DANS L'UVRE DE MONIQUE LE HINGRAT-VILLION, peintre
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Elle est conviviale, gaie, rieuse même. Néanmoins,
à considérer son uvre, il semble bien que Monique
Le Hingrat-Villion porte en ses gènes les dramatiques
réminiscences d'une enfance passée à
côtoyer la mort, fût-elle liée au décorum
des Pompes Funèbres. Qu'elle conserve la mémoire de ses
nuits cauchemardesques ; de ses peurs niées par bravade mais
jamais vraiment vaincues, lorsque, avec d'autres enfants, elle jouait
à cache-cache, au clair de lune, entre les tombes
Les
décennies aidant, les souvenirs se sont faits imprécis,
l'acuité des angoisses s'est estompée, leur
récurrence amoindrie
Subsiste néanmoins la
rémanence de ce temps où lui pesaient si fort la
théâtralité de l'envoi vers l'Au-delà et
le sentiment du tragique de la Destinée. Avec lesquels il lui
faut continuer à vivre
Même si le noir intense de
la mort s'est mué en bleu.
Car le bleu " est " la couleur de Monique Le Hingrat-Villion. Les bleus, plutôt, auxquels elle est " obligée " de revenir d'uvre en uvre. Telle une fatalité à laquelle elle ne peut résister, quelle que soit son idée de départ, sous peine de ne jamais parvenir intellectuellement " au terme " du tableau !
Parallèlement,
a disparu le faste des monuments qui devaient paraître à
l'enfant immenses et effrayants. Ils sont devenus chapelles à
l'échelle humaine, arcades branlantes auxquelles s'agrippent
quelques plantes rudérales, châteaux en ruines, grottes
fantasmatiques, etc. Des " restes " de splendeurs anciennes,
abandonnés nul ne sait quand, ni pourquoi ? Baignant dans une
atmosphère livide qui abstrait toutes profondeurs. Avec
parfois, des chemins qui semblent s'en aller " vers ". Mais vers
où ? Aucun indice ne permet de conclure. Et même, ces
possibles " ailleurs " s'avèrent illusion, puisque,
immanquablement, ils se heurtent à quelque muraille
latérale, se perdent aux marges du tableau. De sorte que
chaque uvre de l'artiste pourrait être un
élément d'un film de Murnau, avec ses décors
fermés, expressionnistes et glauques.
Néanmoins,
ces sites sont habités. Mais là encore aucune
clé ne permet de deviner comment des " humains " sont parvenus
en ces huis clos ? Qui sont ces créatures dépourvues de
membres ; s'appuyant, de temps à autre, sur des ailes ? Aux
visages figurés par de simples ovales entourés d'une
auréole ? Aux corps à peine esquissés,
désincarnés, réduits à leur ultime
enveloppe, épiderme ou suaire ? Paradoxalement, dans l'esprit
de Monique Le Hingrat-Villion, rien de religieux ne vient hanter ces
lieux ; et ces êtres ne sont pas des anges ; même si,
dans ces ambiances chargées de mysticisme, ils seraient
parfaitement chez eux ! Alors, pourrait-il s'agir de tous les morts
de naguère, dont le défilé dans le
funérarium paternel perturba si fort ses jeunes années
? Et qui, grâce à son pinceau, parviendraient à
des limbes où elle les déposerait, afin qu'elle puisse,
enfin, trouver la paix ? Sont-ils " des gens ", tout simplement ?
Devinés plutôt que vus. Evanescents. Tellement
liés aux murailles érodées que, parfois, ils ont
l'air d'être niellés
dans
des bas-reliefs. Ou encore, figurés sur de vieux tissus, sur
des bois vermiculés, prenant alors des allures de peintures
surannées
Tandis qu'un être gigantesque semble
protéger la scène de ses bras éployés.
Peut-être, d'ailleurs, le rôle de ce dernier, s'ajoutant
au passage du temps évoqué plus haut, consiste-t-il
surtout à protéger l'artiste ? Car il est
indéniable -et rien ne saurait l'en empêcher, tant
l'urgence se fait pressante- qu'à exprimer ainsi sur la toile,
ses réalités fantasmées, Monique Le
Hingrat-Villion parvient pas à pas, à expurger ses
peurs.
Rien d'étonnant, en cette
occurrence, que le visiteur, confronté à une telle
densité picturale, s'arrête, profondément
ému ; tente de trouver en ces amorces
de paysages imprécis, des repères psychologiques, qui
l'aideraient à construire sa propre histoire, sachant qu'aucun
titre ne viendra jamais le conforter dans sa recherche.
Jeanine Rivais.