NICOLAS LEGRAND, peintre et sculpteur.

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Nicolas Legrand, êtes-vous à Banne au titre d'artiste Singulier ? Ou d'artiste contemporain ?

Nicolas Legrand : Un peu des deux, parce que je me sens aussi Singulier que contemporain. Tout dépend ce que vous entendez par " Singulier " ?

 

JR. : Pour moi, il s'agit sans ambiguïté de la frange marginale.

NL. : Dans ce cas, je me sens plutôt là, parce que contemporain je le suis du fait que je crée aujourd'hui…

 

JR. : Il me semble difficile de donner une définition générale de votre travail, parce que soit vous avez apporté des œuvres très différentes, soit je ne comprends pas le lien qui peut les unir.Je voudrais donc que, vous, vous définissiez votre travail. Parce que si je regarde vos peintures, je vois bien des villes. Mais quand je regarde vos personnages, l'un avec un arrosoir, etc. je ne retrouve plus du tout l'idée citadine. Quel est le lien ?

NL. : Le lien, c'est la récupération. En fait, ce sont deux travaux qui ont été créés en parallèle : le thème de la ville qui revient en leitmotiv ; et un travail de récupération d'objets usés, élimés par le temps et que j'utilise tels quels. Une fois qu'ils ont été assemblés en puzzles, ils ont une certaine présence, une tête, je dirai même une gueule, et c'est le graphisme qui est autour qui les met en valeur. Le lien entre la ville et les personnages tient donc au fait que ce sont des objets de la ville que des gens ont jetés : quelqu'un a bu sa canette de bière et l'a jetée dans la rue. Une voiture a roulé dessus et l'a écrasée. Je suis passé par là. Sa forme m'a intéressé et je l'ai ramassée. Je ne retouche jamais les objets récupérés. Sur un grand personnage, je suis parti d'une plaque de tôle. Il y avait déjà toutes sortes de graphismes, j'ai donc dû en trouver d'autres pour la mettre en valeur…

Je procède souvent de la même façon sur mes toiles qui sont immenses. Une fois, j'ai proposé une toile de 6 mètres à des gens qui étaient venus à un dévernissage. Tout le monde est intervenu dessus. A la fin, il y a eu un résultat que j'ai conservé pour repeindre dessus. Il y a donc souvent, là encore, une vie qui ne m'appartient pas et que j'essaie de garder.

 

JR. : C'est ce que j'allais dire : ce happening que vous avez suscité, ce n'est pas votre travail. Et il me semble impossible qu'une foule hétéroclite, de cultures et de milieux forcément différents puisse répondre à l'unité obsessionnelle qui est la vôtre quand c'est vous qui créez !

NL. : Non, bien sûr. Sauf que, quand j'ai donné cette toile à des gens qui, pour la plupart ne peignent jamais, ils se sont fait un plaisir qui s'est retrouvé sur la toile sous forme d'une trace de vie. Et moi, je me sers de cette trace de vie. Même si elle n'est pas cohérente. Et, sur cette trace que je garde, et dont des éléments vont subsister, je pose mon côté obsessionnel, ma composition.

 

JR. : En somme, ce serait une façon de créer dans la contemporanéité, une archéologie qui serait le pendant des archéologies que vous créez à partir d'objets anciens ?

NL. : Ca, c'est intéressant. Je n'ai jamais pensé à utiliser ce terme d' " archéologie ", mais c'est bien cela. Parce que l'on sent bien les différentes couches, les strates de travail, les grosses taches, les coulures, que je dispose même quand je travaille seul, et sur lesquelles la lumière agit par brillances de façon différente. Le regard circule différemment selon la lumière qui est posée dessus.

 

JR. : Dans ce cas, si je prends les tableaux qui sont entassés à nos pieds, et où je ne vois que des taches, je peux donc penser qu'il s'agit de tableaux qui ne seraient pas terminés ?

NL. : Non. Ceux-là sont faits à partir de taches de café. Chaque matin, je jette mes fonds de cafetière sur la toile, puis je joue avec les taches qui ne sont donc pas complètement aléatoires. J'ajoute des graphismes au crayon parce que je trouve que le grain avec la toile est un plus. C'est donc la tache qui va constituer la structure de la ville. Mais j'ai bien conscience dès le début que je vais faire une ville. Ce n'est donc pas seulement du tachisme. En même temps, le hasard est important, même si souvent il est provoqué, qu'il s'agisse de la tache ou des objets récupérés. Parce que, au bout d'un moment, on fait des choix, on évite de récupérer des objets dont on a déjà plusieurs… Pour d'autres, on tombe amoureux, c'est une vraie rencontre. Il faut un dixième de seconde pour décider, au moment où le pied va se poser dessus, si l'on va le ramasser ou le laisser à terre !

 

JR. : Il me semble donc que, comme beaucoup d'œuvres de l'Art contemporain, la vôtre a besoin du discours pour exister ?

NL. : Je ne sais pas ! C'est votre avis ? Il me semble que, souvent, même quand je suis absent, les gens comprennent bien ce que j'ai voulu dire !

 

JR. : En fait, chaque toile en elle-même est accessible. J'ai pensé non pas au résultat, mais aux itinéraires pour comprendre comment vous êtes parvenu à ce résultat !

NL. : Oui, bien sûr, après il faut faire les liens ! Mais c'est pour cela que l'on communique. Sinon, il faut avoir des partis pris, et n'exposer que des choses bien évidentes, pour ne pas faire peur aux gens !

 

JR. : Il ne s'agit pas de peur. (D'ailleurs, peu de choses me font peur, depuis le temps que je baroude !)

NL. : Ce n'est pas le mot ! Pour moi, tout cela est la vie, une manière de faire avancer les différentes techniques ! Une manière de ne pas m'ennuyer. Les ponts se font à mesure que les techniques se croisent, avancent, s'entrecroisent. Et il devient de plus en plus évident que c'est la même personne qui les relie. Naturellement, après, les réactions sont diverses : certaines personnes n'aiment pas mon travail des villes ; d'autres n'aiment pas la récupération… Cela me fait plutôt plaisir que des gens aient un parti pris par rapport à mon travail. Ceux qui me connaissent bienle reconnaissent facilement. Moi je fais, je donne à voir, aux autres de réagir. Certains m'apportent des objets, ce qui implique qu'ils ont eu plaisir à regarder mes créations à partir de récupérations…Parce que je n'ai pas les mots pour le dire, la peinture est pour moi une manière de dialoguer. Je crois qu'elle est aussi un reflet du monde que nous vivons, de ma vie personnelle…

 

JR. : Vous êtes autodidacte ? Ou vous avez étudié aux Beaux-Arts ?

NL. : J'ai fait des études. J'ai commencé par les Arts appliqués, puis je suis passé aux Beaux-Arts, mais j'ai arrêté.

 

JR. : Y a-t-il autre chose que vous auriez aimé dire ? Une direction que vous auriez aimé prendre et que nous n'avons pas prise ?

NL. : Non, je pense que nous avons dit l'essentiel. Simplement j'aime redire que je n'ai apporté ici que ce qui concerne les villes. Et que je m'intéresse aussi aux mobiles. Que je n'en fais pas de plus grands par manque de place. Créer ces mobiles est aussi une manière de me détendre. D'ailleurs, cela peut s'élargir. Demain, il peut y avoir du son… Pourquoi pas ?

Entretien réalisé à Banne, le 2 mai 2008.

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