LA FACADE DE LA MAISON DE CELLE QUI PEINT.

Entretien de Jeanine Rivais avec DANIELLE JACQUI.

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Il était une fois un pays lointain et inaccessible, parce qu'il se trouvait à la limite du clair de lune et du petit matin. Il était pour un instant d'éternité une fleur épanouie, une dame verte qui avait deux bouches pour dévorer un coeur".

Danielle Jacqui, Celle qui peint.

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Jeanine Rivais : Danielle Jacqui, à quel besoin correspond votre volonté d'orner la façade de votre maison, d'investir dans sa décoration de très longues périodes, puisque la "tradition" veut que vous la restauriez ou la modifiiez chaque automne ?

Danielle Jacqui : L'envie m'en est venue très progressivement, mais très naturellement. Quand j'étais brocanteuse, mon magasin était contigu à cette maison, située sur la route Nice-Marseille. La fréquentation en était très intense. Déjà, mon plaisir était de "créer une mise en scène", c'est-à-dire d'installer des décors très théâtraux parmi les objets de ma brocante. Quelle joie de voir les gens sortir la tête de leur voiture, et s'arrêter!

Un jour, la brocante ne m'a plus donné entière satisfaction, j'ai commencé à y intégrer mes oeuvres. Tout en travaillant, je personnalisais mon magasin. Quand mon mari et moi nous sommes installés dans cette maison, j'ai poursuivi la même démarche et, désormais, elle fait partie de ma vie.

 

J. R. : L'intérieur de votre maison foisonne de vos oeuvres : peintures, sculptures, broderies, poupées, etc. Peut-on dire que décorer la façade relève du besoin de "déborder", "transgresser" : que vous désirez un "contenant" à la hauteur du "contenu" ?

D. J. : Peut-être? Mais j'ai eu dans ma vie, diverses périodes, souvent à contre-courant des modes! A un moment où j'ai vécu des évènements personnels dramatiques, j'ai décidé avec mon mari, de laisser la maison complètement nue. Nous avons tenu un bon moment! Puis j'ai imaginé des décors avec des apports extérieurs ; jusqu'au jour où j'ai tout enlevé pour commencer à investir les lieux avec mes oeuvres.

En 1984, j'ai "attaqué" la façade. J'ai d'abord peint, sur les volets, des bandes de couleurs vives qui, déjà, rendaient la maison attrayante. Un peu plus tard, j'ai écrit un texte, ajouté un dessin... Peu à peu, j'ai gagné sur le mur, en y plaçant peintures et mosaïques. Depuis longtemps, je rêvais de mosaïques ! Chaque fois que, dans mon travail de brocanteuse, j'en trouvais dans une maison, je les gardais bien que dépareillées, dans le but de les recombiner un jour "autrement" !

 

J. R. : Etait-ce important pour vous, de prendre ces petits objets déjà chargés d'un passé, pour les intégrer à votre travail ? Et inversement, avez-vous parfois le désir de n'employer que du "neuf" ?

D. J. : Les deux démarches me conviennent. Au fil des années, j'ai acquis ma " culture broc. Bien que j'aie pris l'initiative d'y renoncer, elle reste ma seule vraie culture, elle est ma vie. Je la détourne, j'y prends infiniment de plaisir. Mais il ne s'agit pas d'"art-récup",

j'ai horreur de cette attitude qui consiste "obligatoirement" à se servir d'objets usés, abîmés. Je choisis spontanément un objet, neuf ou vieux, dont je sais immédiatement comment je peux l'intégrer à telle sculpture...

 

J. R. : Vous êtes, à ma connaissance (hormis certaines femmes de villages indiens, africains...) la seule femme à avoir investi la façade de votre maison. Et la façon dont vous l'avez fait est infiniment harmonieuse et convaincante.

Est-ce parce qu'une façade peinte vous aurait paru trop "plate" que vous avez ajouté sculptures et céramiques en relief? Que vous avez, en somme créé un haut-relief

D. J. : Si j'osais, mes oeuvres seraient encore bien plus en relief ! Mais je veux respecter les gens, essayer de ne pas les choquer. Je désire que mon attitude d'artiste soit en osmose avec mon environnement. En aucun cas, je ne veux créer un décor agressif ou provocant, même si une telle façade est en soi une provocation !

Mais j'aime l'idée qu'elle soit adoptée par les gens passant devant ma porte ; qu'ils admettent spontanément cette culture différente de la leur.

 

J. R. : Toutes les oeuvres à l'intérieur de la maison sont à l'évidence créées dans un esprit de durée, de témoignage de votre passage et de votre talent. Avez-vous le même sentiment en réalisant votre façade, ou bien acceptez-vous l'idée de travailler dans l'éphémère ?

D. J. : Certes, j'ai le sentiment de travailler dans l'éphémère, puisque chaque année, je dois restaurer ou entretenir les oeuvres extérieures pour qu'elles restent vivantes. Mais je redoute le temps où je ne pourrai plus le faire, car j'ai une trop grande volonté d'affirmation pour être tentée de créer volontairement des oeuvres éphémères!

