" Collecteuse " d'objets et Sculpteur.
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Depuis
la nuit des temps, l'argile a fasciné les hommes : combien,
à travers le monde, de Vénus callipyges, de statuettes
ventrues ou filiformes, correspondant à des rites
antédiluviens, à des mythes qui enchantaient ou
terrorisaient leur vie ? Combien de vases, urnes et menus objets
emplis d'offrandes, allongés côte à côte
avec le défunt dans les sables du désert, les houilles
des pays humides, les tumuli protégeant des sépultures,
etc. ?
Parallèlement, au fil des siècles, qu'il s'agisse de personnages ou d'objets, les plus grandes fantaisies ont pris corps, variant les formes, modifiant les textures, ajoutant des oxydants, émaux, glacis ou autres pour en multiplier les couleurs, générer des nuances et des accidents ; le tout, glaise et ajouts livrés à la chaleur régulière de l'électricité ou du gaz qui les restitueront fidèlement. Ou, pour d'autres artistes amoureux de la tradition, (en particulier celle du raku millénaire) confiés à des feux de bois qui y ajouteront leurs brûlures aléatoires et leurs irisations
Corinne Bécot appartient à ces créateurs férus de méthodes ancestrales et d'archéologie, qui essaient de créer une " civilisation " personnelle, tout en gardant à leurs uvres une connotation ancienne ! Pour ce faire, elle place en strates irrégulières des couleurs de terres naturelles très chamottées qui assureront la massivité de l'objet ou du personnage, tolérant des creux et des bosses sur lesquels jouera la lumière. Elle les enduit de barbotines finement granulées et les polit au galet pour leur donner l'élégance finale qui caractérise toutes ses créations. Ainsi ses vases aux longs cous ressemblent-ils à ceux que l'on exhume au hasard des fouilles, comme arrachés au sol, patinés par des érosions multiples, aux coloris atténués par des ruissellements : portant à la fois sur leurs flancs la présence et l'absence, la mémoire et l'oubli, la TRACE du temps Par ses mises en scène, l'artiste accentue cette impression d'objets funéraires ou rituels en disposant alentour de petites boules creuses fendillées, roulées un peu au hasard parmi les cailloux du sol De sorte que la subjectivité et les cultures ataviques du visiteur font naître spontanément des images suggérant que ces vases et ces boules renfermaient à l'origine les parfums sacrés d'encens ou de myrrhe
Quant à ses statuettes anthropomorphes miniaturisées, aux corps longilignes idéalement galbés, placés en léger déséquilibre, Corinne Bécot les drape de fines bandelettes à l'instar des momies, les coiffe de chevelures disposées en chignons au sommet de la tête ; dissimule leurs pieds parce qu'ils sont les éléments qui ancrent dans la terre ses petites créatures, tandis que les bras souples comme des serpents accentuent au contraire l'impression de gracilité. Elle les monte parfois sur des sortes de pilastres bagués, cannelés, papyriformes. Elle les enlace d'autres fois en de raides étreintes ; ou les dispose en groupes pour leur faire franchir un invisible Achéron sur quelque " barque " de bois
Le
bois
les minéraux et les végétaux
trouvés au hasard de promenades ; mais aussi les métaux
corrodés, brunis par la rouille, les vieux outils
ramassés dans les décharges
toutes ces
trouvailles entrent dans le plaisir obsessionnel de la glaneuse
qu'est Corinne Bécot. S'ajoutant à ses architectures.
Si importantes dans la conception de ses uvres qu'elle a, pour
se définir, créé un néologisme et se
dénomme " collecteuse " d'objets. Ainsi peut-elle les associer
à la terre, placer ses personnages dans des structures qui les
cernent comme des sarcophages ; prolonger les corps par des sortes de
postiches toronnés qui en continuent le mouvement ascensionnel
; ajouter des reliefs là où la terre se voulait
quasi-informelle
Confirmer par les conjonctions esthétiques de ces éléments disparates qu'elle possède une grande maîtrise de l'infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une sobriété remarquables ; qu'elle est en somme une archéologue talentueuse dont les vestiges ne sont encore que partiellement découverts !
Jeanine Rivais.
Texte écrit après le Festival 2002 de BANNE. Il a été publié dans le N° 72 (février 2003) du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.