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Comme
beaucoup d'artistes qui décident de sortir d'eux-mêmes,
et regarder vers les autres, Louis Chabaud (secondé sans
faille par Paulette, son épouse), a été, pendant
plus d'une décennie, connu pour son Festival d'Art
hors-les-normes de Praz-sur-Arly, petit village de Haute-Savoie. Sa
force de persuasion a été telle qu'il a réussi
à investir tout le village, ce qui lui a permis d'offrir
à la vingtaine d'artistes participant à chacune de ses
biennales, un confort unique, une ambiance et une convivialité
sans égales. Malheureusement, la vie impose parfois des
aléas incontournables, et le couple Chabaud a dû, la
mort dans l'âme, arrêter le festival.
C'était sans compter avec leur esprit d'entreprise. Et les voilà maintenant dûment installés dans un atelier-galerie, inauguré à l'automne 2005, avec une remarquable série de tableaux et de peintures de Louis Chabaud.
Né à Aubagne, Louis Chabaud se laisse guider par Théo Sicar, professeur de céramique, qui l' "empêche de finir à la rue". Il devient santonnier chez Maurice Chave ; commence à peindre des paysages impressionnistes ; pleure sa grand-mère qui l'a élevé ; quitte définitivement son village à 25 ans ; parcourt l'Europe ; devient animateur touristique ; cultive son goût pour les clowneries jusqu'à son amitié avec le comédien Michel Crémadès. Le voilà, avec son comparse, reparti de plus belle ! Spectacles, routes, cafés-théâtres... et toujours son jardin secret fait de peintures, petites sculptures, compilations de satires philosophico-sentencieuses ("Le jour où l'on pourra manger les cons, finie la famine" ; "Chauffeur, tu te prends pour King-Kong, mais tu es plus kong que king"...). Un jour, dans la vallée de Megève, lui vient la certitude qu'il lui faut choisir entre l'aventure du spectacle et l'aventure picturale : ce sera la seconde. Il pose son baluchon, se marie et s'installe à Praz-sur-Arly.
A mesure que s'apaise son humeur vagabonde, son esprit part en campagne, abandonne les compositions traditionnelles pour une oeuvre totalement fictionnelle, faite de personnages stylisés, aux lignes incisives ; de plus en plus personnalisée, chaleureuse, car désormais, quelle que soit la forme d'expression choisie, l'artiste "parle" de l'Homme.
Ses
oeuvres les plus "calmes" en apparence, sont les dessins en noir et
blanc, à l'encre de Chine ; tous plus ou moins autoportraits
satiriques, dans lesquels un personnage très
élaboré ou au contraire réduit à un trait
enfantin, "occupe" une place centrale. Animal ou homme, il est nanti
d'un visage humain, avec une conquérante moustache "à
la Chabaud". Autour de lui, gravitent d'autres personnages
très mobiles, dansant entre les "murs" de petits espaces bien
cloisonnés, amenant le spectateur à une lecture
épisodique comparable à celle des bandes
dessinées, et une lecture globale de ces oeuvres qui
"fonctionnent" en fait en colimaçon, s'enchaînent comme
des idées fuseraient une à une, ou bouillonneraient
hors d'un cerveau !
Le voyage imaginaire ne fait que commencer, car Louis Chabaud s'en va très loin, en tableautins colorés dont chacun est une étape d'un long périple cérébral jaillissant ensuite de toutes parts sur des oeuvres de grand format ! Sa démarche prend corps au sens littéral, sous forme de lascives créatures érotiques, nues, plantureuses, tailles de guêpe et seins arrogants. Et néanmoins sylphides, flottant, mordorées, dans des ciels aux bleus tourmentés. Elles semblent jalonner ? perturber ? illustrer ? les occupations ? les fantasmes ? de personnages qui, paradoxalement, ne sont jamais "réels" : linéarisés de manière un peu puérile (La femme est une tornade) ; filiformisés (A chacun sa folie) ; serpentisés (Le lanceur écologiste) ; décérébrés (Jaillissement-né)... Ils sont incontestablement masculins, sans posséder aucun des attributs emblématiques de leur sexe. Lourdement chargés par contre, de symbolisme. Jamais simplement hommes, mais corps-villes, corps-fossiles, corps-pubs, têtes-châteaux... A coups de pinceaux épais, de surfaces piquetées, striées, de collages ponctuels, de grandes taches violentes, l'artiste semble essayer à la fois de météoriser les péripéties de ses petites "histoires" peintes et contrôler ce foisonnement, appréhender ses créations, s'approprier leurs pensées, comme dans ce cauchemar où une main énorme se tend vers vous et vous échappe sans trêve !
Mais
grâce à son humour, Louis Chabaud a la chance de se
réveiller avant de parvenir au bout du rêve, pour
empoigner l'argile, le béton, la pierre...les malaxer en de
très concrètes sculptures sur lesquelles semble chaque
fois gravé "Mais bien sûr ! Voilà ce qui me
tracassait !"... et la drogue, le sida, les ambiguïtés de
la religion, la misère des concentrations populaires, la
"connerie" à l'échelle planétaire sont tour
à tour dénoncés par le truchement de cette
litanie de têtes aux couleurs chaudes qui complètent le
monde de Louis Chabaud, truculent, érotique, provocateur,
volontiers sexiste (car la femme est belle, mais seule la tête
de l'homme est remplie de "pensées), toujours tendre et
gentiment ironique : une façon de se moquer de soi,
s'écouter pontifier, dédramatiser les problèmes,
dire à la cantonade : "Regardez comme je m'amuse ! Faites
comme moi ! "Jouez" !
Jeanine Rivais
VOIR AUSSI ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC LOUIS ET PAULETTE CHABAUD / RUBRIQUE COMPTES6RENDUS DE FESTIVALS.
VOIR AUSSI ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC LOUIS CHABAUD AU FESTIVAL DE BANNE 2008.