DAVID BROC, sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : David Broc, voilà un nom brutal ! Son origine tient-elle à l'objet usuel appelé " un broc " ?

David Broc : Je ne crois pas. Je pense qu'il vient d'Auvergne, et j'ai entendu dire qu'il a un rapport avec la chasse ?

 

JR. : Nous sommes dans un monde de personnages bien laids, mais au premier abord un monde très convivial ?

DB. : Oui. En apparence du moins !

 

JR. : En fait, il y a toujours dans votre œuvre deux parties qui sont " laides " : D'abord, la tête des personnages qui est toujours grimaçante, édentée, méchante souvent. Puis, une fois dépassée la première impression, arrive le sentiment que tout n'est peut-être pas idyllique : Prenons par exemple votre scène de bistrot. Assis autour d'une table sur laquelle trône une bouteille, se trouvent plusieurs personnages, dans l'attitude de bons copains. Mais soudain, la main levée de l'un d'eux donne à penser qu'il est en train de prêcher, ou de mettre les autres en garde… Apparemment, les autres n'ont pas trop envie de l'écouter. L'un d'eux lève même la main dans l'intention évidente de l'interrompre…

DB. : C'est en fait une scène banale de gens qui discutent entre eux ; et qui, l'alcool aidant, entrent en opposition.

 

JR. : Celui qui me surprend le plus est la montgolfière. En effet, plusieurs personnes sont dans la nacelle. Faisant de grands signes. Et le regard se pose sur l'un d'eux s'accrochant désespérément à l'ancre. D'où la question : Est-il tombé ? Est-ce plutôt les autres qui l'ont jeté par-dessus bord, et il a pu se raccrocher à l'ancre ? Et soudain, cette deuxième hypothèse paraît la plus plausible quand on s'aperçoit qu'un deuxième personnage a déjà été poussé hors de la nacelle et que l'un des restants est en train de l'étrangler ! Sommes-nous dans un problème de survie ?

DB. : J'ai intitulé cette sculpture " La Méduse " en référence au radeau de même nom, parce que je trouve fascinante cette histoire de gens à la dérive, voués à la perdition. D'où je conclus qu'au lieu de passer ensemble un moment agréable, ces gens-là vont finir par tous s'entretuer ! .

 

JR. : Donc, chacune de vos scènes débute par la convivialité et en vient à la querelle ? Elles sont à l'image du monde.

DB. : Oui, il est possible de les analyser ainsi !

 

JR. : Et où court ce grand-père, seul au milieu de rien ?

DB. : Cette sculpture-là exprime simplement ce qu'elle représente : Courbé par le poids des années, mais néanmoins allant de l'avant. Un ancien coureur de fond, peut-être.

 

JR. : En général, vos œuvres sont des scènes en relief. Or, de temps en temps, vous réalisez des sortes de bas-reliefs ? Pourquoi passez-vous ainsi de personnages réduits à cet alignement, à des personnages qui ont tout leur espace. Et inversement ?

DB. : Je ne comprends pas trop c que vous voulez dire ?

 

JR. : Je veux dire que l'une est plate. Certes, les personnages sont en léger relief dessus, mais ils ne peuvent pas avoir de relation entre eux, pare qu'ils sont alignés côte à côte, tous sur un même plan. Alors que dans les autres scènes, comme par exemple celle du bistrot, ils ont leur espace vital. Autour et devant eux.

DB. : Dans cette scène particulière de " La Ville endormie ", j'ai voulu traduire cette sensation de cloisonnement. Les habitants n'ont pas, en effet, leur espace vital.

 

JR. : Dans cette "Ville endormie ", certains habitants semblent en effet dormir. Mais une autre partie semble bien éveillée. Donc, quand la ville dort, les noctambules rêvent ?

DB. : Oui. Je crois que j'ai pensé à des comploteurs en train de mijoter un mauvais coup, pendant que leurs futures victimes ont cessé d'être vigilants.

 

JR. : Lorsqu'un mot vous vient à l'esprit, comme par exemple " La Méduse " à partir de l'idée du radeau, que faut-il de plus pour que vous ayez envie de le concrétiser par une sculpture ? Pour que vous ayez soudain l'envie irrépressible de réaliser cette sculpture ?

