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" Comment va le monde, môssieu ? Il tourne, môssieu ! " (François Billetdoux).
Le
Monde, peut-être ! Mais pas le microcosme de David Broc, fait
de papier encollé parfois, et d'argile : léger
apparemment, mais lourd, lourd !
Dans lequel le spectateur se demande pourquoi aucun bonheur ne se lit jamais sur les visages de ses personnages ? Au contraire, tous semblent crier, et leurs yeux sont tour à tour pleins de colère, de peur, de tristesse ! Sont-ils en guerre ? Cela expliquerait les couleurs de camouflage appliquées par l'artiste au moyen de pigments, sur leurs engins de locomotion (ballons, bateaux ). Sont-ils simplement hargneux, incapables de vivre en groupe ? C'est ce que semble confirmer celui qui, dans la montgolfière, dents de loup et doigts crispés, est en train d'étrangler son voisin ; tandis qu'un autre, déjà passé par-dessus bord, s'agrippe désespérément à une ancre accrochée sous la nacelle ? Et ce marin aux yeux exorbités, à la bouche béante, à quels périls a-t-il échappé, quelle traversée de détresse vient-il d'effectuer, pour que la figure de proue de sa barque soit réduite à une simple arête de poisson ? Que sont ces sortes de sphinx aux bouches et aux yeux clos, tapis aux pieds des HLM ? Quant aux HLM elles-mêmes, aux fenêtres murées, aux entrées réduites à d'étroites meurtrières, quel architecte fou les a ainsi construites de guingois ? Et quel mauvais coup mijote ce groupe aux faces patibulaires, tapi à l'angle de l'un de ces étonnants bâtiments ? Même le musicien semble inquiet, le regard fixé vers un lointain horizon, tandis que ses doigts écrasent les boutons de son accordéon qui sont des têtes humaines ! Quelles nouvelles découvre le lecteur, dissimulé derrière son journal dont les pages sont couvertes de personnages courant, grimpant aux murs, tous les yeux tournés vers un intrus situé en off, là où se trouvent l'artiste peut-être ; le visiteur assurément ? On pourrait ainsi prolonger à l'infini les questionnements sur l'humanité façon David Broc !
D'autant que, quelles que soient la réponse ou les causes de cette situation, les individus qui la vivent sont atemporels. Leurs vêtements sont sans âge, sans connotation sociale, historique, géographique Et ces gens-là sont laids ! Non que leurs corps soient difformes. Au contraire, ils sont minces, moulés dans leurs chemises, leurs justaucorps ou leurs maillots. Mais leurs têtes ! Taillées à coups de serpe ! En pain de sucre ou au contraire écrasées ! D'épais sourcils et des yeux globuleux ! De gros nez épatés et des oreilles décollées Et qui voudrait embrasser ces bouches lippues, tordues, brèche-dents ; caresser ces crânes chauves, ou au contraire ces tignasses en désordre !
Alors, peut-être est-ce la raison pour laquelle les personnages de David Broc ne s'aiment pas les uns les autres, ne se supportent pas, ne supportent pas le monde dont il les entoure ? Ou bien, inversement, est-ce lui qui ne supporte pas le " monde réel ", et se sert-il d'eux pour le dénoncer? Et la laideur de ces petits êtres symbolise-t-elle celle de notre civilisation sans entraide, sans compassion ? Est-elle le reflet du monde actuel, avec ses populations déshumanisées, ses pauvres, ses journaux bourrés de catastrophes, etc. ? Dans ce cas, au lieu d'être face à de simples individus préoccupés d'eux-mêmes et tentant d'élargir égoïstement leur espace vital, sommes-nous en présence d'une volonté de l'artiste de témoigner : d'une uvre politique, en somme ?
Mais alors, le batelier ne rentrerait pas chez lui : à bout de ressources, il essaierait d'émigrer " ailleurs " ? Au lieu d'arriver, les aéronautes tenteraient de s'envoler vers un monde meilleur ?... Il faudrait donc tout recommencer, considérer à l'inverse chacune des sculptures de David Broc, aller derrière " son " miroir, pour y trouver le sens caché ? Comment être sûr ?
Jeanine Rivais.