JEAN-MARIE MARTIN

CHANTRE DES MYTHES CELTIQUES ET OCCITANS.

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Perché en haut d'une colline, le pays de Forcalquier constitue un carré prodigieux de la Haute-Provence. La cité elle-même, avec son couvent du XIIIe siècle et ses vieilles maisons moyenâgeuses, est un lieu privilégié de la culture romane et renaissante.

C'est dans l'une de ces maisons, appelée l' " Immeuble Berluc ", consacrée désormais à l'art, que s'est déroulée pendant de longs mois de l'année 2004, une des plus importantes expositions de l'œuvre de Jean-Marie Martin. Cette vaste demeure, faite de pièces incertaines avec leurs alcôves pénombreuses et leurs avancées créant des transitions, convenait à merveille à une œuvre aussi surprenante !

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Voilà déjà plusieurs années que Jean-Marie Martin s'en est allé bien au-delà de la peinture. Pourtant, son œuvre peint a revêtu, pendant plusieurs décennies, une puissance particulière ! Puissance acquise peut-être, du fait de la lutte de son esprit contre son corps récalcitrant qui a, dans un premier temps, obligé cet artiste à quitter sa Bretagne natale, et devenir perpétuel émigré.

Longtemps, se croyant capable d'échapper au charme de la fée Morgane et à la ruse de Merlin l'Enchanteur, à la violence psychologique de légendes pointillées d'îles englouties, Jean-Marie Martin s'obligea à vivre à Paris. Là, il peignit des œuvres qui devinrent d'importants jalons de sa vie, comme La Bataille de Wardepoule ; Madame Royale à la mer après un séjour à Toulon ; et les grands pastels, portraits caricaturaux de personnages célèbres ; ainsi qu'une immense fresque de plusieurs tableaux, La Fête sur la plage. Puis, après de nombreux séjours près de Cherbourg, vint le cycle du Ruisseau, mince flux qui, à peine né, est englouti par la mer, et est devenu de ce fait, dans l'imaginaire du peintre, l'image de la brièveté de la vie. Des noyés peuplent le fond de ce ruisseau soumis à la volonté de la mer ; et lorsque leurs têtes émergent, emportées vers le large, leur âme gémit sa litanie de cris pitoyables.

Mais Paris, même coupé de séjours " ailleurs ", devint vite un nouvel enfer. Il fallut à Jean-Marie Martin, prendre conscience des obsessions qui l'y attendaient : le béton, le stress, la course perpétuelle dans les rues déshumanisées ! Un enfer, à vivre au sens littéral, le passage entre la vie et la mort ! L'artiste en lui a alors tenté d'exorciser ce que vivait l'homme ; en peignant dans des rouges... infernaux, une suite innombrable de personnages-animaux aux gros yeux ronds luminescents ; aux interminables jambes grêles ou au contraire, trapues et multiples ; corps-serpents, queues-sirènes, corps torturés et leurs tortionnaires, etc... Toutes réminiscences de "sa" lutte sans merci. Créatures puissamment évoquées, ou au contraire en filigrane, monstres lourds ou Gorgones menaçantes... Etres statiques, et néanmoins combinés par le peintre de manière à sembler, de concert, avancer vers le visiteur ! Série à la fois fascinante et terrifiante qui emmenait son auteur toujours plus loin vers de nouveaux abîmes.

Jusqu'au jour où, incapable d'en supporter davantage, il a fui Paris comme l'on tente d'échapper au Royaume des Ombres : C'est alors que le hasard intervint dans la vie de Jean-Marie Martin. Séjournant dans le Midi, il éprouva un véritable coup de foudre pour la luminosité, l'exigence et la liberté de ce sol méditerranéen assoiffé et donc difficile à conquérir : Sûr d'être enfin dans un lieu qui serait à sa mesure, il acquit dans le Var, une bastide et vint s'y réfugier. Même son corps, en harmonie avec la pureté de l'air ambiant lui permit de souffler. Pourtant, très vite, il apparut qu'un charme le clouait désormais à ce lieu : impossible de le quitter, sous peine d'être de nouveau entraîné vers de douloureuses dépendances. Jean-Marie Martin avait-il quitté un enfer pour un autre ?

