LE PETIT MONDE PICTURO-SCULPTURAL DE DANIELLE LABIT.

**********

Une vocation contrariée par la volonté paternelle de la faire rester dans " la bonne société " ; enfin assouvie lorsque les obligations familiales personnelles se sont allégées… Voilà Danielle Labit avec crayons, couleurs et pinceaux, débutant une œuvre picturale totalement autodidacte.

A peine commencée, un séjour en Afrique remet tout en question ! Nombre d'artistes, attirés par l'idée de la Terre-Mère, partent pour ce continent, afin d'en comprendre les mystères, en intégrer les secrets… Ils en traduisent dans leur œuvre la primitivité, l'archaïsme tribal, l'hiératisme, sans pour autant se soucier de réalisme, ni d'ethnographie… Une façon de dire qu'ils ont trouvé le moyen d'établir avec cette culture " autre ", un impossible dialogue ; relater de façon très subjective leur voyage émotionnel à travers des mystères culturels qu'ils ont essayé d'assimiler. Rien de tel pour Danielle Labit qui, de prime abord, a eu beaucoup de mal à s'adapter à l'Afrique, la jugeant éminemment hostile. Pour qui le choc a été si violent qu'elle en a perdu la voix et le sommeil, et surtout la capacité de peindre ; et ce n'est que longtemps après son arrivée, une fois vaincue la sensation d'étouffement, qu'elle a pu établir des contacts avec les Africains, s'intéresser aux masques et connaître leurs significations sociales et cultuelles…

Pourtant, rentrée à la maison, elle a réalisé que l'imprégnation qu'elle avait subie était profonde. Et que sa peinture, reprise peu après, était désormais influencée par toutes sortes d'impressions jusque-là ignorées : " Des yeux qui regardent. Le gris plombé du ciel, typique de là-bas car c'est (le Cameroun) une région humide. Et ces couleurs sont celles des textiles africains. C'est ainsi que je revois l'Afrique : ce vert permanent, étouffant, et tout à coup une femme qui surgit de la brousse avec un boubou éclatant. Majestueuse avec sa belle cuvette de cuivre sur la tête. Pour moi, ce sont les couleurs de l'Afrique "*. Toile à toile, il a semblé pendant plusieurs années qu'elle déversait ce trop-plein d'émotions si longtemps enfouies ; qu'elle effectuait une sorte de rétro-voyage au pays de ses peurs : La matière une fois travaillée avec six ingrédients " secrets " pour former une pâte granuleuse proche du sable, et tapissée d'enduits générant des reliefs, le support s'est couvert de palmiers, serpents, reptiles, sorciers… Et de gens. Un monde grégaire, sans respiration. Les êtres qui le peuplaient, tassés au-delà de toute possibilité de bouger, avaient les bouches pincées, aux commissures tombantes, étonnées ou apeurées. Au fil du temps, les personnages sont devenus de plus en plus drus, au point de n'être bientôt plus que moutonnements de têtes, sans même la place pour les corps ! Un monde proche de l'agressivité, malgré sa beauté…Un agglomérat d'adultes parés pourtant de tous les attributs de leurs fonctions honorifiques, turbans, peintures faciales, etc. Regardant tous, droit devant eux : Surveillaient-ils, de leurs gros yeux, l'artiste en train de leur donner un semblant de vie ? Est-ce à les comprimer ainsi comme par compensation inconsciente de cette agoraphobie éprouvée naguère, qu'elle a fini par reconquérir son souffle ?

Toujours est-il qu'à la naissance de ses petites-filles, elle a retrouvé sa joie de vivre, ce monde sans enfants apparaissant rétrospectivement d'autant plus paradoxal. Elle s'est lancée avec fougue, dans le monde des tout-petits. Sans toutefois " oublier " l'Afrique ! Car, côte à côte avec le garçonnet en salopette à rayures et la fillette en coquette robe à pois sous laquelle pointent deux seins minuscules, se trouve immanquablement un enfant noir portant couronne. Et tous, minois émoustillés, se donnent la main. Pourtant, si leur espace est nettement " ouvert ", s'ils lèchent à qui mieux mieux une énorme sucette, ou jouent de l'accordéon… ils sont toujours dans un lieu non signifiant : aucun décor n'exprime leur situation géographique, sociale ou historique. Ils sont là, petits lurons venant de nulle part, appartenant à tous les temps ! Observant, eux aussi, mais avec de grands yeux rieurs, leur génitrice… A moins qu'ils n'aient remarqué le visiteur arrêté devant eux, les regardant d'un air attendri, parce qu'il les trouve rigolos et mignons à croquer. Et qui découvre soudain leurs cadets passés dans la troisième dimension, faits de bois flottés ou de pierres, aux visages doux ou féroces, aux cheveux hirsutes ou… absents ; aux corps remplacés par de très esthétiques sacs en tissu…

Ainsi, Danielle Labit quitte-t-elle peu à peu le monde de la création incantatoire, intellectualisée et hautement psychologique, pour celui beaucoup moins rude et éprouvant de l'Art-Récup'. Semblant désormais mêler sans plus souffrir, " ses " enfants à " son " Afrique avec laquelle elle se serait réconciliée. Passée tour à tour, d'œuvres de survie à la compagnie de petits êtres attendrissants puis à celle, nouvelle, à connotation africano-sculpturale, elle donne l'impression de parvenir enfin à conjurer les pénibles réminiscences attachées à son passé. Entrer dans un monde bien à elle. Devenir, en somme, une artiste épanouie !

Jeanine Rivais.

 un autre artiste

 

Cf. " Entretien de Danielle Labit avec Jeanine Rivais " : http://jrivais.club.fr . Rubriques " Entretiens " ou " Festivals ".