peintre et sculpteur
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Un
artiste peut-il atteindre une telle complétude, qu'ayant
commencé à peindre depuis quelques années
à peine, il ait l'impression de le faire depuis toujours, et
d'en ressentir une grande sérénité ? Tel est en
tout cas le sentiment d'Anne-Marie Jouot que rien ne semblait
prédestiner à devenir peintre. Mais voilà que,
par hasard, elle a " rencontré " l'Art brut, les uvres
de ces êtres poussés par la souffrance à
dessiner, sculpter
Elle s'est alors rendue compte qu'il
était possible de devenir un créateur, sans se
préoccuper d'académismes ou d'écoles
Cette
révélation a bouleversé sa vie : Il faut dire
qu'ayant vécu in situ les affres de la guerre d'Algérie
et le déracinement subséquent ; et fait des
études médicales qui l'avaient placée
très près des désarrois d'autrui, elle avait
à évacuer une très forte charge
émotionnelle et psychologique.
Il semble donc facile d'expliquer pourquoi, ayant " osé " prendre des pinceaux, ses premières uvres étaient si sombres. Mais peu à peu, a prévalu un fonds d'optimisme dont elle ne se savait pas, jusqu'alors, détentrice. Passant des larmes au rire, l'artiste a pris le pas sur la jeune femme anonyme, lui permettant de sublimer, en les posant sur la toile, ses propres douleurs et ses angoisses. Grandement libérée, elle a pu parvenir à la couleur, tout en se sentant aussi profondément concernée qu'au départ. Et faire jaillir comme d'une boîte de Pandore, un monde bien à elle ! Un petit monde tendre dans lequel apparemment, chacun aime chacun !
Pourtant --faut-il y voir un reflet d'elle-même ?-- cet univers idéal semble avoir un problème ; car tel en un jeu de chamboule-tout, rien n'y est à sa place. Les protagonistes de chaque uvre sont placés en total déséquilibre, comme si Anne-Marie Jouot avait tiré dessus à quille-que-veux-tu. Si drus qu'ils n'ont pas assez de place pour être appréhendés dans leur entièreté : des uns, n'est visible que la tête ; des autres une ébauche de bras ; ailleurs un buste ou une jambe. Et le plus étonnant est que, malgré cet apparent désordre, malgré ces multiples handicaps, ses personnages-cibles ont l'air d'adorer ce jeu puisque leur visage " taillé à coups de serpe " est " fendu jusqu'aux oreilles " en un sourire.
Ces expressions populaires conviennent à merveille à
ces petits êtres qu'aucune connotation sociale ne
définit : en pouvant les décrire de façon
imagée et bon enfant, le spectateur les situe intuitivement
dans le peuple. D'ailleurs, du fait de l'absence de tout
érotisme que pourrait inférer leur proximité, il
s'autorise quant au sexe la même réaction
inspirée; estimant selon sa subjectivité qu'untel est
un homme et tel autre une femme ! D'autant qu'il n'est pas davantage
guidé par la moindre implication géographique ou
temporelle ! il s'agit donc là d'une société
grégaire faite de multiples individus sans autre relation que
d'être souriants côte à côte ! Heureux, tout
simplement ! Le tout dans un grand éclat de couleurs qui
corrobore cette joie de vivre ; étale au grand jour l'humour,
le sens poétique et le bonheur enfin trouvé de leur
génitrice !
Pourtant la tâche est rude pour
Anne-Marie Jouot. Car, de tous ces éléments incertains,
comment faire naître un sentiment de totale harmonie ?
Sinon
en travaillant comme elle le fait dans l'émotion, sans calcul
ni stratégie ! En déposant inconsciemment sur chacune
de ses uvres l'évidence que réaliser un tableau
est pour elle tendre vers un apaisement ; mais qu'il lui faut, au
cours de ce périple, verser bien des larmes ; qu'elle ne
parviendra à se sentir en paix que si elle a parfaitement
établi le dialogue avec ses créatures ; que chaque
toile est donc une bataille gagnée sur elle-même et sur
la vie
La même problématique transparaît dans ses sculptures, car plonger ses mains dans la terre procure à Anne-Marie Jouot un total bien-être. Et les petites créatures qui en émergent, réalisées dans des couleurs douces ont, elles aussi, mission de lui donner pêle-mêle la vie, le triste, le beau, le gai, le vécu, l'espoir, la féerie, le rêve Bref tous les ingrédients qui lui permettent de remettre d'aplomb son monde tellement bancal !
Jeanine Rivais
Voir aussi : Entretien avec Jeanine Rivais : Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS SAINT GALMIER 2006.