Mais voilà que, dans les flancs de cette bastide, il découvrit une crypte qui le plongea droit dans le passé des Templiers, le guida vers le mysticisme et le mystère des Chevaliers ; l'ésotérisme des lieux qu'ils ont hantés ; les arcanes du Graal ! Quête nouvelle. Oeuvre nouvelle. Imprégnée de symboles, mythes… jusque-là insoupçonnés.

Conscient d'être désormais impliqué dans cette nouvelle démarche, Jean-Marie Martin a quitté les chemins précédemment suivis. L'oeuvre naissante a tâtonné parmi des incrustations de sub-courants et d'algues, de galets roulant dans des profondeurs glauques. Elle est allée crescendo vers une iconographie de trônes et d'étendards, de ciboires et de livres sacrés ; vers des géographies de gués enneigés, gardés par des veilleurs tapis dans des roseaux... Portes closes sur des rites revisités, païens ou traditionnels, sacrés toujours ! Pendant plus d'une décennie, il déclina cette fresque immense au moyen de clous de tapissier aux têtes peintes. En une véritable mythologie de "sculptures-constructions", rehaussées de peintures, compliquées de collages, etc. Un travail titanesque, dont la répétitivité obsessionnelle générait des géométries rigoureuses et des fluidités immobiles.

Peu à peu, la ligne à suivre devint plus nette. Une visite à la source du Verdon, à la Table Ronde appelée Breiz, lieu "magique" par excellence et surprenante par ses similitudes légendaires avec la Bretagne, marqua la naissance de " sculptures-constructions " différentes des précédentes ! Les clous cédèrent la place aux filins récupérés sur des barques abandonnées. Etoupe, filets, poix… devinrent les éléments constitutifs de frêles esquifs en forme de harpe celtique ; et de nouveaux vaisseaux voguant sur une mer dont les terribles vagues et l'alternance des marées visibles à la quille de ces étranges embarcations, disaient assez qu'il ne pouvait s'agir de la sage Méditerranée, mais bien de l'Océan sur lequel il les lança avec mission de rallier " BZH ENEZ AVALLON ", l'Ile des Morts… : Cette dernière œuvre est tout autre. Elle s'inspire du " Barzaz Breiz ", chants épiques du peuple breton, qui remontent à l'époque druidique, et ont évolué jusqu'au début de l'époque romantique. Les Romantiques s'en sont longuement inspirés. L'autre livre est La Légende de la mort d'Anatole Le Braz qui retrace les croyances du peuple breton en la survie après la mort. Tous ces mythes ont été inspirés par des réalités de la vie. Derrière tout cela, se trouve, omniprésente, la mort. Cette œuvre est un retour vers mon enfance ; une nostalgie de mon pays où je ne peux plus aller. La haute mer et la basse mer sont importantes dans cette œuvre. Les marées créent le paysage, totalement différent.

En somme, livré à tous les vents sur sa colline, mais protégé par les murs épais de sa bastide provençale, Jean-Marie Martin, obsédé par de nouvelles mythologies, effectuait un retour vers celles qui avaient bercé son enfance. Retrouvant dans l'une ce qui caractérisait l'autre, mêlant en une sorte d'osmose à la fois spirituelle, diable et Ankou, Morgane et les ondes verdâtres du Verdon, Table d'Arthur et Table des Templiers… il effectue désormais un permanent aller-retour vers les deux faces de son imaginaire voyage.

