VISIONS FANTASMATIQUES OU CAUCHEMARS EVEILLES ?

L'HOMMIAIRE** DE MURIELLE BELIN.

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" Le rêve est la forme sous laquelle toute créature vivante possède le droit au génie, à ses imaginations bizarres, à ses magnifiques extravagances ".

Jean Cocteau.

 

L'histoire du monde rappelle que les monstres ont occupé une place considérable dans l'imaginaire des humains, fascinés depuis la nuit des temps par les licornes, sirènes, loups-garous, chimères, gorgones… chargés de symboles, d'allégories. Tous ces êtres fantastiques, issus de la mythologie ou du plus profond de l'inconscient ont, au fil des civilisations, généré les lignes de démarcation entre paganisme et religions, entre raison et fantasmes. Mais ils sont toujours apparus en des lieux retirés, à des époques de grande tension…

C'est pourquoi la surprise est totale pour quiconque rencontre Murielle Belin : voilà une jeune femme tranquille, réservée jusqu'à la timidité… Mais, lorsque l'arrivant se trouve au centre de son " hommiaire ", il se demande en quel monstrueux cauchemar l'entraîne cette artiste et quels démons s'emparent de son esprit chaque fois qu'elle pénètre dans son atelier ?

Car, le monde de Murielle Belin est une profusion de créatures difformes et hybrides, étranges et mystérieuses ! Enfermées dans des bocaux, telles des entités vivantes et solitaires ; le regard collé à la paroi, leurs yeux vagues, mélancoliques ou dubitatifs semblant fixer celui qui, de l'autre côté du verre, possède la liberté dont leur génitrice les a privées ! Et soudain, vient à l'esprit du visiteur que celle-ci doit éprouver une intense jubilation à échafauder chaque mise en scène : concevoir ses personnages, les façonner, préméditer le moment où elle va les insérer à jamais dans un huis clos ! Et, comble de raffinement cruel, les plonger dans une huile d'un beau jaune, assez fluide pour capter magnifiquement la lumière ! Et puis, les regarder tourner doucement sur eux-mêmes, au moindre frémissement du contenant !

Etranges, donc, ces individus en miniature, voisins des aberrations évoquées plus haut : l'un semblant rebondir sur un pseudopode ; l'autre au crâne pointu, émergeant du liquide comme s'il avait grandi depuis son immersion… L'un se glissant hors de sa coquille tel un bernard-l'ermite ; l'autre, hippocampe, tentant de se propulser par sa nageoire dorsale… L'un, assis contre la paroi, phallus en évidence ; l'autre les bras serrés autour de son torse bombé, ses longs doigts terminés par des griffes rougies d'on ne sait quel sang, puisque la couleur glauque de sa peau suggère qu'il soit exsangue… Pourtant, il est une constante dans l'œuvre de Murielle Belin : malgré leur étrangeté, les créatures thériantropes nées de ses incursions dans l'imaginaire et la fantasmagorie, affirment leur qualité d'hommes plutôt que leur zoomorphisme. Presque toujours chauves, mamelus, fessus, ventripotents, sortes de poussahs au visage poupin parfois, d'autres fois au contraire vieux et chenu… Pourtant, en dépit de leur aspect grotesque, on ne peut dénier à ces " prisonniers " une certaine grâce, les exagérations anatomiques complétant le mélange d'attraction et de répulsion qu'ils génèrent. Même si, intuitivement, certains ne laissent pas d'être émouvants. Le seul élément déplaisant vient des longues vibrisses rouges qui, à certains, tiennent lieu de cheveux, flottant telles des algues vénéneuses, dans le fluide.

Moins paradoxaux, sont les personnages auxquels l'artiste accorde le privilège de vivre à l'air libre. Mais peut-être, justement, est-ce le fait qu'aucun écran ne les sépare du visiteur, qui les fait paraître directement agressifs : crapauds à tête humaine, face à face en ce qui pourrait être une danse nuptiale, mais dont les griffes acérées et les gueules béantes suggèrent immédiatement la violence… Rapace, à visage humain lui aussi, dont le corps ramassé sur lui-même laisse pendre une tétine saugrenue… Oiseau dont le bec puissant donne l'impression qu'il est en train de picorer le corps de l'homme que ses ailes éployées pourraient protéger, etc.

Alors, quelles peuvent être les motivations de Murielle Belin, lorsqu'elle s'entoure ainsi de ses êtres anomaux ? Eprouve-t-elle le besoin d'élaborer une mythologie toute personnelle ? Ses " monstres " humains la fascinent-ils par la tension entre les sentiments de proximité et l'altérité fondamentale que fait naître leur aspect déroutant ? Elle apparemment si sage, est-elle emportée par ces êtres représentant une aliénation de la norme ? Sont-ils des facettes cachées de sa personnalité, puisque la thématique du monstre est liée à celle du masque, du miroir, du double ? Ou bien, comme le fait le Dr. Jekyll, faut-il s'interroger sur le possible sentiment de puissance que lui procure un dédoublement en de multiples individualités ? S'agit-il, tout simplement, d'une curiosité nostalgique se mêlant à l'attirance morbide et au goût de l'étrange procurés par la contemplation de ces corps et visages que, tel un démiurge, elle conçoit de façon récurrente ? Est-ce enfin, esthétiquement, la volonté de parvenir à l'opposé de ce à quoi aspire la règle classique, en art ou dans la vie : une manière de provocation permanente, en somme ? Est-ce un peu tout cela à la fois ? L'artiste le sait-elle elle-même ? Se pose-t-elle toutes ces questions ? Qu'importe ! Elle crée. Et ce qu'elle crée est beau et surprenant, repoussant et fascinant, fallacieux et déraisonnable, original assurément : quelle meilleure définition pourrait-on donner d'une œuvre ?

Jeanine Rivais.

**" Hommiaire " : néologisme, construit comme le mot " Bestiaire " , si célèbre au Moyen-âge, et qui consistait à représenter des êtres monstrueux, mi-hommes, mi-animaux, pour susciter la peur, le désir, etc… réveiller les instincts sexuels, religieux… des hommes ! L' " hommiaire " de Murielle Belin parle d'individus thériatnropes, où prédomine la qualité d'humain ! (J.R.)

 

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