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Longtemps, les uvres d'Huguette Machado-Rico, jouant sur le mystère des dégradés de couleurs entre volumes et lignes, se sont situées aux confins de l'abstraction géométrique.
Longtemps aussi, n'ayant renoncé
ni à la géométrie, ni à la couleur, elle
a campé des intérieurs presque vides, hantés par
des silhouettes indéfinies. La seule " présence
obligatoire " était un fauteuil exprimant curieusement
absence
ou présence, comme s'il était " en attente ": les lieux
ainsi évoqués étaient vastes, sortes de salles
des pas perdus quittées par des individus de passage en
situation de hasard. Pour accentuer cette sensation de
vacuité, l'artiste reprenait les dégradés
d'autrefois, car les progressions lumineuses cernant les "
scènes " étaient pour elle très importantes : en
mélangeant huiles, acryliques, glacis ou matités, elle
créait des lieux glauques, zones troubles, ombres absurdes,
contrastes sans motivation. Elle assumait ainsi sur la toile un
état d'appréhension permanente.
Mais une artiste aussi chaleureuse aurait-elle indéfiniment pu se sentir " chez elle " dans cet univers impersonnel ? Pour pallier cette froideur apparente, elle a commencé à y intriquer des éléments d'un langage codé, petits coups de pinceau, minuscules éclatements, croix, flèches, papiers collés signes cabalistiques s'animant autour du couple homme/fauteuil (ainsi, le fauteuil si longtemps vide, devenait-il " complice " d'une présence). D'autres objets, plus symboliques, serrures ou mains, traduisirent bientôt le voyeurisme récurrent du peintre, introduisant même, par le jeu présence réelle (de l'observateur hors champ) / interdit (serrure) / caresse (main), une situation érotico-fantasmatique aussi trouble que les ombres du décor.
Nul doute, que là encore, ces dualités n'étaient guère psychologiquement confortables ? Même si elles représentaient, par rapport à l'univers naguère tellement vide, un début de vie ? Peut-être est-ce pour contrer définitivement cette impression persistante de calme froid et de vide que l'artiste a voulu introduire des parties en reliefs, collages délicats qui cessaient d'être simples " éléments " du décor pour en devenir les moteurs. Surprenant la main et arrêtant les yeux, ils supprimèrent définitivement cette sensation d'attraction/répulsion générée par les uvres du début ; et amenèrent assurément le spectateur à un cordial tête-à-tête avec l' " histoire " ?
En effet, devant toutes ces mutations
surprenantes et de plus en plus affables, peut-être peut-on,
aujourd'hui, envisager que l'artiste ait " ouvert " portes et
fenêtres ? Sinon pourquoi aurait-elle introduit des
petits
personnages encore un peu raboteux, lourdauds comme des Babouchkas
russes ? En foule parmi fleurs et pictogrammes dignes des jardins
merveilleux du Magicien d'Oz, attendrissants et bon enfant, ils
ramènent chaque tableau vers le monde enfantin du conte. Et,
en gage de sérénité, ils regardent de leurs
grands yeux ronds le visiteur, l'air de lui dire : " Vois, nous
sommes enfin nés ! Ne valions-nous pas la peine que tu
parcoures un long périple glacé pour venir
jusqu'à nous ? "
Jeanine Rivais.