Est-il besoin de préciser que l'âge n'a en rien émoussé les facultés créatrices de cet artiste hors normes ? Que, bien au contraire, il lui a donné l'audace d'aller au bout de tous ses fantasmes, de toutes ses obsessions, de ses rêves les plus intimes, de ses désirs les plus ultimes ? N'est-ce pas là la définition première d'un créateur ?

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VOYAGE DE JEAN-MARIE MARTIN AU LONG DE L'EXPOSITION DE FORCALQUIER.

 

" A Gréoux, j'ai rencontré des gens qui, voyant mes œuvres, m'ont dit qu'ils étaient francs-maçons. Ils évoquaient des colonnes menant à un trône. C'était pour moi une véritable découverte. Ils avaient des compas et toutes sortes d'outils avec lesquels ils faisaient des démonstrations sur la possible présence du Graal en certains lieux qu'ils étudiaient. D'emblée, cela m'a paru magique ! Il y a une partie du Verdon qui s'appelle Breiz, justement, et Kamelot se serait trouvé là. Incontestablement, ce rocher ressemble à un chameau. Je ne parle pas du Mandarom, bien sûr, qui était de l'autre côté. Mais sur cette rive de la rivière, des moines-templiers s'étaient, très tôt, établis. Ils travaillaient, battaient monnaie… Tout cela m'a immédiatement passionné et j'ai commencé à m'imprégner de cette histoire et de ces mythes. Tout le Haut-Verdon appartenait jadis à l'abbaye de Saint-Victor. C'était un haut lieu de la spiritualité, et la porte de Marseille vers le Moyen-Orient.

Quand j'ai exposé dans une galerie mes premières œuvres sur le Graal, j'ai eu la visite d'un archéologue belge qui m'a dit : " Mais c'est le blason de la ville de Gand que vous avez peint ! " Il m'a proposé de m'emmener vers le Verdon, et de m'expliquer tout ce qui s'y était passé. Et c'est Jean-Claude Caire** qui a écrit un texte magnifique dans le Bulletin, pour résumer toute cette aventure ".

 

C'est à une sorte de voyage initiatique que se prêtent, ce jour-là, les amis de Jean-Marie Martin, s'arrêtant devant chaque sculpture, pour écouter les commentaires de l'artiste.

Tout au long du périple, on entend le bruit de la mer, le cri des mouettes, la corne de brume... car la mise en scène a été particulièrement soignée pour valoriser les œuvres et créer une ambiance qui leur convienne. L'éclairage a été offert par la ville de Marseille. Les bruitages ont été créés par Yvan Le Floc'h, critique d'art à Concarneau. Et un film a été projeté, réalisé par un autre inconditionnel de JM Martin, Yvon Lachèvre, qui a suivi pas à pas sa vie, depuis ses échecs qui l'ont conduit à la peinture, jusqu'à l'artiste qui malgré mille difficultés, trouve sa voie dans l'Art.

 

" L'ensemble de ces scènes se déroule à marée basse. Les algues sont découvertes.

Commençons par la harpe celtique. Elle traduit le chant de la mer au moment de la déferlante, ou " paquet de mer " comme on dit chez nous. Cette vague qui vient se briser sur les rochers, se transforme en écume. Pour la harpe, j'avais pris des gros câbles avec lesquels je voulais faire une cravate de deuil. Vous connaissez mon obsession des cravates. J'ai commencé par des fils fins. Mais soudain, Il y a eu une torsion terrible, tout l'ensemble est parti vers l'avant. Et la forme qu'ont prise les fils du fait de cette torsion, m'a fait penser à une harpe. J'ai donc fait une harpe, " la harpe celtique ".

