(3 janvier 1889-24 août 1969)
********
Né
dans un petit village d'Espagne, Anselme Boix-Vives arrive en France
en 1917, à l'âge de 18 ans, animé de la
volonté de réussir sa vie par le travail. En 1926,
devenu propriétaire à Moûtiers (Savoie), de deux
magasins de primeurs, marié à une Espagnole, il se rend
régulièrement en Provence pour y chercher des
marchandises.
Une vie banale, en somme ! Mais voilà que l'histoire le prend soudain à témoin : le 5 février 1926, il croise en Avignon l'horreur qui va faire basculer sa vie : la dictature de Primo Rivera envoie sur les routes, comme une répétition générale de la Guerre Civile à venir, son lot de réfugiés et de blessés ! Face à ce défilé de mutilés", lui-même banni d'Espagne parce qu'il n'a pas effectué son service militaire, Anselme Boix-Vives décrète que les guerres ne doivent pas exister" ! Qu'il lui faut, désormais, de toutes ses forces, combattre pour la paix ! Ce sera d'abord le Serment du 5 février 1926, manifeste dans lequel le brave commerçant rêve d'une société où des affaires prospères rendraient heureuse l'humanité entière ; d'une Société lunaire" universelle où la beauté serait l'apanage du monde ; où les fleurs, les animaux seraient gages d'harmonie, de paix et d'abondance. Ce rêve l'accompagnera toute sa vie ; ses manifestes se succéderont, doublés de conférences au cours desquelles il expliquera entre autre, que les médailles (comme la Légion d'Honneur), couronnant des faits de guerre, devront à l'avenir être attribuées "aux gens de paix" ; que la paix par le travail" apportera le bonheur à l'humanité. Il publie même des plans financiers que recevront ministres, pape, Brigitte Bardot à qui il affirme que son plan par son application bien simple ferait cesser tous les malentendus existant dans le monde" ; etc.
Comment
ne pas admirer, malgré sa naïveté
désespérée, une telle constance à vouloir
sauver le monde ? Ne pas s'attendrir en pensant à cet homme
fruste, confronté à la barrière de la culture,
du langage et de l'orthographe, consacrant sa vie à envisager
le bonheur de ses semblables ? Comment ne pas respecter la rectitude
d'une démarche qui ne faillit jamais, bien que se heurtant
probablement aux scepticismes les plus divers ? Anselme Boix-Vives
meurt, convaincu que sa vie fut bonne et certainement bien remplie" !
Il faut dire qu'au long de sa route, devenu veuf et remarié,
père de plusieurs enfants, commerçant florissant, il a
aussi - poussé par son fils Michel qui "lui a mis un pinceau
dans les mains" - "rencontré" la peinture ! Et, bien qu'ayant
alors passé la soixantaine, bien que complètement
novice, n'ayant jamais vu de vraies peintures", il se jette dans la
création avec la même passion qu'il déploie
à sauver l'univers ! Dès lors, les deux iront de pair,
l'une confortant l'autre, vraisemblablement !
Des centaines de dessins, gouaches, peintures, collages... empliront les sept années au cours desquelles il peint sa vie, ses enfants, son entourage, achète la télévision pour "raconter" le monde ! Une oeuvre belle, volubile, trouvant très vite une unité de style (sans que le peintre ait conscience de ce mot !) Un univers pictural composé de personnages toujours placés de face, comme regardant le spectateur ; riant de toutes leurs grandes dents, même si parfois le rire se fige parmi les "rides" ; mais surtout, entourés de fleurs, de fleurs et de pointillés, de fleurs et d'une multitude de tirets... de fleurs comme cernant ici un couple, lui coiffé d'un martial képi, elle d'une opulente chevelure ; là une Duchesse, à la robe éventail, au minuscule visage surmonté d'une tiare démesurée... Ailleurs, un à la chevelure circulaire, aux gros yeux en amande ; les élèves de L'Ecole Saint-Jacques en cravate et au corps monobloc sanglé dans des costumes à rayures... de Grandes danseuses, raidement au garde-à-vous telles de gentils soldats de plomb, parmi les plantes et les fleurs ocellées comme des plumes de paons, au point de donner l'impression que ce sont elles qui dansent ; et que créateur et création en soient tout illuminés ! Cycle après cycle, se déroulent, comme un leit-motiv, les Très Riches Heures d'Anselme Boix-Vives, stupéfiantes par les rebondissements de cette vie utopique, embellies par la création ! A sa mort, une presse abondante rend hommage au "grand peintre autodidacte Boix-Vives" ; et il y "a plus de fleurs sur sa tombe qu'il n'y en avait dans ses tableaux ! Ce qui semble impossible !
Mais, ce qui est, par contre, une
certitude, c'est que vingt ans après, cet artiste qui se
contentait d'exposer ses oeuvres dans son magasin, est devenu l'un
des référents les plus symboliques de l'Art singulier :
un film lui a été consacré ; des expositions
posthumes organisées ; des livres parlent de lui, toujours
plus grand dans les mémoires. Le dernier-né
de ces hommages est un somptueux ouvrage** doté de multiples
reproductions en couleurs et de documents biographiques ;
agrémenté d'un beau texte à la fois narratif de
sa vie, descriptif de son oeuvre, analytique de chacun de ses
tableaux les plus marquants, lyrique d'avoir été
conçu avec un amour évident pour l'homme et pour ses
peintures.
A l'occasion de la parution de ce livre magnifique et passionnant, une exposition a été organisée, qui proposait en proposait seize appartenant à un collectionneur privé. Il est toujours surprenant de constater combien imaginatifs sont les gens, lorsqu'ils veulent à tout prix (et en l'occurence, il ne s'agit pas d'une expression creuse !) exposer un artiste ! Pour Anselme Boix-Vives, il s'agissait d'une volée d'escalier dans une grande librairie de l'ouest parisien** ! Malgré le côté inattendu de ce choix dépaysant qui l'aurait certainement déconcerté ; malgré le handicap d'une absence totale de recul sur les oeuvres, celles-ci "tenaient bon", s'imposaient même par leur connotation bon-enfant, si pleine d'humanité, d'humour et de couleurs. Et tant de temps après la disparition de l'artiste, s'il est bon de le retrouver bien "vivant" ; s'il est plaisant de sabler à son souvenir le champagne et les petits fours de l'admiration ; s'il faut saluer la courtoisie et la compétence des hôtes de cette manifestation ; il est triste qu'une fois encore, un créateur "populaire" soit arraché aux "siens", propulsé dans un cadre étranger à son milieu social et à son éthique ; et frustrant, lui qui pouvait refuser de vendre ses oeuvres pour les donner s'il les sentait aimées, de lire des prix atteignant des sommets vertigineux ! Alors, pour être en paix avec l'histoire, il est réconfortant de se répéter qu'Anselme Boix-Vives aurait sans nul doute eu la pertinence de dire tout cela... avec des fleurs...
Jeanine Rivais.