ANOUCHKA D'ANNA
PORTRAITS ET ENFANTS CHEZ ANOUCHKA D'ANNA
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Anouchka d'Anna appartient à cette jeune génération d'artistes qui, ayant récusé les Beaux-Arts, se retrouvent à explorer seuls, presque en autodidactes, les arcanes de la création. D'où l'intérêt de son uvre naissante, encore un peu inorganisée, encore exploratoire, mais déjà lourdement psychologique. Car -même si elle s'en défend ou si elle n'en a pas conscience- il semble que cette artiste ait, en ce domaine, quelques comptes à éclaircir. Ce qui l'a amenée à travailler sur deux registres : des " portraits " et des " enfants ".
Dans la série qu'il faut appeler
" portraits ", Anouchka d'Anna peint des fonds lourds, compacts,
mélanges d'amas de peinture et de coulures aléatoires,
qui constituent sur la toile, une sorte de magma allant des bistres
aux sépias, des verts glauques ou des roses incertains aux
gris bleuté : des teintes qui, en termes communs, sont
appelées (il n'y a là aucun indice péjoratif)
des " couleurs malades " et qui contribuent au
caractère dubitatif de ces créations. Peu à peu
ajoutant, déplaçant, grattant de la main, du pinceau ou
du couteau
apparaissent des formes évocatrices.
L'artiste se rapproche alors de l'une d'elles. A partir de laquelle
elle va élaborer un visage ou une partie de visage
conçu, selon son gré, à divers stades
d'anthropomorphisme. Serré entre les éléments du
fond, comme inclus dans cet amalgame
De sorte qu'il est
impossible de déterminer si chaque personnage placé en
osmose conflictuelle avec la matière, s'efforce d' "
apparaître " ou est irrémédiablement en train de
s'effacer ? Seule, la " décision " de l'artiste de le voir "
naissant " peut déterminer le spectateur. Vu
l'intensité de son travail, subsiste néanmoins une
forte impression de malaise devant ces faciès : certains ont
les yeux tellement noirs qu'ils en semblent vides ; d'autres ont
l'air de s'efforcer de sourire sans y parvenir, et le rictus
généré par cette tentative les rend pitoyables ;
d'aucuns sont d'une remarquable sobriété ; tandis que
d'autres sont réalisés à grands renforts de
reliefs qui les rendent d'un baroquisme
quasi-exotique
Ayant opté pour l' " apparition " de ses personnages, une telle volonté d'optimisme doit être éprouvante, qui consiste à les " faire vivre " puisque les corps, par ailleurs, sont inexistants. Soit qu'ils demeurent enlisés dans la gangue ; soit qu'Anouchka d'Anna n'ait pas éprouvé le désir de leur donner une réalité. Parce qu'en fait, consciemment où non, elle nie l'intégrité physique de ces êtres, ne se souciant que de la partie pensante.
C'est pourquoi, par moments, elle
revient à un travail plus doux, où des individus,
qu'elle appelle des " enfants ", se retrouvent côte à
côte, dans leur entièreté. Des êtres plus
figuratifs, plus dessinés, sans pour autant être
réalistes, ni parfaitement " lisibles ". Mais vivants,
assurément. Dans cette série, le rapport de l'artiste
au fond est tout autre ; car s'il est toujours non signifiant, s'il
ne
situe les personnages dans aucun contexte, social, temporel,
géographique, il est non pas, comme dans les portraits,
l'élément originel d'où les personnages se
seraient dégagés, mais placé derrière
eux, comme il le serait sur une photographie. Et c'est alors une
symphonie de bleus, de beaux bleus, sombres ou éclatants,
denses ou liquides, donnant l'impression que la plus totale harmonie
règne entre les éléments du tableau.
Ainsi, Anouchka d'Anna oscille-t-elle de l'un à l'autre de ses mondes antinomiques ; veillant tantôt à ce que le fond empêche l'appréhension directe de ses créatures pourtant émergentes ; tantôt à ce qu'il serve de faire-valoir à ses personnages. C'est ce va-et-vient qui est intéressant dans son travail. Sans doute, au fil des années, à mesure que toutes les éventualités exploratoires, ses intuitions, ses réactions pulsionnelles seront déchiffrées, devra-t-elle opter pour l'un ou pour l'autre ? A moins que, ayant découvert en elle
les raisons de ses choix actuels, et dégagé la
philosophie de sa démarche, elle continue de s'y sentir bien
et décide de les poursuivre. Qui sait ? En tout cas, il est
intéressant de voir une authentique créatrice mettre
son talent au service d'une non moins authentique création en
devenir. Rendez-vous dans dix ans !
Jeanine Rivais.