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Longtemps,
Monique Luyton a réalisé pour des parcs
préhistoriques, des animaux hyperréalistes et des
hommes encore aux premiers temps de leur évolution. Croire
qu'un tel investissement soit sans conséquences, est
illusoire. En tout cas, il a entraîné l'artiste vers une
réflexion sur la mémoire, vers un travail hanté
par le besoin de " retrouver ", comme en d'ancestrales
généalogies, des traces de vies depuis longtemps
disparues : Et, telle une paléontologue désireuse de
témoigner qu'il s'agit bien de quelque civilisation
jusqu'alors insoupçonnée, elle expose ses "
découvertes ".
De fort étranges découvertes, en vérité ! Car, attentive à donner à ses hominiens, l'air d'avoir subi l'usure du temps, l'artiste a choisi de les éroder, les griffer, les buriner, les toronner, les entrelacer comme s'il lui était essentiel d'intervenir à toutes les phases de leur gestation ; créant une beauté formelle tout à fait originale, au moyen de compactages gris brun, de fibres de sisal, plâtres et goudrons . Mais le plus inattendu vient de ce que, se rapprochant encore de la terre, elle " exhume " ses personnages, petits êtres végétaux littéralement cramponnés au sol par des sortes de pédicules et émergeant en même temps que de vigoureux stolons qui montent, se ramifient, se nouent...
Alors, commence la fantasmagorie, car
le rôle de ces ramures ne se limite pas à occuper
l'espace aérien : selon que ces personnages
érigés en leur centre s'y nichent ou s'y tordent comme
de douleur, elles deviennent habitacles ou cellules, empêchant
dans les deux cas, d'accéder directement aux individus
qu'elles enserrent. Et qui sont chaque fois des êtres sans
conteste humanoïdes, au corps tantôt presque
réaliste, aux seins galbés et au ventre
proéminent ; tantôt simple ébauche sans membres,
soutenue par une épine dorsale saillante. Et seulement lorsque
Monique Luyton a le sentiment d'avoir achevé cet amalgame, en
vient-elle à la tête ! Fine, très
élaborée, comme si l'artiste s'intéressait
surtout à la partie pensante de ces êtres venus du fond
des âges ! Les yeux clos, bouches fermées aux
lèvres tirées ; joues creuses et mentons
proéminents ; cheveux longuement coiffés à la
façon des hennins médiévaux ou des turbans
moyen-orientaux, ce qui semble paradoxal, par rapport à la
connotation intemporelle de ces créations
insolites.
Mais le plus inattendu survient lorsque l'artiste veut socialiser ses personnages : Les appuyant en groupe sur un unique pseudopode, les longues tresses similaires de leurs cheveux redescendant vers les troncs-corps mimétiques, elle les ramifie en bouquet d'une exemplaire symétrie. Ce faisant, autre paradoxe, elle les situe dans une réalité qui supprime toute idée de généalogie. Les veut-elle alors à une étape d'existence végétative, très introvertie, d'où leurs fronts sans rides et leur éventuel amorce de sourire exclurait l'idée de la mort ; où la sérénité de leurs visages suggérerait même une avancée vers une vie ?
Subséquemment,
Monique Luyton se trouve-t-elle à un palier de sa quête
sculpturale ? Un moment où elle chercherait à dominer
ce travail jusque-là tellement pulsionnel, trouver un
équilibre entre le végétal et l'humain, entre le
dit de ses uvres et la forme, entre son imagination et le
travail de ses mains ? A-t-elle, dans ce périple mental
où elle récuse toute démarche intellectuelle,
mais revendique un rôle thérapeutique, si bien
enchevêtré les civilisations des mythologies
personnelles d'où elle était partie, qu'elle se doit
maintenant de démêler les écheveaux de son temps
tellement particulier ? Il semble que oui ! Attendons !
Jeanine Rivais.