KATIA BOTKINE, sculpteur.

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Katia Botkine, êtes-vous à Banne en tant qu'artiste Singulière ? Ou contemporaine ? Et pourquoi ?

Katia Botkine : Artiste Singulière. Je suis graphiste au départ. J'ai travaillé sur des graphismes très fins. Ensuite, j'ai travaillé dans le Bâtiment. Donc avec des matériaux très différents. Plus tard, j'ai travaillé avec des peintures de décors. J'ai beaucoup bricolé, avec des matières de toutes sortes.

Parfois, je pars d'une idée. D'une émotion. D'un évènement… Mais d'autres fois, je pars d'un matériau, comme le bois. J'aime l'idée de transformation. Le matériau peut m'amener à une idée de transformation.

 

JR. : Il me semble qu'il y a deux aspects dans votre travail : un où vous intervenez peu. Et un où vous créez complètement. Parce que vos grands personnages en corde sont des créations totales ?

KB. : Oui. Tous ces personnages, effectivement, sont partis d'un travail que j'ai effectué sur une tribu : les Gros-Becs. Mes premiers personnages sont donc également des Grobecs.

 

JR. : J'ai remarqué que vous avez modifié l'orthographe de ces personnages. Pourquoi l'avez-vous décidé ?

KB. : Parce qu'ainsi, je donne à ce mot une consonance d'Europe de l'Est. Comme un nom de famille. Comme pour moi qui suis russe.

 

JR. : Mais vous n'avez aucun accent !

KB. : En effet, j'ai toujours habité en France. J'aime cette idée de personnages qui viennent d'ailleurs. Et puis, j'ai commencé une nouvelle série, métal, plâtre et papier. Les derniers, très colorés, en résine acrylique sont des Nomades. Les Grobecs sont venus, les Nomades repartent…

 

JR. : Mais en fait, ce sont les mêmes personnages ! Ils auraient donc subi des mutations.

KB. : Oui, des mutations au fil de leurs voyages. Et ils se rencontrent. Parce que, ce qui m'intéresse dans la Singularité, c'est cette idée de mélange des races, des genres…

 

JR. : Cette idée de Grobecs appartient à une légende l'Est ? Parce que, j'ai vu une de vos collègues exposantes qui a exactement en peinture le même personnage que vous en sculpture ?

KB. : Non, pas du tout. J'ai commencé par ce thème. Comme je l'ai dit, je suis passionnée par l'idée du voyage, du vol, du mouvement. L'idée de légèreté. J'ai fait les derniers personnages légers et transparents. Je trouvais intéressante cette idée de légèreté, de transparence.

 

JR. : Cette conception leur donne l'aspect d'être encore en gestation, inachevés !

KB. : Oui, c'est exprès, ils ne sont pas finis.

 

JR. : Cela semble complètement différent de vos totems dans lesquels n'existe pas le plus petit interstice.

KB. : Oui. Ils sont très chargés. Très denses. Posés. Enracinés.

 

JR. : Votre travail de personnages en corde me semble différent de celui que l'on relève habituellement, où les artistes mettent beaucoup de psychologie ans les visages. Alors que le vôtre me semble seulement esthétique ?

KB. : Oui, en effet, quand je l'ai fabriqué, il n'était qu'esthétique. C'est après, quand sont venus les autres, qu'est apparue l'idée de famille. Il y avait une famille de douze enfants. Il y avait donc le totem et une famille. Seul l'un d'eux reste, parce qu'il ne peut pas partir. Il pense ! Donc, il ne peut pas partir.

 

JR. : Lui, voyage dans sa chambre ?

KB. : Oui, voilà. Quand sont arrivés les autres, est apparue une vie. Le totem a pris vie.

 

JR. : Vous avez, en effet, introduit de la psychologie dans cette scène. Nous sommes en pleine crise de jalousie : celui qui est dorloté et celui qui veut l'être.

KB. : Exactement. C'est également le poids des ancêtres. Mais pour le personnage central, ce n'est pas lourd.

 

JR. : Et qu'est ce minuscule personnage qui est sur son épaule?

KB. : Elle en a partout. Elle en a plein sur le dos.

 

JR. : Ce pourrait donc être Gé, la Déesse mère ? L'origine du monde, en fait.

KB. : Oui, effectivement. Elle porte tout ce monde.

 

JR. : Elle est vraiment belle, en tout cas !

KB. : Elle est habillée de choses anciennes, de partitions, de tissus russes…

 

JR. : En fait, bien que n'ayant jamais vécu en Russie, à travers vos ancêtres vous ressentez une espèce de nostalgie ?

KB. : Oui, intellectuelle, sentimentale. Chez nous, il est important de connaître nos origines.

 

JR. : Alors que certaines de vos collègues disent qu'elles sont parties pour pouvoir créer librement.

KB. : Oui, mais moi je ne suis jamais partie…

 

JR. : Vous fantasmez donc sur ce qui n'a pas été ?

KB. : Oui. C'est sans doute cela !

 

JR. : Complètement différents de conception, vos personnages réalisés à partir de récup' ?

KB. : Oui, effectivement. Je pars d'un bois qui me fait penser à quelque chose. Et je cherche. Mais je cherche sans psychologie. Uniquement en m'attachant au bois d'où je pars.

 

JR. : Tout de même, vous intervenez beaucoup dessus, parce qu'il semble impossible que vous ayez trouvé deux pieds aussi parfaits ! Une tête !

KB. : Oui, au départ il n'y avait que la tête. Je joue vraiment avec les formes. J'essaie, je transforme, je fais et je défais. Ce que j'aime, c'est partir d'une forme, et ensuite me rendre compte que ce n'est pas du tout là que je souhaitais aller. C'est vraiment le matériau qui me guide. J'essaie surtout de ne pas y mettre trop du mien. De moi. De mes pensées. D'agir en fonction de ce que j'ai devant moi !

 

JR. : Quand je vois le personnage qui est devant nous, je le trouve tout à fait brut. Qu'est-ce que ces deux ailes très sophistiquées en dentelle lui ajoutent ?

KB. : Je trouve que le brut et le sophistiqué vont bien ensemble ! Comme je le disais, je suis pour les mélanges. C'est la raison pour laquelle j'ai apporté des éléments très divers. Au départ, les familles restaient entre elles, et puis elles ont complètement explosé. Elles ont fait des rencontres. Il y a eu des interactions.

 

JR. : Si je considère vos personnages les uns après les autres, je me rends compte que nous sommes en pleine fantasmagorie. Dans le monde du conte. Les enfants doivent beaucoup aimer ce travail ?

KB. : Oui, en effet.

Entretien réalisé à Banne le 3 mai 2008.

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