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Quel
Occidental peut se targuer de comprendre l'Art africain dont les
sources vives sont telles que, chercher à en
pénétrer les arcanes, c'est risquer
de
l'interpréter selon des normes qui lui sont
complètement extérieures, un esprit qui n'a rien
à voir avec ce qu'il révèle. Une partie de cette
" distance " qu'il impose aux personnes avides néanmoins de le
connaître, tient à ce que chaque artiste vit dans sa
société millénaire ; a bien souvent
hérité de ses ancêtres, son talent pour la
peinture ou la sculpture ; aborde donc des thèmes qui font
appel à la mémoire collective, à l'histoire
orale de son village, à la primitivité et
l'archaïsme tribaux. Et ses uvres sont
imprégnées de religion animiste, chamanique, vaudoue,
etc. Il est donc une sorte de " passeur " d'une identité
culturelle. D'où sa richesse, sa spontanéité, sa
différence.
Seyni Camara : Portrait et autoportrait.
Tel est le cas de Seyni Camara qui,
depuis plusieurs décennies, tout imprégnée de
l'organisation mentale, sociale, et coutumière de sa Casamance
natale, crée des sculptures très particulières,
jamais très grandes, mais évoquant néanmoins des
totems dont la dignité apotropaïque viserait à
protéger son village. La plupart du temps anthropomorphes ou
animalières, ses uvres sont conçues sans souci
des proportions anatomiques, sans même donner vie aux dos des
personnages, qui sont plats, et ne servent apparemment qu'à
instaurer un équilibre ou un volume. Tout se passe,
d'ailleurs, comme si le corps proprement dit n'intéressait pas
l'artiste, comme s'il n'était rien d'autre que le
véhicule des symboles inhérents au monde qui l'entoure
: ainsi, l'un de ses personnages au beau visage hiératique et
à la noble barbe, est-il totalement couvert de
caméléons, ce reptile lié, dans les arts
africains, au feu et au soleil, considéré comme un
intermédiaire sacré entre le monde des hommes et les
forces célestes. Pour le visiteur, les pattes agrippées
au corps humain, et les têtes apparemment prêtes à
mordre, sont purement effrayantes. Mais il semble qu'il n'en soit
rien ? Que bêtes et homme vivent en une sorte de symbiose
paisible.
De même, lorsque cet animal est perché au milieu des
branchages d'un " Baobab ", le visage de femme collé sur le
tronc ne
présente-t-il aucune alarme ! Etrange communion de l'humain,
du zoomorphe et du minéral !
Les cauris entrent également dans la statuaire de Seyni Camara, mi-symboliques, mi-décoratifs. Faut-il en conclure que l'artiste veut, par l'utilisation récurrente de ces objets qu'elle confectionne et incruste dans la " peau " de ses personnages, rappeler l'importance qu'ils revêtaient -revêtent encore aujourd'hui ?- dans les manifestations cérémonielles, pour les guérisseurs, les sorciers ? Ou bien souhaite-t-elle rappeler qu'elle est artiste " femme " puisque, eu égard à leur forme, les cauris sont fréquemment mis en relation avec le féminin, et rattachés aux opérations rituelles de la " terre-mère " ? S'ajoutent à ces apports en reliefs, de multiples scarifications qui sont peut-être, elles aussi, un langage symbolique dont seuls les initiés peuvent déchiffrer le sens ? Pour le profane, elles constituent, par leur finesse, leur diversité, leur fantaisie, des tracés éminemment originaux, la preuve de l'élégance de la pensée de l'artiste, de son sens esthétique. Subséquemment, il est amusant de constater que lorsque Seyni Camara pétrit dans l'argile son autoportrait en pied, celui-ci semble la quintessence de sa démarche, l'anthologie des rituels parmi lesquels elle vit : grosses nattes imitant le dos des caméléons évoqués plus haut, boucles d'oreilles, bijoux artisanaux, scarifications faciales et corporelles, robe incrustée de cauris, etc.
Autre
démarche également empreinte de tradition : les
couples, associés aux rites de la fertilité. Intimement
accolés, les corps de l'homme et de la femme disparaissent
(une fois encore) sous une litanie d'enfants, leurs petites jambes se
faisant pendants de part et d'autre de la fente symbolique
marquée entre les deux adultes, la femme donnant le sein au
plus jeune peut-être, tandis qu'un autre caresse la barbe
fleurie de l'homme ! Scène à la fois rituelle et
familière ! Qui se retrouve lorsque Seyni Camara évoque
l'amitié, la cohabitation et colle deux couples dos à
dos
mais surtout lorsqu'elle " parle " d'amour maternel, et
représente la femme assise -ce qui est rare-, ses enfants tout
autour d'elle, placés sur ses genoux, ou collés
à son dos.
Le même cheminement anagogique se retrouve dans la création d'animaux qui vivent à proximité des villages : le caméléon, encore ; le cochon au groin énorme ; le lion à la crinière longuement ouvragée, à la terrible gueule béante et au sexe intumescent ; etc.
Plus ludiques, nostalgiques peut-être d'une émancipation souhaitée consciemment ou non par Seyni Camara, les femmes qu'elle fait " voyager " : en voiture (c'est la femme qui conduit, tandis que l'homme dort sur le toit) ; à motocyclette, corps tendu vers l'avant, toutes jupes flottant au vent, coiffes repoussées à cause de la vitesse Et il est à remarquer que, dans ces cas, les véhicules sont vierges de tous symboles, alors que les voyageurs emportent avec eux, leurs costumes, et leurs traditions !
Bref, l'uvre de Seyni Camara est une longue suite de " scènes " rappelant à chacun qu'elle est étroitement liée aux esprits ; que son imaginaire fantasmatico-quotidien est infini ; que son subconscient et sa mémoire sont habités de souvenirs, de la magie africaine, des rites et des cérémonies villageoises et tribales ; qu'elle exprime tout cela à travers ses créations pleines de force Qu'elle reste, en somme, fidèle à " sa " terre, brûlée par le soleil africain ; au point d'en préserver les couleurs, lorsqu'elle livre au feu ses rêves tellement personnels !
Jeanine Rivais.