ENTITES EN NOIR ET BLANC de JEAN-PIERRE NADAU

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Lorsque Fritz Lang réalisa Metropolis, des millions de sous-hommes se mirent à grouiller pour échapper à ses irrationnelles géométries alvéolaires. De même Jean-Pierre Nadau fait-il jaillir sous sa plume, d'insolites allochtones peuplant d'imaginaires cosmo-mégapoles. Un travail de titan dans une géographie de fourmilière, conçue à partir de variations acrobatiques dans l'espace, d'enchaînements de macrostructures architecturées qui semblent aller partout et nulle part. Car l' " architecte " jette mille ponts dont l'aspect est rassurant pour le spectateur, jusqu'au moment où leur profusion crée dans ces équilibres de prime abord, des déséquilibres de plus en plus inquiétants : les entrelacs labyrinthiques générés par les nombreux points de rencontre et lignes de fuite, tuent la magie que spontanément l'œil avait accordée à ces constructions familières, car ils cernent des sortes d' " enclos " dans lesquels sont en mouvement de monstrueuses entités essayant à l'évidence d'aller " vers "… Mais sans fil d'Ariane, elles sont condamnées à s'agglutiner comme des corpuscules, dans les intrications inter-pontières : tel un savant fou, Jean-Pierre Nadau cisèle ses moucharabieh, envahit la feuille d'imprévisibles détails, explose en chimériques extravagances, s'élance de fragments infinitésimaux en pesantes compositions sur lesquelles flottent des personnages, s'imposent des figurines aux profils analogues à ceux des ribambelles enfantines, ou au contraire de lourds centaures à la sexualité agressive. De leur tête, s'échappent en éventail des pensées multiformes, sortes d'arbres généalogiques, au sommet desquels s'épanouissent de larges faciès à antennes arborescentes. Autour de ces créatures aux mufles énormes, guettent en ombres chinoises, de filiformes incubes… Toute cette faune apparemment prête à s'entredévorer parmi les témoignages d'images cultuelles christiano-païennes (serpents, diables, etc.)

Capable de la sophistication graphique la plus poussée, ou du simplisme le plus surprenant, Jean-Pierre Nadau ramène à des univers infantiles faits de terrestres demeures, le visiteur qui explore à la fois les murs et, étage par étage, les habitants dans leur quotidienneté. Ou, au contraire, il l'entraîne vers des partitions musicales farfelues sur lesquelles des taches/notes échevelées sont à la fois personnages et envolées polyphoniques. Perpendiculairement aux portées, se dessinent les incontournables labyrinthes, sortes de cloches/bouches/sexes dont les parois ovoïdes zébrées de stries foncées ponctuent comme des touches pondérées, les fantaisies de ces solfèges en folie…

Finalement, paysages fantasmatiques ou rêveries extravagantes, l'œuvre picturale de Jean-Pierre Nadau est dépaysante. A la fois conte merveilleux et récit onirique, issue de son imagination et d'une très personnelle démonologie. Dentelle humoristique et grave, faite de réactions primesautières et d'étrangetés fascinantes. Travail d'orfèvre délicatement ciselé avec la cruelle précision d'un esprit fin comme un scalpel.

Jeanine Rivais.

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