LES ETRANGES ALLOCHTONES DE THIERRY GREINER, peintre et sculpteur.

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Est-ce pour conjurer son irrépressible mal-être qu'il change fréquemment de pseudonyme, le plus récent étant " * St Molotov *", comme si, prenant le nom d'un saint, il allait tout soudain bénéficier de la protection des dieux ? Ou bien serait-ce pure superstition, qui l'amènerait à se protéger des esprit malins, en inversant le S, et en plaçant verticalement le M et le V, le tout dûment doublé de deux étoiles, enfermant ainsi hermétiquement son nom ? Tout cela, n'est que conjectures. Mais, par contre, une chose est sûre : Thierry Greiner est un être tourmenté. Qui ne trouve repos et réconfort que dans la création ; sculpture et peinture correspondant à des états physiques et mentaux différents !

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Ses sculptures sont conçues à partir de bois ou de métaux récupérés sur des chantiers. Telle pièce attire-t-elle son œil ? La voilà bien installée sur une planche, l'artiste circulant autour d'elle, jusqu'à ce qu'il ait trouvé le sens qui la rende la plus évocatrice. La forme, la rondeur, la raideur… lui suggèrent alors l'élément suivant à adjoindre… Et, petit à petit, s'élaborent un bateau, un personnage, etc. Seule, la combinaison des divers éléments génère le résultat, car il ne retouche jamais ses trouvailles, sauf peut-être pour percer un œil, peaufiner un détail.

Parfois, aucun matériau ne se prête à son inspiration. Thierry Greiner ouvre alors un sac de ciment, le modèle en une sorte de socle plat, sur lequel il grave ici un héron immobile sur une patte, là un skieur en plein élan, un personnage gambillant au soleil… Petits êtres filiformes, nés spontanément sous l'ébauchoir, couverts de teintes ocrées, jetées elles aussi, de façon très gestuelle.

 

Mais, si ces sculptures très linéarisées et ces petites œuvres gravées correspondent, pour cet artiste, à des moments où il est physiquement et psychologiquement reposé, en paix avec lui-même et le monde, il n'en va pas toujours ainsi. Lorsque s'impose le besoin de canaliser la rage intérieure qui bouillonne en lui, calmer sa révolte contre une société trop injuste et contraignante, le sculpteur passe alors la main au peintre.

 

De ce fait, les peintures de Thierry Greiner sont beaucoup plus colorées, plus élaborées, mêlant images et écritures. Œuvres fantasmagoriques grâce auxquelles il s'en va dans un autre monde, peuplé d'étranges allochtones : Personnages aux têtes animalières, fendues horizontalement par des bouches armées de dents pointues doublées d'énormes crocs dardés aux deux extrémités ; aux langues rétractiles à deux pointes ; aux gros yeux chassieux pleurant de lourdes volutes de matière bleue. Par opposition avec les têtes démesurées, les corps orangés sont squelettiques. Les torses scarifiés sont parsemés de clous. Les membres très longs se terminent par des mains et des pieds aux ongles/ergots qui complètent le côté animal de ces êtres.

Parce qu'il est haut en couleurs, le monde pictural de Thierry Greiner semble de prime abord très décoratif, proposant même parfois des roses épanouies, des frises florales. Mais a-t-il trouvé un refuge plus hospitalier que celui qui le met en rage, en cet univers personnel où il s'interroge ; " Avait-il le choix, reve* de richesse, de grandeur ? Ou juste envie d'être quelqu'un ici-bas " ; dans lequel le temps lui semble compté, puisqu'il sent que l'œil énorme de " La pendule va parlé "* ? Il semble bien qu'il n'en soit rien. D'autant qu'aucune définition n'en est possible, aucune précision n'étant donnée à son sujet (terre, habitat…) Un lieu indéfini, en somme, mais toujours clos. Par contre, s'y produisent des phénomènes vraiment inquiétants : autour des individus évoqués ci-dessus, volent des sortes de tortues/feuilles, dont la densité ferme l'horizon. Plus dangereux encore, l'air est saturé de cartouches, crochets de métal, serrures, mitraillettes, bouteilles vert-de-gris semblables à celles que l'esprit humain rattache à des poisons, même si les étiquettes indiquent que le contenu est du " St Molotov " ! Et puis, surtout, ici une femme cyclope (étonnamment " humaine "), tient dans ses bras son enfant/allochtone apparemment mort, et tous deux ont l'air de sombrer dans les flots ; tandis qu'ailleurs, des morgues sont implantées à de fatidiques N°s 13 ; que des êtres tordent de douleur leurs pauvres corps crucifiés et que des horizons sont en feu… Flots et incendies sont récurrents dans les œuvres du peintre. D'ailleurs, l'une d'elles, parmi les plus dures, intitulée " St Molotov ", le représente dans son tombeau, près d'un cheval gisant, sanguinolent dans un grand embrasement de flammes.

 

Finalement, il semble bien que l'univers fictionnel de Thierry Greiner soit encore plus terrible que son monde " réel ". Mais si, comme il apparaît, ce sont bien ses fantasmes qu'il jette sur la toile, nul doute qu'au bout du compte, ils lui permettent de s'évader, oublier pour un temps, ses révoltes et son mal de vivre. Alors, espérons que, longtemps encore, il charmera et effraiera ses visiteurs, en leur confiant : " Il bat, se ressaire, il s'emballe dans un flot de sentiments, le cerveau saturé d'émotion agonise d'amour, le cœur, c'est juste ça… "*. Le sien bien sûr !

Jeanine Rivais.

(Avril 2009)

* Les fautes d'orthographe sont la propriété de l'artiste !

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