récurrents : La chevelure, d'abord, que Marilena Pelosi tricote et détricote " depuis " ou " jusqu'à " une autre tête semblable ; chacune étant toujours la même, trinitaire, quadruple… voire multiple, isolée ou liée à l'homme ainsi que des siamois, debout ou couchée… tels les éléments d'une poupée gigogne, que l'on aurait sortis de leur emboîtement… Chemin faisant, cet interminable fleuve de cheveux peut devenir fleur éclatant en bouquet au bout des mains ; passer sur une table où d'autres personnages la mangeront ; se répandre alentour en devenant pluie de " haricots " (ovaires ?) qui, eux aussi, seront dévorés ; ou bien tomberont dans un panier/réceptacle ; ou encore, demeurant en lévitation, commenceront leur germination et engendreront bientôt des plantes qui… qui… Et le cycle recommencera. Cet ondoiement de cheveux, à la fois ornement et lien (origine ? aboutissement ?) tourne autour de deux tabous, deux ambiguïtés : l'impuissance des personnages dont les mains sont emprisonnées dans les arcanes de cette opulente chevelure croissant à l'inverse d'une peau de chagrin ; et/ou leur jouissance faite d'attouchements et de pénétration de cette vague mobile, vivante et moelleuse !

Car l'érotisme est omniprésent dans l'œuvre de Marilena Pelosi. Mais un érotisme sans complicité et confinant au morbide : si sa créature est capable d'allumer (littéralement) le sexe de l'homme (accroché par la tête à un anneau), elle lui préfère apparemment de longues aiguilles et des clous qu'elle enfonce en mille blessures. Elle se retrouve maculée de sang : Le sang, autre élément récurrent de l'œuvre de l'artiste, à la fois symbole de vie et de chaleur et marche vers la mort.

A la suite de ces automutilations, la femme dont le corps est également destiné à la maternité, accouche de ses propres organes… tandis que sa langue vipérine pompe, lèche… s'allonge démesurément pour rejoindre le tricot qui devient chevelure… Mais tout cela n'a-t-il pas déjà été dit ?

Peut-être, alors, le spectateur à la fois fasciné et horrifié par la violence sans relâche de cette œuvre, parvenu au terme de ces puissantes tirades psychanalytiques qui définissent Marilena Pelosi comme un être profondément tourmenté, pourrait-il l'imaginer trouvant enfin un havre de paix, lorsque La femme (qui) vit une étape initiatique*, longuement baignée et ointe, nue (vêtue plutôt de ses seules ailes) et dépouillée de tous éléments du quotidien ; saluée par des êtres prosternés au long de son chemin, pénètre majestueusement, seule, en des lieux inondés de lumière et tapissés de fleurs ? Mais ce n'est qu'illusion ! Car alors, éperdue de solitude, elle psalmodie une litanie corroborant qu'elle est plus que jamais à la recherche d'elleelleelleelleelle*… à l'infini !

Il faut donc se rendre à l'évidence : il n'existe aucun repos pour cette artiste qui, dans le silence et la solitude de sa maison, jette au long des jours sur le calque dont la translucidité sied à sa démarche ; au crayon, au stylo ou à la gouache, la métaphore de la dualité de sa vie : " elle ", présente et absente ; elle masculin et FEMININ ; produisant, prenant et rendant l'eau (qui purifie) et le sang (qui souille) ; elle piétinée et écrasante… elle, en un mot, boulimique de dessiner, hâtant ses gestes comme on lance ensemble le bon grain et l'ivraie, pour se dégager des fantasmes qui dominent sa vie réelle ; "le cœur battant très fort pendant l'ouvrage* . Si âpre à jeter sa souffrance sur le papier ; allant si loin dans cette expression libératoire… qu'il faut se demander ce qu'il serait advenu d'elle si, un jour, un bon " ange " n'avait tenu sa main pour lui suggérer de dire… de SE dire… ?

Jeanine Rivais

· Titres de l'œuvre de Marilena Pelosi.

Ce texte a été publié dans "le cri d'os", revue de poésie fondée par Jacques Simonomis.

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