D'EMMANUEL BROSSIER, peintre.
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Longtemps,
Emmanuel Brossier a eu " envie " de peindre. Mais la conscience de ne
pas " savoir " le freinait irrémédiablement
Est-ce l'avènement du nouveau millénaire et du
siècle naissant qui lui a suggéré d'abandonner
tous les tabous, assumer toutes les audaces ? Ou bien sa visite aux
peintres d'Essaouira lui a-t-elle prouvé que point
n'était besoin d'être savant en la matière ;
qu'il suffisait de se laisser porter par son envie, guider par son
cur ? Quelle que soit la réponse, il est aujourd'hui
l'auteur d'une uvre déjà abondante,
éminemment originale, certifiant qu'il a, depuis lors,
rattrapé le temps perdu ! Et son évolution a
prouvé que c'est la conscience de cette maladresse
-apaisée et dépassée- qui a
déterminé la forme de son oeuvre. D'autant qu'ayant
franchi le cap, s'abandonnant enfin à son désir
créateur, il a fait d'une pierre deux coups : outre le plaisir
de dire " autrement " son monde personnel, il a libéré
le million de contes qui se bousculaient en lui ;
déversé sur la toile mille réminiscences de son
quotidien enfantin
Bref, il a commencé à
entremêler vie et rêve, par le truchement de cette
expression toute neuve.
Subséquemment, le " Nouveau Monde " d'Emmanuel Brossier est celui de l'enfance : celui des chevaux de bois ; de la tirelire de porcelaine gardant jalousement en ses flancs de secrètes fortunes ; du garçonnet pelotonné au milieu de ses jouets Un monde narratif, dans lequel, saisi par le réalisme bon-enfant de la vache ou du chat, du cheval au galop, du coq s'égosillant le spectateur entre de plain-pied ; s'amuse des emboîtements paradoxaux des animaux gigognes, ou des joujoux/puzzles vers lesquels il voudrait tendre la main, comme il choisissait naguère dans sa petite ferme de bois, l'animal le plus gros, le plus rigolo, le plus
Mais le monde d'Emmanuel Brossier est
aussi celui du conte, où chaque " histoire " picturale
pourrait commencer par " Il était une fois
". Pourtant,
autre paradoxe, aucun fil d'Ariane n'en relie les composants.
Simplement, ils sont là, juxtaposés, autonomes, leur
interdépendance psychologique naissant du seul besoin "
physique " (géographique ?) de l'artiste d'équilibrer
et d'emplir son tableau. Par ailleurs, à l'instar de nombreux
créateurs " naïfs ", le peintre a horreur du vide
!
Alors, tel un djinn soufflant à l'infini des nuages dans sa
bouteille, il emplit lui aussi ses uvres à l'infini,
surcharge ses animaux d'autres animaux, de végétaux, de
visages
continue jusqu'à ce que le plus infime espace
soit piqueté d'étoiles et de fleurs, ponctué de
fines taches multicolores, orné de délicates
arabesques, tapissé de minuscules formes
géométriques ou anarchiques
La main semble
incapable de s'arrêter, tant que l'esprit n'a pas le sentiment
d'avoir fignolé le tableau, supprimé tout hiatus,
retrouvé une fois encore son ordre vital, sa plénitude
; tant que le cur n'a pas exprimé son " dit " si
particulier ! Et lorsque, enfin, cesse cette boulimie picturale et
mentale, l'uvre est là, attestant que le monde
d'Emmanuel Brossier est cette mosaïque placide,
esthétiquement raide bien qu'un tantinet ludique ;
témoignage d'une gestuelle obsessionnelle, d'un amalgame de
vive imagination, de raison et de féerie, de sagesse et
d'émerveillement, de couleur et d'harmonie.
Harmonie, car -et cette qualité porte toutes les autres- Emmanuel Brossier qui travaille avec une banale laque glycéro industrielle, est un coloriste d'une exceptionnelle richesse : Encore incapable d'utiliser le noir et le blanc, il possède intuitivement l'art de mêler au petit bonheur les autres couleurs ; de sorte que, d'une uvre à l'autre, elles ne soient jamais les mêmes, mais toujours chaleureuses et chatoyantes ! D'où l'impression, pour l'il, d'un kaléidoscope où s'amplifient nuances et formes dont chaque facette lui propose ses mirages. Mirages que d'emblée le spectateur fait siens, parce que cet univers où il fait si bon vivre, est agréable à explorer.
Jeanine Rivais.