ou
MIREILLE D'ANNANZA, peintre.
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Parfois, la vie est si
chienne, qu'elle empêche une personne convaincue d'être "
née pour être artiste ", de réaliser
son désir. Le sentiment des rêves avortés, les
frustrations s'accumulent
Heureusement, à force de
souffrance et de désespoir, ce qui n'apparaissait qu'utopie,
prend un jour corps, faisant jaillir toute cette intimité
douloureuse
Que faire alors de cette difficulté
d'être, de cette haine irrépressible, jusque-là
accumulées en vrac ? Sinon les transcender en devenant enfin
ce que l'on a toujours voulu être, une artiste ?
Tel a été l'itinéraire de Mireille d'Annanza qui, après une enfance sans joie, est devenue l'auteur d'une création profondément psychologique. Non que la vie lui soit plus douce. Mais elle est désormais jalonnée de dessins et de peintures qui sont autant de témoignages de cette longue aspiration. Et les paradoxes qu'ils proposent, attestent qu'il lui a fallu souvent outrepasser bien des tabous, pour parvenir à se libérer. C'est pourquoi, elle ne peut dessiner ou peindre que dans une sorte d'état second, où elle lâche prise, ne domine plus rien Ce qui implique une complète solitude, et la nécessité d'aller sans interruption, du début jusqu'au moment où elle a le sentiment d'avoir -pour un temps_ " tout dit ". Aujourd'hui, lorsque le visiteur " parcourt " cette uvre d'une trentaine d'années, le plus évident est qu'elle a, étape par étape, évolué parallèlement à la propre " naissance " de la jeune femme _à moins qu'elle n'ait " permis " cette naissance.
Les
personnages du début semblent perdus dans une sorte de
brouillard. Subséquemment, les contours de ces
éléments " organisés " (mais le sont-ils
vraiment ?), sont diffus. Certes, il apparaît qu'il s'agit ici
d'une femme, là d'un visage mélancolique, ailleurs d'un
homme jeune ou vieux
mais le décor aléatoire, ce
que l'on pourrait en fait appeler un " non-fond ", les prive de toute
dynamique ; crée l'impression qu'ils sont évanescents
plutôt qu'en train de poindre. D'ailleurs, il ne s'agissait
alors que de visages. Sans même l'amorce de corps.
Visages/émotions, expressions fugitives. Nimbés, dans
l'aperçu que l'observateur peut avoir d'eux, de mysticisme et
de spiritualité.
Et
puis, un jour, sont " arrivés " des corps. A peine
émergents, mais émergents assurément ; encore
mal cicatrisés, raboteux, souvent atrophiés ; aux
membres et aux sexes incertains ; aux ventres ballonnés ou
absents ; aux seins pendants
Comme on imaginerait la glaise
encore malléable de quelque Golem au terme de sa gestation. Le
fond lui-même a changé. D'indéfinissable, il est
devenu magma d'une surprenante densité. De carcan, il s'est
fait protecteur de cette " naissance ", acquérant de ce fait
une certaine sensualité. Pour autant, il ne propose toujours
aucune réalité sociale ou sociologique,
géographique, philosophique
Néanmoins,
cette vie nouvelle -car désormais il s'agit bien de vie- ne va
pas sans heurts. Les couleurs restent souvent livides, comme si
Mireille d'Annanza ne " savait " pas encore employer les rouges
autrement que comme faire-valoir des gris et des bruns. Et ce sont
ces rouges accidentels qui génèrent des transferts de
personnalités tout à fait étonnants : Ainsi, la
femme éviscérée n'est-elle pas sanguinolente.
L'est, par contre, celui qui est apparemment son bourreau. Ainsi, La
femme inversée est-elle dépourvue de ventre, alors que
l'homme qui la frôle est manifestement " enceint "
En
conséquence, aucune complicité n'existe dans ces "
couples ". Les protagonistes sont côte à côte,
mais ne se regardent pas. D'ailleurs, ils ne sont jamais au
même stade
d'aboutissement
! L'un peut être très " lisible ", l'autre à
peine ébauché, etc.
Ce qui corrobore
l'idée que Mireille d'Annanza a encore un long chemin à
parcourir, avant de " sortir " de cette gangue où
elle-même et ses créatures demeurent partiellement
enlisées ; qu'elle aura encore bien des strates à
soulever, des impuissances à vaincre, des souffrances à
évacuer. C'est ce constat, la rencontre avec toute cette
symbolique irréfragable
qui rend son uvre si attachante ; lui confère,
au-delà de la tristesse, à la fois son infinie
fragilité et son timide optimisme.
Jeanine Rivais