*****
Les
uvres de Dominique Dumoulin n'ont rien de simple. Elles sont
réalisées sur bois pour sa résistance au pinceau
et sa grande sympathie pour la peinture à l'huile ; ou sur
carton lorsqu'elle veut donner à ses tableaux la forme de
tanka sur lesquels elle se sent à l'aise. Elle colle alors sur
ce matériau, divers éléments qui
génèrent des reliefs, comme si, même lorsque le
personnage est entier et que tout l'espace lui est dévolu, il
lui fallait subir des accidents. Très indépendante et
insouciante de réussite, ancrée dans une volonté
d'originalité et de sincérité, cette artiste
s'est débarrassée des définitions et des canons
de la peinture classique ; et ses uvres ont le caractère
obsessionnel de celles de l'art brut. Mais elles sont
également proches de cette mouvance appelée depuis un
demi-siècle la Figuration Libre.
Figuratives, les peintures de Dominique Dumoulin le sont incontestablement. Et elle use sans limite de la liberté, voyageant picturalement vers des sphères où règnent la plus grande fantasmagorie, le plus complet onirisme. Boulimique, pourrait-on dire, d'exprimer ce qui bouillonne en elle, menant plusieurs " aventures " à la fois, passant de l'une à l'autre comme si l'histoire de l'une corroborait, affirmait, complétait celle de l'autre qui au fond, est la même . Comme prise de frénésie de remplir l'espace qu'elle sélectionne. A tel point que, bien souvent, cet espace peut être assimilé à un huis-clos où la créatrice a du mal à ménager ici ou là le plus infime interstice !
Un huis-clos dans lequel apparaît
immanquablement un personnage. Car, si à première vue,
le travail de Dominique Dumoulin peut sembler abstrait à force
de surabondance, se dégagent bientôt dans les multiples
enchevêtrements et les profondeurs de ce maelström, les
formes évocatrices d'un être " humain ". Silhouette
enfermée dans cet espace étouffant, sans aucune
liberté de geste, comme ayant réussi à se forer
un passage et restant là, simplement, désormais.
Néanmoins, il est vite évident que ce corps discernable
est la préoccupation primordiale du peintre. Sans être
pourtant jamais réaliste. Parfois même, (Mon îlot
de rêves) à peine émergé d'une sorte de
magma. Un corps stylisé, aux linéarités
incertaines, aux absences ou aux occurrences surprenantes :
Tantôt (Le Masque de l'anatomie) ne possédant que des
amorces de bras
Tantôt (L'Intercesseur) ceux-ci devenus
des ailes fermées, comme en un rêve d'Icare qui aurait
tourné court. Ou bien (Cyclopus) disparates, l'un
ongulé comme un pied de centaure,
l'autre épanoui telle la patte palmée d'un oiseau
Ailleurs, une sorte de pince remplaçant les mains, etc. Quant
aux visages, ils n'ont rien de définitif, ébauchant ici
l'ombre d'un sourire ; là au contraire graves, ouverts sur un
cri muet ; le plus souvent devinés dans la densité
environnante. Et puis, trois éléments,
récurrents et omniprésents : le ventre,
assurément centre énergétique et vital de
l'individu dans l'esprit de l'artiste (Dualité ; Le Sage) ;
couvert de motifs végétaux étroitement
imbriqués, rappelant ces lianes volubiles qui envahissent les
lieux qu'elles sont censées orner. Et les jambes, solides,
sophistiquées, qui supportent puissamment le corps et lui
permettent de rester debout malgré le poids de son
environnement. Enfin, outrageusement développés, les
sexes : masculins (L'Ambigucéphale ; Le Sage), grosses verges
dardées, hérissées de poils qui ressemblent
à des épines ; ou féminins, largement
béants (Trouble-Têtes) ; le plus surprenant tenant
à ce que, accompagné d'un titre féminin
(L'Ecorchée), un individu soit doté d'un incontestable
phallus
Mais, tout compte fait, est-ce
tellement surprenant ? De ses années d'enfance passées
en Afrique, Dominique Dumoulin semble avoir gardé une
fascination pour les idoles. Et
cette magie de l'être ambigu se retrouve dans la dualité
de ses personnages, mi-hommes, mi-animaux ; à la fois en
souffrance et demi-dieux ; à la fois gargouilles et
royaux
D'ailleurs, hormis les rouges vifs qui sont pour elle
symboles de vie, elle a gardé également le goût
des couleurs de ce continent, les bleus des grands ciels
éclatants ; et surtout les couleurs de terre, les ocres
brûlés de soleil ; les verts et les bruns
poussiéreux
Et le hasard n'est sans doute pour rien dans
le fait que les frises dont elle entoure souvent comme pour la
canaliser, cette profusion évoquée plus haut soient
conçues en des géométries
répétitives qui rappellent celles des masques de
cérémonie.
Ainsi, de ses bestiaires inattendus liés à ses imaginaires enfantins ; de ses enfermements personnels projetés sur le bois comme autant d'univers fantasmatiques ; à ses individus longilignes jetés sur le matériau comme des cris d'alarme, et à ses créatures qui pourraient être autant d'autoportraits cabossés par le mal de vivre, Dominique Dumoulin travaille instinctivement ; se laisse entraîner au gré d'évolutions, de rythmes qui lui conviennent, d'enchaînements qui la font rêver. Subséquemment, de cette marche vers elle-même, apparaît une autre évidence dont la créatrice a fortement conscience : c'est que sa peinture lui est une véritable thérapie, une manière de délier les noeuds qui ont durci en elle. Et, pour le spectateur, comment ne pas voir sous la dentelle des entrelacs picturaux, sous la douceur et l'harmonie des couleurs qui les conjuguent, la profonde angoisse d'une artiste qui étouffe dans son propre monde et essaie quotidiennement de l'embellir afin, ne fût-ce qu'un moment, de s'en libérer ?
Jeanine Rivais.