JICE, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Jicé : Est-ce un diminutif ?

Jicé : Oui. Je m'appelle Jean-Claude. Cela fait beaucoup trop de lettres pour une signature au bas d'un tableau.

 

JR. : En plus, cela fait Jésus-Christ !

J. : En plus ! Je me suis dit que cela avait bien fonctionné dans le passé, alors pourquoi pas maintenant ? D'autre part, de nombreux dessinateurs ont ainsi utilisé des initiales. D'autant que, peut-être le " Jean-Claude " qui cotise à la Sécurité Sociale n'est-il pas tout à fait le même que celui qui crée dans son atelier ?

 

JR. : Vous désirez donc faire le distinguo entre la personne civile et votre personnalité d'artiste ?

J. : Oui. Il y a celui qui obéit à des codes, à des lois… Alors que, dans ce que je fais, je n'accepte aucun code, aucune loi, aucun flic : je fais ce qui me plaît, uniquement ce qui me plaît. Je peux donc me choisir un nom de grand sorcier. Prendre un nom qui corresponde à cette sorte de transcendance qui m'entraîne quand je crée, même si cela semble de grands mots ! Quand je travaille, je ne suis pas dans mon état normal. Je suis à cent pour cent dans l'action. Et quand je suis dans l'obligation de mettre de l'essence dans ma voiture ou d'aller faire des courses, je rejoins le lot de tous les humains.

 

JR. : Hormis quelques animaux, votre travail ne traite que de la femme, et la femme extrêmement stylisée ?

J. : Il y a quatre éléments qui reviennent depuis le début : Mes femmes sont des déesses. Pour moi, les déesses ont toujours été des femmes. Ensuite, j'ai des animaux bizarres que j'appelle " des Extranimaux ", et qui viennent d'ailleurs. Il y a aussi des personnages bizarres que j'appelle " des Etonnés ", parce qu'ils ont l'air toujours un peu perdus. Et il y a des totems. Et depuis peu, j'aborde " des paysages improbables ". Et en plus, maintenant, je fais des photos numériques qui me permettent des emboîtages d'images… Ceci dit, j'ai déjà vu des femmes, et elles ne sont pas comme les miennes….

 

JR. : Néanmoins, vous avez trouvé les traits essentiels. Vos déesses, par exemple : elles possèdent la vue, bien qu'elles n'aient qu'un œil. Toutes ont des seins énormes, des hanches larges qui semblent les destiner à la procréation, à la maternité. Toutes ont un point commun : elles ont quelque chose d'incrusté dans ou sur le ventre ? Et enfin, elles ont toutes le sexe très en évidence. Sur l'une d'entre elles, vous l'avez même complètement surligné ! Alors, si ce sont des déesses et non pas des femmes, pouvez-vous expliquer la différence ?

J. : Je retourne aux Vénus préhistoriques. Qui représentent la maternité, la fécondité, la convivialité. C'est le don. C'est l'avenir. C'est cette vision qui m'intéresse.

 

JR. : Vous parlez de la Dame de Brassempouy ?

J. : Ce qu'elles ont " sur leur ventre " est en fait " leur " ventre, J'ai créé le relief en superposant des couches de carton. Le coup du regard : Parfois, elles n'ont qu'un œil, en effet. Parfois, elles ont deux fentes qui symbolisent le regard, parce que leur mettre deux yeux ne m'intéresse pas ! Qu'elles aient un regard, me suffit.

 

JR. : Elles n'ont même pas ce regard. Elles n'ont pas de pupille. Elles n'ont qu'une fente à la place des yeux. Pourquoi n'ont-elles que cette fente qui suggère une vision très étrécie ?

J. : Sur certains autres personnages, j'ai mis des yeux, très grands, très expressifs. Mais alors, ce regard attire celui du spectateur. Ici, je préfère le faire porter sur les rondeurs de la femme, sa poitrine, ses hanches. Surtout, je ne veux pas que, par le regard, on puisse pénétrer dans leur cerveau, dans leurs pensées. C'est peut-être l'explication ? Mais je ne suis pas sûr de dominer tous les détails que je crée. Ni l'analyse !

 

JR. : La plupart de vos personnages sont en dehors d'un fond, réduits à leur plus simple expression. Ce sont des cariatides, en fait ?

J. : Ce sont des totems féminins. Elles n'ont donc pas besoin d'être réalistes.

 

JR. : Par contre, vous avez un autre personnage peint en rouge, dont je n'arrive pas à déterminer s'il est masculin ou féminin ?

J. : Ce n'est pas une déesse. Je ne sais pas trop ce que c'est. C'est l'un de mes Etonnés. Je me retrouve très bien dans ce personnage. Je l'ai intitulé " Dans mon ciel ". C'est un univers où je me sens bien.

