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Gwezenneg,
dont le nom indique qu'il est breton et l'adresse qu'il habite en
Normandie, a-t-il hérité de lointains ancêtres
flibustiers ou Vikings, un amour immodéré pour les
bateaux ? Toujours est-il qu'une sorte d'instinct ou d'obsession,
l'entraîne sans fin sur les grèves, pour y
récupérer épaves échouées,
crânes ou squelettes d'oiseaux, symboles de mort, à
partir desquels cet étrange magicien recrée une vie
toute
personnelle.
Sculpteur, Gwezenneg ? Peintre ? Peut-être faudrait-il créer à son usage, le mot " épaveur ", pour qualifier l'artiste capable " comme Picassiette et autres bâtisseurs de l'imaginaire de créer à partir de rejets, ce fascinant bestiaire: tels les lointains drakkars, snekkas, etc. ", afin que ses uvres puissent attirer l'attention de ses dieux, d'effrayer ses ennemis.
Parlant des pierres de Bretagne sur
lesquelles elle écrit ou peint, Raâk
André-Pillois disait récemment: "
C'est le galet qui "veut". Il m'est arrivé, sans
succès, de chercher à le "contrarier"
"... Aucun hasard non plus dans le
cheminement de Gwezenneg : le nud du bois, la branche
burinée, déterminent à l'évidence le sens
du travail et la destination de l'épave. A partir du moment
(me semble-t-il) où il " sait" si sa
création sera un éléphant, une barque ou un
personnage, tel un orfèvre, il la cisèle: Ici, un petit
crâne d'oiseau devient un nez; là, des os minuscules
disposés avec infiniment de délicatesse, forment un
il, une bouche
Ailleurs encore, des poils, des ficelles,
des ossements, des concrétions faites de coquillages
pilés, de terre et de sable, sont agencés de
façon à former un corps humain, des îles
tourmentées au milieu de plages plus calmes, etc...
Nous pourrions en rester à ce stade de l'art brut. Mais alors, entre en jeu le sculpteur qui travaille, torture tous ces matériaux, les imbrique, les indente, les " intègre" si complètement à l'épave originelle, que les éléments disparates forment un tout en complète harmonie.
Puis, intervient le peintre. Un réseau infini, inextricable de lignes (à l'encre ? à la peinture ?) très fines, semblables aux dessins des moucharabieh, couvre le bois, de sorte qu'à la fin, chaque partie de ces uvres est devenue possession de l'artiste. Car il s'agit bien d'une prise de possession, une sorte de voyage initiatique vers ces bois noyés et retrouvés, vers le centre de la mer qui les a modelés et rendus.
Rendons enfin hommage au poète, car les titres de ces uvres sont de petits bijoux: " Barque frag' des secrétions de Goury V ", " Les gardiens du Cyclope de Lainps ", " L'écorneur secréteur ", " Barque frag' des Arac'hs ", etc. "Goury" est-il un havre pour bateaux, si petit qu'il n'est même pas dans le dictionnaire ? Et "Arac'hs" est-il l'abréviation d'Arachné, cette tisseuse merveilleuse qui fut métamorphosée en araignée ? Ces titres qui pourraient, comme chez tant d'artistes, n'être que des redondances de l'uvre, sont ici complémentaires, parfaitement " à leur place ", eux aussi, près des " épaves ".
Jeanine Rivais,
Ce texte a été publié dans le N° 9 de la revue IDEART, et repris par l'artiste dans son catalogue de 1993