ANNE AUFRAY dite " ANN ! "

Ebtretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Vous vous appelez " Ann!" : est-ce votre vrai nom ?

Ann ! : Mon nom d'épouse est Anne Aufray. Mais mon nom d'artiste est en effet " Ann ! ", avec un point d'exclamation. J'ai vécu en Allemagne, où tout le monde m'appelait phonétiquement " Ann-eu ". Je ne supportais pas cette sonorité. J'ai donc enlevé le " e ", mais comme cela semblait un peu vide, j'ai mis le point d'exclamation !

 

JR. : Première question, qui est la même pour tout le monde : Etes-vous à Banne en tant qu'artiste Singulière ? Ou en tant qu'artiste contemporaine ? Et pourquoi ?

A. : Contemporaine ! Parce que je ne crois pas que je fais des " peintures singulières " comme je vois ici, mais que je travaille sur des thèmes qui sont très contemporains. Ce n'est pas forcément un monde très particulier : cela change, cela bouge. J'aime vivre dans mon temps.

 

JR. : Je vois devant nous sur le mur, des sortes de tableaux sur des sujets un peu hétéroclites. Par contre, je trouve une grande unité dans vos sculptures qui représentent toutes des petits personnages. Pourquoi semblez-vous être attirée par des thèmes différents : et sont-ils bien différents ? Et pourquoi cette unité dans vos sculptures ?

A. : Les sculptures sont le travail de cette année. Et une partie des peintures est de cette année ; l'autre partie, de l'an dernier. L'unité des sculptures vient donc du fait que c'est mon dernier travail.

 

JR. : Quand je vois sur vos tableaux, ces petits personnages qui ressemblent beaucoup à vos sculptures, je vois bien la ligne. Mais quand vous mettez ces cercles formant des sortes de figures géométriques comme les enfants en font à l'école, quel sens donnez-vous à ce dessin ?

A. : Là, je travaille sur le réenchantement du monde. C'est donc plus des œuvres qui se rapprocheraient des mandalas, des peintures de méditation, de repos, de prière…

 

JR. : Pourquoi avez-vous voulu donner à vos sculptures, une fonction en plus d'une attribution artistique ?

A. : Ce sont effectivement des boîtes qui servent donc de contenants, et qui sont des urnes. Leurs attributs sont la continuité des reliquaires sur lesquels j'ai travaillé avant et qui continuent. C'est une façon de réintégrer la sculpture dans tout ce que j'ai autour de moi, de la rapprocher des souvenirs, des choses que l'on rencontre, de leur apporter ces éléments dans leur existence.

 

JR. : Il me semble paradoxal d'apprendre que ce sont des urnes, parce tous ont des bonnes bouilles, des têtes drôles, un peu épanouies. Elles ont donc une apparence à l'opposé de leur fonction !

A. : Non. J'ignore si la mort est drôle, mais pourquoi pas ! Pourquoi la mort serait-elle forcément quelque chose d'horrible ?

 

JR. : C'est tout de même depuis toujours quelque chose de douloureux… Au moins pour ceux qui restent !

A. : Je ne sais pas ! Cela dépend ! Nous n'allons pas parler de la mort, et sans doute effectivement la mort d'une personne est-elle douloureuse pour ceux qui la regrettent. Mais d'un autre côté, cela peut être un soulagement pour la personne qui souffrait ! Dont la vie était douloureuse.

 

JR. : Donc, vous accompagnez la mort d'un clin d'œil complice ?

A. : Oui, peut-être. Je dis que ce sont des urnes, mais c'est peut-être autre chose. D'ailleurs, je ne les appelle pas des urnes, je les appelle " des canopes "*. Pour ceux qui connaissent le sens de ce mots, ils comprennent qu'il y a tout de même un rapport avec la mort, avec l'au-delà, mais les appeler directement des urnes est plus difficile, parce que la réaction des gens est tout de suite très vive.

 

JR. : Mais c'est que la mort est éminemment tabou ! Il doit être difficile d'imaginer de déposer dans une petite boîte, un être qui a tenu une grande place dans sa vie ! Ou alors il faut appartenir à une civilisation où la mort est incluse dans la vie.

A. : Oui. Ou avoir cette religion. Mais on a aussi certainement ri avec cet être ? Alors pourquoi ne pas le mettre dans une boîte qui rit ?

 

JR. : Y a-t-il une question à laquelle vous auriez aimé répondre, et que je ne vous ai pas posée ?

A. : Je peux vous parler de mon travail sur le XVIe siècle. Je n'en ai pas apporté ici, mais j'ai travaillé sur ce siècle voici quelques années. J'étais partie de textes littéraires historiques, dont je me suis inspirée pour travailler.

 

JR. : Des textes de la Renaissance, donc ?

A. : Oui. Et je viens de faire une exposition dans un Musée d'Art et d'Histoire. Donc, je trouve que c'est un travail qui est abouti, maintenant. Il commence par des personnages historiques ayant existé, d'autres imaginaires. Avec des textes d'auteurs. Je parcours donc le XVIe siècle, et j'arrive à la Saint-Barthélémy qui est donc un moment très fort. Et où ma peinture change, elle aussi : ce ne sont plus que des linceuls. J'ai beaucoup travaillé avec l'éosine, et j'ai effectué tout un travail plastique, avec toujours des textes d'auteurs, par exemple Calvin, etc. C'était un travail très intéressant, différent de ce que je fais maintenant. J'ai beaucoup aimé travailler sur ce thème. J'aimerais reprendre certains sujets, et les explorer jusqu'au bout. Vivre dans une ambiance, à travers la lecture, le travail, les choses qu'on lit dans les journaux, les gens qu'on rencontre, la musique… Se créer un monde, et le ressortir avec la peinture ou la terre.

 

 

 

"Un canope : (nm) Urne funéraire de l'Egypte pharaonique, au couvercle en forme de tête humaine ou animale, qui renfermait les viscères des morts.

 

 

Entretien réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 18 juillet 2006.

 

 

 

 

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