DE FANNY FERRE, sculpteur.
**********
N'est-il pas symbolique, que Fanny Ferré -qui, depuis son plus jeune âge a créé animaux et personnages dans la glaise - ait débuté avec elle une relation d'adulte en vivant dans une grotte située au bord d'une route ?
Dès
lors, pour le spectateur, nombre de ses " choix " coulent de source :
Tels il imagine, dans la nuit des temps, les premiers humains,
barbus, hirsutes, souvent nus, au mieux couverts de vêtements
rudimentaires
tels sont les personnages de cette artiste. Ne
laissant jamais rien au hasard, elle s'attarde longuement à
patiner les épidermes, graver les chairs, buriner les visages,
densifier à l'extrême les silhouettes. Créant non
des anatomies " esthétiques ", mais des êtres dont le
dépouillement, les rugosités, témoignent du
primitivisme de leur existence. Sans pour autant se vouloir
hyperréaliste, la précision du moindre détail,
la manière bien à elle de délaisser des
perspectives lointaines pour donner à ses scénographies
l'omniprésence cinématographique des premiers
plans
ont communiqué au fil des années à
ses créations une telle véracité qu'elles
apparaissent comme la quintessence de l'humanité originelle et
autant d'authentiques pages d'anthropologie.
Car même si Fanny Ferré
semble situer ses personnages, toujours réalisés
grandeur nature, hors de tous temps, tous lieux, tous contextes
sociaux si ce n'est assurément qu'ils sont pauvres, ils
appartiennent néanmoins à l'aube des temps : Temps
où la pudeur n'existant pas, une femme peut s'asseoir jambes
écartées devant le feu du campement, une autre pisser
devant ses congénères, des enfants s'endormir nus :
Temps heureux de l'absence d'inhibitions. Mais temps de tous les
dangers ; où, pour survivre, les individus doivent se
rassembler, élaborer pour le groupe des habitudes instinctives
à l'origine de hiérarchisations : l'homme dessine dans
la grotte, protège femme et enfant ; la femme transporte
vivres, enfants, couvertures, apprend l'entraide. Ses hanches larges
rappellent la nécessité primale de
procréer. Plus tard, apparaît la carriole, et c'est la
femme, véritable " Mère Courage ", qui la tire, et
entraîne par son énergie, gens et bêtes dans son
sillage. Le groupe est devenu tribu, pour laquelle n'existe, que le
présent, l'immédiateté.
Et toujours, cette tribu migre. Les " migrants " de Fanny Ferré obéissent-ils seulement à la nécessité de survie ? Ou bien répondent-ils à une volonté farouche de résistance à toutes formes d'asservissement ? Le mélange de races au sein de ses groupes dit bien qu'elle ne propose pas une réflexion sur la question identitaire, mais une évidence première que le métissage est à l'origine de ce grand élan de vie et l'une des richesses essentielles de son oeuvre.
Qui
dit migration, dit haltes, pour les voyageurs recrus de fatigue.
Moments où, les fardeaux déposés, les groupes se
reforment, les épaules se rapprochent. Chacun se
détend, se laisse choir en des poses abandonnées. Les
muscles relâchés laissent apparaître des courbes
au creux des reins. Les langueurs donnent aux corps une
sensualité inconsciente. Les peurs oubliées, vient le
temps des contacts, des caresses, de l'intimité entre une
mère et son enfant, de la complicité entre un homme et
son chien, des menues confidences formulées à mi-voix,
avec un sentiment paresseux de bien-être... Moments où
surgissent des fragments d'histoires à peine organisés,
des nostalgies instinctives
Instantanés fragiles et
précieux au cours desquels Fanny Ferré passe des
détails du quotidien le plus trivial, la peur, la sueur, la
marche des corps luttant contre les éléments
à l'enchantement de la chaleur, douce et brûlante
à la fois.
Parlant de Rebeyrolle, Sartre avait écrit : " Ne peindra-t-il donc que des toiles de colère " ? Ne pourrait-on dire de Fanny Ferré : " Outre son immense talent, par quelle magie ne crée-t-elle donc que des êtres de chair si " puissants ", qu'elle semble brûler sa propre réalité, pour explorer sans trêve les arcanes de leurs rêves, et de leur poésie ?"
Jeanine Rivais.