de SIMON-RICHARD HALIMI, peintre
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Paradoxalement,
--et cette précision semble revêtir dans sa
démarche, une importance primordiale-alors que sa
création est si éminemment visuelle, Simon-Richard
Halimi affirme que son il n'est pas l'élément
déterminant de son cheminement pictural. Mais bien son
oreille, qui lui permet d' " entendre la vie ", en saisir les
bonheurs, les peines qui angoissent et les joies du partage
Qu'en somme, cette oreille a un rôle prépondérant
dans sa création intimement liée à sa vie et aux
émotions inhérentes ; tandis que l'il n'en est
que le truchement : Peut-être ce sentiment naquit-il dès
l'origine, lorsque immobilisé par un grave accident, le jeune
homme qui n'avait jamais tenu un pinceau, s'est mis à peindre
? Le fait est que, de son lieu de claustration, il ne lui
était alors loisible de capter que les sons auxquels son
imagination pouvait donner corps, sans qu'aucune image vienne se
plaquer dessus !
Pourtant, l'il du spectateur, lui, est à la fête, face à chaque toile fourmillant de subtiles vibrations, comme impatiente de " narrer " son histoire, en une sorte d'explosion, d'élan heureux des couleurs ! Car, avant tout, cet artiste est un coloriste. Possédant un sens inné des nuances qui lui fait associer des rouges et des jaunes en des progressions chaleureuses et éclatantes comme des envols d'oiseaux bigarrés ; des bruns patinés des terres africaines desséchées de soleil qui lui sont si familières ; des bleus des grands ciels du désert ; et des verts virant au gris des sylves gorgées d'eau ! Tout cela joint au mouvement propre des personnages de la toile, d'autant plus " mobiles ", qu'en un souci de vaincre ce qu'il appelle " la dictature du sens ", le peintre organise chaque uvre en une sorte de progression labyrinthique qui l'équilibre en tous sens, la rend " lisible " quelle que soit son orientation ! Au point que le visiteur pénétrant dans son atelier a le sentiment d'entrer en une oasis où tout ne serait que danse et harmonies cinétiques !
L'Afrique : Si la peindre n'a jamais été le propos de Simon-Richard Halimi, il y a vécu plus d'un quart de siècle, et elle est bien là, sous-jacente, nouvelles racines pour un artiste chez qui est essentiel le métissage culturel qui donne à sa création un petit air d' " horizons lointains " éminemment sympathique. D'ailleurs, de très belles sculptures primitives, jalonnant ses propres uvres, ont l'air d'en être les incontournables prolongements, sortes de compléments à sa manière d'emmener dans l'espace des uvres qui sont supposées n'être qu'en deux dimensions.
Car
nombre de peintures de Simon-Richard Halimi sont en relief. Il va de
soi que, pour un artiste réfléchissant aussi longuement
que lui sur ce qu'il veut -ce qu'il " doit "- exprimer, cette
projection dans l'espace ne saurait être que
géographique : elle est, psychologique, une manière
d'avancer vers autrui, lui faire comprendre toute l'angoisse ou le
mal-être social qu'il a besoin d'évacuer ; sa
colère contre des événements qui l'ont
particulièrement choqué (au sens littéral). Et
il a une façon bien à lui d'expurger ce trop-plein
d'émotions : Il " se sert " des éléments
traumatisants pour créer sur la toile, à partir de ce
qu'ils véhiculaient de négatif, les bases de ses "
histoires " manichéennes, moralisatrices, sociologiques, etc.
Ainsi, déchire-t-il et encolle entre autres des journaux "
coupables " de ses peines et de ses colères !
Agglutinés avec d'épaisses strates de peintures, ils
deviennent des sous-couches aléatoires qui vont
générer les reliefs, partant les brillances et les
vibrations évoquées plus haut, les accidents, les
repères... Peu à peu, cette sorte de revanche
génère la jubilation, et à mesure qu'il
progresse, qu'il installe sur cet espace si puissamment
connoté, les protagonistes de " sa " propre histoire,
Simon-Richard Halimi retrouve sa grande joie créatrice,
teintée de naïveté et de pureté originelle.
Car, figurent désormais sur la toile, émaillés
de force symboles (serpent, triangle, il, clef
) qui sont
autant de rappels de sa culture multiethnique, " les
opprimés et les lèche-culs ", "les monarques et
les courtisans ", " les hommes et les femmes
"
Là encore, il a une
manière très originale de traiter l'humain,
d'élaborer les personnages qui le représentent.
Peut-être parce qu'il les juge capables de se glisser partout,
il en fait des sortes d'ectoplasmes tout en rondeurs, sans jamais
aucun angle droit, l'air d'être toujours en lévitation.
Là, commence pour Simon-Richard Halimi, le temps de la
narration, celui (Soleil d'été) où un homme
assis avec trois femmes, tente de les honorer toutes à la
fois
Car l'érotisme est omniprésent dans cette
uvre, poussé à son paroxysme par les
lèvres surchargées, les tétins surlignés,
les gros ongles dont le rouge violent apparaît comme la seule
transgression ! En l'occurrence, comme les bras de l'homme ne sont
pas assez nombreux ni assez longs, la main, le ventre deviennent
visage, et il a des yeux partout (tiens, l'il, encore, qui
remplace les éléments corporels lorsque ceux-ci sont
insuffisants !), tandis que son phallus/mandragore se rapproche du
sexe/châtaigne de la femme du premier plan !
C'est encore
le temps (Hélène et la Bataille à trois)
où un homme au visage mafflu est complètement
cerné par des bêtes terrifiantes (serpents, rats,
pieuvres
hommes), de sorte que le spectateur se demande s'il s'agit de la
fameuse bataille de l'Antiquité ; ou, malgré son
sourire et son confortable double menton, d'un individu en plein
cauchemar ? C'est le temps où Il pleut dans (sa)
mémoire, du " malheur de ne plus aimer ", où une
femme/soleil irradiant de mille feux, brille tragiquement au-dessus
d'un homme/montagne dont les traits négroïdes
suggèrent quelque lointain chef tribal. Etc
Souvenirs !
Souvenirs et imaginaire, cheminant de concert avec la
réalité.
Enfin, un autre élément apparaît comme primordial, dans la démarche de Simon-Richard Halimi, c'est l'écriture, serpentins de réflexions intimes ou de maximes, fluctuant entre les éléments de chaque " scène ". Elle est parfois en français, d'autres fois en langue judéo-arabe afin que son rôle cinétique se double d'un retour vers cette assertion déjà évoquée que l'artiste, en même temps qu'attentif aux traditions et respectueux des dits des anciens, est un homme d'ouverture ; que son esprit est le creuset de toutes les cultures ; que ces " signes " en sont à la fois témoins et porte-parole multiformes
Ainsi, de mouvement pictural en gestuelle scripturale ; de rayonnement de couleurs en ondulations de formes ; d'investissement personnel en universalisation du sens Simon-Richard Halimi réalise-t-il une uvre vivante, puissante, très originale et éminemment narrative. Du beau travail.
Jeanine Rivais.
(1) Titre d'une uvre.