LA FACADE EN 1996. 

J. R. : Deux démarches étroitement imbriquées se conjuguent donc sur cette façade : les céramiques déjà évoquées qui sont solides ; et les peintures beaucoup plus fragiles.

Refaites-vous, chaque fois, de nouveaux décors, ou vous contentez-vous de "repasser" sur les parties déjà existantes ?

D. J. : Pas du tout ! Sauf celles du bas, que j'aime beaucoup parce qu'elles se situent dans la mouvance de l'art brut : "On" m'a d'ailleurs beaucoup reproché leurs allures de poupées slaves! Mais elles sont pour moi le symbole de l'enfance prolongée, de l'aptitude à retrouver à l'âge adulte, l'esprit de l'enfance. Et puis, moi, je "sais" qu'il s'agit de danseuses de sardane ; que le petit bonhomme à bicyclette est mon fils... Et que j'ai écrit "l'enfance de l'art" en réaction à l'incompréhension d'un galeriste marseillais qui, à propos de mon travail, parlait d'"art mineur"!...

Finalement, ce que j'y mettrai est sans importance. Je sais que je le créerai en harmonie avec ce qui préexistera. Seules comptent les conditions dans lesquelles je le réaliserai. Et, de ce point de vue, une aide physique et matérielle me serait précieuse pour installer un échafaudage solide!

 

J. R. : ... Car, si je vous comprends bien, seuls le vertige et une installation branlante vous empêchent d'investir votre façade jusqu'au toit ?...

Avec quels matériaux travaillez-vous ?

D. J. : Il est vrai que ces deux handicaps m'ont, jusqu'à présent, empêchée de réaliser en haut des compositions aussi importantes qu'à la base!

Je fabrique des "alliages" de jaunes d'oeufs, vernis, peintures, matériaux hétéroclites. J'aime le brillant ainsi obtenu. Mais je me suis aperçue que si j'ajoute du sable au vernis, l'ensemble résiste mieux aux agressions du soleil et de la pluie...

 

J. R. : Pour le passant qui arrive sans rien connaître de votre travail, quelle définition en donnez-vous ?

D. J. : Je suis avant tout une artiste populaire, sans que ce mot ait la moindre connotation péjorative ; ou puisse être amalgamé aux définitions des pays de l'Est. Dans mon esprit, ma façade est beaucoup plus qu'une simple décoration : c'est un passage, une volonté exprimée face au conservatisme architectural de la Provence où les murs "doivent" être ocres, bien sages, tous bien semblables!

Ma façade, c'est la liberté. Il me semble que si chacun avait un mur qu'il pouvait investir, le monde entier se sentirait mieux!

J'ajouterai qu'en raison de ma démarche très marginale, les galeries ne s'intéressent pas à mon travail : Alors, ce mur est mon cadeau aux gens, ma réaction contre les censeurs!

Par ailleurs, à l'époque où je vendais ma brocante et mes oeuvres sur les marchés et le long des rues des villes, je m'étais surnommée "la Princesse des trottoirs"! C'est là, au milieu du peuple, que j'ai commencé à être appréciée. Les gens venaient voir où j'en étais de mes broderies, me faisaient retourner le travail pour examiner l'envers, m'apportaient des fils pour m'aider à continuer... En fait, j'ai été connue sans aucune médiatisation! Celle-ci n'est venue qu'après! C'est pourquoi, comme je l'ai dit tout à l'heure, je me définis comme une "artiste populaire". Et quand je dis "populaire", ce mot n'a rien de dévalorisant, au contraire!

 

J. R. : Diriez-vous qu'avec la drôlerie, l'humour, la naïveté, la gentillesse qui se rencontrent sur votre façade, elle puisse être assimilée à un conte de fées ?

D. J. : La partie basse, incontestablement. Mais depuis que je me frotte aux milieux artistiques , je crains bien d'avoir perdu un peu de ma naïveté, d'avoir durci les visages ?

 

J. R. : Que signifie "caléfacter", lisible en haut de la fresque ?

D. J. : Beaucoup de gens m'ont posé cette question. Ce mot signifie "brûler". Il a exprimé mes états d'âme dans des périodes difficiles. Il est également le début d'un de mes poèmes :

Caléfactées sous le ciel de Provence,

Mes peintures constellent ma maison...

LA FACADE EN 2009.

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Et quelle constellation ! A voir absolument par toute personne passant dans la région !

Danielle Jacqui : La Maison de Celle qui peint. Pont de l'Etoile. 13360. ROQUEVAIRE.

 

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CET ENTRETIEN A ETE PUBLIE DANS LE N° 57 D'AVRIL 1996 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. (P. 187).

 2009 : Danielle JACQUI a constamment continué d'oeuvrer : Après une fresque de 200 M² dans les rues de Roquevaire, après plusieurs expositions prestigieuses de ses oeuvres (Peintures, sculptures, poupées, meubles...), elle a pour pincipal projet d'investir la façade de la gare d'Aubagne. Plus de 1000 sculptures sont déjà réalisées, attendant d'immortaliser cette gare jusque-là anonyme !

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