chez LUCIEN MARSOL, DESSINATEUR
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Les
psychologues qui se sont intéressés aux uvres
dessinées, traitées au crayon ou à l'encre par
leurs auteurs, ont conclu, entre autres raisons, qu'elles le sont
toujours par besoin d'intimité. Si tel est bien le cas, Lucien
Marsol, qui a passé de longues décennies, penché
sur ses papiers, à les noircir à l'encre de Chine, doit
forcément partager avec eux, une complicité de vieux
amis. " Revivant ", sans doute avec beaucoup de tendresse, les contes
de son enfance. Avec infiniment de malice, aussi, car il faut, dans
le dédale de ses spirales et de ses oves, savoir discerner la
sirène entre les algues, le couple langoureusement
allongé, la tête du coq, l'oiseau, le poisson, etc. Le
tout, " tapi " comme sur les éphémérides de
naguère où, à chaque page, revenait la question
: " Où est la tête ? " Et l'enfant tournait, retournait
le feuillet jusqu'à ce que, là, à la fourche de
deux branches
Chez Lucien Marsol, cet aspect ludique
est d'autant plus inattendu, et d'autant mieux dissimulé au
premier
regard, que ses motifs humanoïdes ou animaliers sont pris dans
une trame de vertigineux réseaux ornementaux, de signes
répétitifs et échiquiers obsessionnels, de
figures aux variations inépuisables
Que l'artiste
continue de peaufiner, jusqu'à ce que, au centre de la page
blanche, le plus minuscule espace soit piqueté d'infimes
pointillés, guilloché de mille petites lignes
brisées, ponctué de fines mouchetures, orné de
délicates arabesques
Générant une sorte
d'alphabet de quelque langue inconnue, brodé par cette main
minutieuse ; dont chaque trait, chaque point palpite de ce qu'elle
veut montrer ou tente de cacher. D'autant que l'espace blanc
ménagé autour de ces sortes d'architectures
visionnaires, crée, telle la marge du poète, une
maîtrise spatiale qui, par contraste, donne au motif central
son expression la plus pure.
D'apparence beaucoup moins
structurée, mais en réalité
délibérée dans ses moindres circonvolutions, et
tout autant porteuse de questionnements, est l'uvre " tachiste
" de Lucien Marsol, conçue en des gris cendrés,
à peine teintés de roses ou de jaunes destinés
à les faire vibrer. Minutieux travail ectoplasmique ; conques
cillées de concentricités vibrionnaires ;
enchevêtrements de non-formes ; jaillissements magmatiques ;
surfaces pellagreuses mates ou coruscantes
devant lesquels le
visiteur a soudain l'impression d'être transporté dans
la magie des fonds sous-marins, à proximité d'un volcan
d'où sourdraient de façon aléatoire, des
bouillonnements de lave. Parfois, -nostalgie peut-être des
structures évoquées plus haut- l'artiste pose au milieu
de reliefs incertains, la silhouette raide et lourde des voiles d'un
bateau fantôme pris dans
les glaces ; ou bien, il fait émerger du fond, parmi des
projections de vase, l'asymétrie fusiforme d'un monstrueux
animal cyclopéen
D'autres fois, au contraire,
abandonnant toute rigueur, il évolue parmi les vermiculures
d'algues arachnéennes, en des retenues de couleurs roses et
bleutées...
Ainsi, les deux parties de l'uvre de Lucien Marsol se répondent-elles : les géométries récurrentes de l'une et les foisonnements informels de l'autre ; la gémination du noir et du blanc de la première et les délicates harmonies pastellées de la seconde. Donnant corps à une création empreinte de poésie... Composant, sous ces deux formulations de style et de forme, une authentique unité, un univers pictural d'une grande originalité.
Jeanine Rivais.