En face, vous avez le bateau, ENEZ AVALLON qui signifie " l'Ile des Pommes ", terme qui peut être comparé, dans la mythologie grecque, au Jardin des Hespérides, avec ses fruits d'or. Et Morgane, avec des drapés comparables aux capes de deuil que portaient les veuves de marins. Ma mère en avait une. Aux cérémonies de deuil des péris en mer, elle la portait. C'est ce que j'ai voulu rappeler en montrant des formes enveloppées de capes noires au-dessus du bateau. Nous sommes sur l'île enchantée d'Avallon. J'ai ajouté là de nombreux symboles. Mais tout est parti de la réalité. A la proue de l'ENEZ AVALLON, Saint-Michel porte en guise de heaume, une coiffe de deuil aux rubans raides comme en portaient ma mère et les veuves de marins. Cela a été un travail terrible, car je l'ai fignolé comme un vrai bateau. J'ai travaillé de toutes mes forces pour réaliser cet ensemble. J'ai assemblé tous les cordages pour obtenir un ensemble très réaliste. Avec des étapes que l'on retrouve dans les croyances -peut-être devrais-je dire les superstitions ?- celtiques. Légendes que connaissent tous les gens vivant dans ces régions de " Breiz " où vivaient les druides, où sévissait l'Ankou... où s'est créée une sorte de romantisme avec Chateaubriand, avec la prophétie de l'Irlande… C'est là que sont arrivés tous les envahisseurs. Dans certains cimetières, comme celui de la Pointe de Penmarch, on retrouve encore la trace de peuplades venues de l'Inde. Et la preuve que ces hommes préhistoriques pratiquaient la trépanation.

 

Dans toute cette horreur de mort, il y a un sourire, certes un peu niais, mais un sourire quand même, c'est celui de la lune.

 

Ensuite, nous avons le paquet d'algues ou la ville d'Ys engloutie. C'est le trône de Dahut qui s'est transformé. Les cheveux sont faits avec de la filasse. C'est le moment du clair de lune et de la marée basse. Le trône s'est fossilisé, s'est couvert d'algues également fossiles. Et la bête vit sous l'ensemble. Les fonds sous-marins génèrent cette sorte de couleur bleu-gris.

Dans cette cavité, vivait la Reine d'Ys. Pour les gens qui ne vivent pas habituellement au bord de la mer, la marée basse paraît banale. Mais pour les riverains, c'est un autre monde ! Ces rochers où trônait la Reine, étaient à marée basse couverts d'algues, et de toutes sortes de plantes aquatiques. Et, depuis toujours, les marins de la région de Concarneau connaissaient son existence et savaient que lorsque les rochers étaient découverts, on y trouvait des crabes, toutes sortes de crustacés aux pinces énormes, et surtout des homards. Ces découvertes m'ont beaucoup impressionné, quand j'étais enfant.

 

Nous avons ensuite les cheminements vers les espaces abyssaux. Que cela soit le ciel ou l'abîme, l'immensité génère des couleurs proches : les profondeurs infinies du ciel ; les profondeurs des abîmes.

 

Vient la mutation des Trépassés. Ils arrivent sous forme larvaire, vers un endroit qui ressemble à un Paradis. C'est le Voyage de l'Anaon (le Trépassé). Nous avons quitté l'abysse. Nous avons l'impression de plonger le regard vers un monde à la fois surprenant et effrayant. Le thème d'origine était le texte de Jérémie : " Du fond de l'abîme, j'ai crié vers toi, Seigneur. Ecoute, ma prière ". C'est l'ultime prière des naufragés.

 

Enfin, sur le dernier panneau, ce sont des gorgones qui descendent. Cela s'appelle l' " apic abyssal ".

Il manque bien sûr toute la partie stellaire. "

 

Gorgones et crabes ! Ces monstres ne symbolisent-ils pas la longue lutte menée par Jean-Marie Martin, contre les éléments et contre son propre corps, au long de cette saga qu'il porte à bout de bras, et à bout de coeur ?

Malgré tout, cet artiste tellement talentueux reste d'un optimisme inébranlable ! D'une simplicité et d'une convivialité exemplaires.

Jeanine Rivais

**Jean-Claude Caire a été pendant trente-cinq ans, le rédacteur du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.

 

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