DB. : En fait, je ne fonctionne plus de cette manière. Depuis environ trois ans, je fais un grand nombre de dessins. Et, à un moment donné, selon l'espace qui m'entoure et le temps dont je dispose, je commence la sculpture. Parfois, malheureusement, je manque de temps pour la réaliser, et les idées se côtoient. Ensuite, dès que j'ai un moment, je la réalise selon les priorités de mes envies.

 

JR. : On peut dire, en somme, qu'à un moment, l'idée est " mûre " ? Finalement, sous les dehors très simples, le spectateur pourrait épiloguer pendant des heures pour " définir " ce qu'il voit ! A-t-on jeté celui-ci par-dessus bord ? Pourquoi est-on en train d'étrangler l'autre ? Etc. Est-ce que, dès le départ, vous avez eu l'idée de ce sauve-qui-peut… ? Ou est-ce venu petit à petit ?

DB. : Oui, cela est venu petit à petit. Je crois que c'est le fait de confiner des personnages dans un espace aussi restreint qui a fait apparaître l'idée des conflits. Au départ, je n'avais pas envisagé de les faire s'entretuer. Mais du fait de leur situation, la nécessité m'est apparue.

 

JR. : Chaque vêtement de vos personnages est monochrome. Or, les décors sont polychromes, comme la montgolfière qui ressemble au tissu des surplus américains. Par contre, vous n'employez jamais de vernis, vos couleurs sont toujours mates. Qu'est-ce qui fait que vous avez opté pour le mat ?

DB. : C'est avant tout une question d'esthétique. Ou cela vient de l'utilisation des journaux.

 

JR. : Mais, même si vous utilisez de vieux journaux, vous repeignez par-dessus ?

DB. : Non, non ! Ce sont des journaux collés.

 

JR. : C'est donc parfaitement imité ! On a vraiment l'impression que vous êtes longuement intervenu dessus !

Venons-en à votre nautonier. Arrive-t-il ? Ou part-il pour quelque folle équipée ? A le voir hilare, les yeux brillants et exposant ses dents manquantes avec tellement d'allant, j'ai le sentiment qu'il revient après de rudes épreuves dont l'arête de sardine placée à la figure de proue pourrait témoigner, Ce pourrait être la fin du cauchemar ?

DB. : Oui, peut-être ? J'ai aussi voulu lui donner un côté un peu absurde,j'aurais aimé le représenter dans du sable…

 

JR. : Oui, mais cela aurait été dommage, parce que cela nous aurait ramenés aux gens qui toute leur vie construisent un bateau dans leur jardin, alors qu'ils savent ne jamais pouvoir le lancer…

Je trouve que vous avez bien fait de laisser le quiproquo : part-il ? Arrive-t-il ? Que se passe-t-il ? En fait, personne n'a de solution, et c'est ce qui fait l'intérêt de cette sculpture.

Par ailleurs, nous sommes en pleine actualité avec ce personnage blotti derrière son journal, collé au dos de la feuille de son journal : Est-il myope ? Ou est-il passionné par les nouvelles ?

DB. : Je pense plutôt qu'il est tellement collé à sa page, qu'il ne peut même pas les voir.

 

JR. : Pour conclure, y a-t-il une question que vous auriez aimé que je vous pose, et que je n'ai pas posée ?

DB. : Vous m'aviez prévenu que vous aimeriez m'interviewer, alors j'ai un peu réfléchi, essayé d'anticiper les questions que vous me poseriez. Je voudrais dire que je suis content quand je vois les gens s'arrêter devant mes sculptures, et se mettre à rire.

Vous me disiez que par contre, mon accordéoniste ne vous paraissait pas amusant ?

 

JR. : En effet, je le trouve plutôt très romantique. Il est un des seuls dont vous n'ayez pas déformé le visage.

DB. : Oui, c'est la personne que je pourrais avoir en face de moi quand je mange des spaghettis.

Tout de même, si on l'observe bien, il n'a pas l'air si gentil qu'il en donne l'impression !

 

JR. : D'autant que si l'on regarde bien ses doigts, il joue sur des têtes et non sur des boutons ! Donnons-lui, malgré tout, à lui aussi, le bénéfice du doute !

Entretien réalisé à Céramiques Insolites à Saint-Galmier, le 17 mai 2009.

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " LE MONDE CATASTROPHE DE DAVID BROC, sculpteur ". Rubrique ART SINGULIER.

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