 

JR. : C'est pratiquement la seule qui ait un fond. Je veux dire un fond signifiant : vous avez placé la lune, le soleil et les nuages. Alors que les autres sont toutes sur des absences de fond.

J. : Le fond est un support, c'est tout. Il n'est pas important dans mon histoire. Je m'attache aux personnages que j'envisage comme existant sur d'autres planètes. On peut très bien imaginer qu'il y ait d'autres mondes ! Moi j'ai inventé " les scopes " et je vois très bien des animaux bizarres sur ces autres planètes ! On pourrait s'intéresser de façon documentaire et animalière à des personnages différents. Les miens sont différents !

Je ne m'intéresse donc pas au fond. Chaque personnage crée un petit évènement. Le personnage EST l'évènement.

 

JR. : Une autre série me semble beaucoup plus bizarre encore. Tout se passe comme si les personnages avaient un corps nain sur une tête normale. Une tête bien détaillée. Pourquoi cette disproportion entre la tête et le corps ?

J. : Je ne sais pas trop. Depuis quelque temps, j'aime bien déformer la figure et le visage. La forme du visage. Je suis parti de l'idée d'allonger les visages ! Mais Modigliani l'avait fait avant ! De nombreuses vieilles civilisations ont fait de même. Cela me plaît esthétiquement de déformer le personnage, l'allonger, tout en lui laissant de la consistance, alors qu'il n'a rien de plausible. Il est probable que ces personnages-là n'ont pas le même statut que les déesses ! C'est mon petit Panthéon : ce sont peut-être des sous-grades, des esprits accompagnateurs ?

 

JR. : Par contre la plupart de vos animaux ont une présence, une densité. Certains sont même devenus pratiquement des sculptures ? Pourquoi ont-ils ce privilège sur les humains ?

J. : J'ai commencé par la sculpture. La sculpture m'intéresse beaucoup. Ce qui m'intéresse chez les animaux, ce sont leurs lignes, leur souplesse. Le mouvement qu'ils peuvent avoir. A partir d'un animal qu'on peut ou non identifier, j'aime bien retrouver une attitude qui va renforcer l'impression première. Les animaux m'amusent. Il y a chez eux une telle diversité que je suis tenté d'aller voir comment ça marche, comment ça bouge, comment ça danse … Avec là encore des déformations que je leur apporte pour qu'ils ne soient pas tout à fait orthodoxes !

 

JR. : Venons-en à vos totems. Chaque personnage est complètement en bas. Et puis vous avez une sorte de longue trompe ou corne ?

J. : Ce sont des Bigoudens que j'ai un peu modernisées. Ce sont aussi des petites déesses. Quand je suis allé en Bretagne, je me suis un peu amusé avec les codes bretons. C'est mon image culturelle locale. Pour d'autres, le personnage est coiffé par exemple d'un guépard, parce que chacun appartient à un clan. Chacun s'identifie à un personnage symbolique. En même temps, je confère à ces objets un pouvoir magique. Ce sont des objets fétiches.

Dernièrement, j'ai fait aussi des travaux de peinture, avec également des déformations, et le travail du regard qui fait tout. Là, à voir les réactions des visiteurs, c'est bien le regard qui crée l'émotion.

 

JR. : Y a-t-il autre chose que vous auriez aimé dire, des questions que vous auriez aimé entendre ?

J. : Je voudrais simplement dire que j'espère pouvoir longtemps continuer à créer, parce que je ne vois rien de plus intéressant à faire ! Je regrette que, dans notre monde, de telles occupations ne soient pas prises au sérieux ; que l'on nous donne si peu de place ?

 

JR. : N'oubliez tout de même pas qu'en exposant dans un lieu consacré à l'Art insolite, vous êtes supposé être dans la marginalité. Ce qui, en principe, est complètement antithétique de grands honneurs, de grandes considérations.

J. : Tant mieux, restons entre nous ! Tout va bien ! Je parle de l'art en général, puisqu'il n'en existe qu'un seul, l'art officiel. Alors que, lorsqu'un visiteur achète une de nos œuvres, elle revêt une importance énorme. Il a fait un effort pour se l'offrir, elle va vivre sa vie chez lui. Il est dommage que nous passions toujours pour de doux dingues, même si cela nous préserve aussi ! J'aimerais que les gens viennent plus nombreux. Cela leur ferait du bien, cela nous en ferait à tous ! Nous avons perdu notre pouvoir de sorciers que possédaient les premiers hommes qui ont dessiné sur des murs. Et c'est dommage.

Entretien réalisé à Miermaigne, le 21 juin 2008.

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