**********
Comme
nombre de créateurs de l'Art singulier, Stéphane
Cerutti a commencé par étudier la sculpture classique.
Mais en souffrant du carcan qu'elle implique, et rêvant de s'en
libérer. Et voilà que le hasard l'a conduit un jour
à visiter une grande exposition sur le thème de " La
Boîte ". Il a alors " découvert " ce à quoi il
aspirait intuitivement : des assemblages, des volumes variables,
souvent fantaisistes, les notions d'intérieur et
d'extérieur
toutes idées et libertés qui
lui ont été une vraie révélation !
Désormais, plus d'esthétisme, plus de classicisme. Il a
pris son envol -et il ne s'agit pas là d'une expression vaine,
mais bien d'une métaphore-- vers une production
éminemment personnelle, sorte de bestiaire hors de tout
réalisme, plein de tendresse et d'originalité. Oeuvres
en mouvement, élancées, ascendantes ; dont la forme,
quelle qu'elle soit, évoque des oiseaux ; fragiles,
vulnérables, antithèses peut-être des
évidences de ses réalisations originelles. Et cette
fragilité, cette vulnérabilité sont devenues le
véritable moteur des créations actuelles.
Depuis lors, chacune des uvres naissantes est, pour Stéphane Cerutti, l'occasion d'un véritable plaisir physique, d'une sorte de retour vers des attitudes de l'enfance ; prétextes à se mettre à quatre pattes et, tel le garçonnet de naguère avec ses cubes, de manipuler les pièces de bois préalablement découpées de façon aléatoire, tenter des alliances de formes, tâtonner jusqu'à ce que soit atteinte la combinaison idéale : Montagnard, cet artiste sait que la patience est primordiale ; qu'une marche vers un sommet doit se faire à petites étapes Ainsi procède-t-il, en ayant cependant le sentiment que le seul savoir et la seule patience sont insuffisants ; qu'il lui faut faire appel à toutes ses facultés créatrices, allier des talents d'architecte aux arcanes d'un imaginaire le plus vif Enfin, franchies les difficultés de la composition, de même qu'un orfèvre désirant nieller l'or d'un bijou se pencherait longuement dessus pour en enjoliver les divers éléments, l'artiste en vient à la pyrogravure.
Commence alors une longue histoire d'amour entre lui et son sujet. Travail de fine ciselure au cours duquel il agit de manière à ce que chaque ligne, chaque cercle, chaque point joue de la ligne, du cercle ou du point précédents. Il conforte par la façon de les entrecroiser l'impression ascendante de l'ensemble ; crée, entre les pièces, un lien indissoluble ; déploie toute sa fantaisie pour orner au moyen de sa pointe brûlante, ce bois encore impersonnel; le piqueter d'infimes pointillés, le guillocher de petites lignes brisées ou onduleuses, en fleuronner les angles, incruster de motifs géométriques les encadrements
De questionnements en certitudes, de
plaisir en jubilation, Stéphane Cerutti aborde les couleurs.
Il va de soi, qu'hormis le pur contentement de les coordonner
esthétiquement, il connaît celui de marier leur
éclat en fonction des formes préalables, en des
superpositions de rouges vifs, des encorbellements de surfaces
flamboyantes, des marqueteries de jaunes éclatants, des aplats
de bleu-pervenche ou de vert-jade
A ces quatre couleurs dont
les combinaisons font exploser son univers, le
sculpteur devenu peintre concède quelques nuances
provoquées par des surlignages ; quelques variantes perdues
dans les intrications des fonds ; quelques plages de blanc qui
génèrent des contrastes, instaurent des
équilibres, engendrent la "vie" des objets. Car
Stéphane Cerutti possède au plus haut point le sens du
mouvement : Et son but premier est de faire que ces assemblages
soient des sculptures légères, aériennes certes,
mais aussi ludiques.
Qu'elles soient des jouets, finalement,
que chacun aimerait toucher ! Toucher ! Voilà la faveur
insigne que fait ce créateur à ses visiteurs : car,
autre volet de son oeuvre, il y a le son. La plupart des sculptures
de Stéphane Cerutti sont sonores. Et le créateur de
cette osmose formes/sons réclame cette originalité
(émouvante pour quiconque), comme une revanche, une
compensation à tout le moins, une parade à la vie qui
lui a donné un corps handicapé, le privant du bonheur
d'être musicien, l'obligeant à uvrer pour
développer au maximum ses facultés auditives et
tactiles. Ces modulations que peuvent émettre ses sculptures
n'ont rien de factice, rien d'un ajout de dernière minute,
rien d'une fantaisie après coup : Bien au contraire, chaque
oeuvre est " née d'un son " : tout se passe comme si un air
obsessionnel envahissait soudain la tête de l'artiste,
l'entraînait à commencer son travail, et l'accompagnait
jusqu'à la fin ! Rien de savant dans ces sonorités. Au
contraire. L'artiste étant par ailleurs concerné par
les traditions, choisit des fragments de comptines chantées,
facilement reconnaissables. Cette alliance de l'aspect et de l'air
est donc primordiale dans son uvre. Et peut-être le jeu
de mots sur l'air (de l'atmosphère), et l'air (de musique)
résume-t-il toutes les aspirations de l'artiste : Son corps
est cloué au sol, mais comme celui d'Icare, son esprit
prend son essor. Ses mains et son cur transmettent son
rêve, ses nostalgies à l'objet dont la beauté et
la parfaite harmonie suscitent chez le visiteur même
rêve, semblable nostalgie A ce dernier de briser le tabou, oser
tendre la main et appuyer sur les touches adéquates pour
entendre, exécuté pour lui, Au clair de la lune ou
Cadet Roussel ou un fragment de musique classique
Saisir sa
chance et jouir de toutes ses forces de cette rarissime occasion
--celles des autres créateurs restant muettes, " interdites "
car données " à voir " uniquement-- de toucher, d' "
écouter " des sculptures !
Jeanine Rivais.