QUOTIDIENS ET FANTASMAGORIES DANS L'ŒUVRE D'ALAIN LACOSTE,

PEINTRE-SCULPTEUR.

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Quelle définition conviendrait mieux à Alain Lacoste, que de dire de lui : " C'est un autodidacte éclairé " ? Car cet artiste est à l'évidence un philosophe, cultivé jusqu'au bout des ongles, connaissant à fond ses " Classiques ". Mais n'ayant jamais (et sans doute est-ce heureux pour ses admirateurs) fréquenté les Beaux-Arts qui auraient dé/formé son goût, altéré sa technique, supprimé cette spontanéité qui fait le charme et la puissance de ses créations et les rend reconnaissables entre mille.

A partir de là, et quelles que soient les variantes générées par des décennies de recherche, il est des récurrences qui corroborent cette originalité : Et au premier plan, le pied de nez à la géométrie, qui " empêche " les personnages d'être tout à fait verticaux ou tout à fait horizontaux, mais les place en des obliquités, des déséquilibres subreptices, des contorsions acrobatiques, des superpositions inopinées, des rapprochements fortuits hommes/animaux et des disproportions qui leur permettent de s'" encastrer " les uns dans les autres et générer une impression de profondeur, alors que l'artiste n'organise aucune perspective. En second lieu, et puisque tout ce petit monde est placé sur des surfaces blanches ou demi-teintes qui semblent le pousser à l'avant-plan, il faut noter chez Alain Lacoste, l'absence de toute indication géographique (ville, végétation…), sociale (vêtements, objets…), et surtout temporelle puisqu'il ne suggère aucune trace du temps qui passe. Et c'est logique : tous ces éléments apporteraient à ses " narrations ", des connotations réalistes ; les ramèneraient vers le quotidien, au lieu de les placer en des situations fictionnelles.

Car chaque tableau EST une narration : une histoire fantasmagorique, mythologique, ethnographique, littéraire ou cinématographique ; profondément ludique sous ses dehors sérieux. Des péripéties où les personnages sont parfois sagement inscrits dans l'espace anonyme qui leur est dévolu ; mais affectent le plus souvent d'être en lévitation, de n'obéir à aucune gravité ; transgressant leurs limites, pour conquérir des territoires qui ne leur seraient pas d'emblée impartis ! Indisciplinés donc. Aventureux. Et puis, autre originalité, et même si parfois l'artiste " s'exprime à plat ", ils sont en saillie, comme si la troisième dimension participait de ces " émancipations ". De sorte qu'il est difficile de préciser -mais quelle importance ?- si les œuvres d'Alain Lacoste sont des peintures en reliefs, ou des sculptures plates ; puisque peintures et sculptures conçues en des couleurs vives associées en d'audacieux contrastes, s'élaborent simultanément, se complètent, s'interfèrent ; le ciseau et le pinceau travaillant " ensemble ", à les combiner pour y générer des moments psychologiques forts.

Le créateur recompose/colle/peint ces petits êtres sur la toile, les organise en des " scènes " appartenant à l'imagerie populaire, du temps où bêtes et gens se comprenaient, se parlaient, avaient en somme des rôles de semblable importance. En conséquence, elles le ramènent (et avec lui le spectateur jubilant) aux lectures de son enfance, à de patibulaires truands ferraillant, cache sur l'œil, épée et coutelas en action, échappés nul ne sait d'où ; à des enfants irrévérencieux tirant la langue, lancés dans d'homériques bagarres ; à de redoutables griffons menaçant quelque brave explorateur ; à Jonas sortant de la baleine dotée de quatre énormes pattes…

Tous ces personnages qui regardent le spectateur de leurs gros yeux hardis lourdement cernés de noir ; entretiennent d'étranges relations de complicité ou de violence, exprimées la plupart du temps en une dualité complémentaire : Homme aux mains baladeuses / femme au large décolleté aguicheur ; homme armé d'un gourdin / oiseau au long bec de prédateur ; reîtres de sac et de corde sexe au vent / cheval au galop ; couple chargé d'offrandes /totem bicéphale (non pas deux têtes côte à côte, mais l'une " logique ", l'autre remplaçant les pieds ou jaillissant de la première ) ; " touristes blancs " en randonnée équestre / " autochtones noirs " détournant le regard, etc.

Ce petit monde stylisé, d'apparence lourde et solide, aux membres raides mais aux allures paradoxalement mobiles, souvent cul par-dessus tête dans ses expressions paroxysmiques de joie, de danger… génère une création vivante, tonique et généreuse, pleine d'humour, épisodique et bon enfant qui, au fil des années, n'a pas pris une ride. Et, quelle que soit la définition qu'en donne son auteur, elle le situe dans une dissidence prévenant toute classification !

Jeanine Rivais.

 

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